« Israël fait face à une grande menace à l’ONU »
Entrevue avec le juriste Hillel Neuer, directeur exécutif d’UN Watch
par Elias Levy
Rarement dans son histoire, l’Organisation des Nations unies (ONU) n’a été tant décriée. L’acharnement de celle-ci contre Israël est obsessif. Aucun autre des 193 pays membres de l’ONU n’est autant stigmatisé par le truchement d’une pléthore de résolutions iniques.
Basée à Genève, en Suisse, UN Watch est une organisation non gouvernementale (ONG) indépendante fondée en 1993 par un diplomate américain renommé, Morris B. Abram. Sa mission : s’assurer que l’ONU respecte sa propre Charte et que les droits humains soient accessibles à tous.
Hillel Neuer est depuis 2004 le directeur exécutif d’UN Watch.
Né à Montréal, diplômé en droit de l’Université McGill, détenteur d’une maîtrise en droit constitutionnel comparatif de l’Université hébraïque de Jérusalem et récipiendaire, en 2018, d’un Doctorat honoris causa en droit de l’Université McGill, Hillel Neuer est un ardent défenseur des droits de la personne.
UN Watch combat aussi vigoureusement l’antisémitisme et les campagnes de dénigrement dont Israël est l’objet dans des organisations internationales, particulièrement à l’ONU.
Hillel Neuer a accordé une entrevue à La Voix sépharade depuis son bureau à Genève.
Comment expliquer le dénigrement systématique dont Israël est l’objet à l’ONU?
Israël fait face à une grande menace à l’ONU, particulièrement au Conseil des droits de l’homme, au sein duquel siègent 47 pays. Malheureusement, 60 % des pays membres de ce conseil sont des régimes dictatoriaux qui bafouent ouvertement les droits de la personne. Jamais une résolution n’a été adoptée pour condamner la Chine, pays autocratique qui persécute les Ouïghours musulmans, tente d’écraser la démocratie et la liberté d’expression à Hong Kong et opprime les habitants du Tibet, ou Cuba, un État policier où croupissent dans ses geôles plus de 1000 opposants politiques.
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU n’a qu’un seul bouc émissaire : Israël, qu’il démonise sans relâche. Il se réunit trois fois par année. Dans son ordre du jour, un point est consacré à la situation des droits de l’homme dans le monde (193 pays). Un point est exclusivement consacré à Israël et aux Territoires palestiniens occupés (l’article 7). Aucun autre pays n’est ciblé de cette manière. C’est sidérant! Ni la Corée du Nord, régime totalitaire et répressif, ni la Syrie, où un demi-million de civils ont été gazés par le régime meurtrier de Bashar el-Assad, ni l’Iran des mollahs, qui parraine de nombreux groupes terroristes, ni le Soudan, où 20 millions d’habitants ont urgemment besoin d’une aide humanitaire, n’ont jamais fait l’objet d’une condamnation.
UN Watch a mis souvent en lumière les défaillances et le manque flagrant d’impartialité des Commissions d’enquête de l’ONU sur Israël et la Palestine.
En effet. En 2021, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a institué une « Commission d’enquête internationale indépendante et permanente » sur Israël et les Territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est, une première dans les annales de l’ONU. Jusque-là, toutes les Commissions d’enquête étaient abolies une fois leur travail achevé et leur rapport final remis. Israël est toujours l’exception.
Par ailleurs, la Commission d’enquête internationale sur Israël et les Territoires palestiniens est présidée par la Sud-Africaine Navi Pillay qui n’a cessé de vilipender et condamner Israël avant même que cette commission n’entame ses travaux. Sa partialité est troublante. Ce n’est pas une vraie commission d’enquête, c’est plutôt l’Inquisition, comme dans l’Espagne médiévale, où les Juifs étaient reconnus coupables avant que le verdict du tribunal ne soit prononcé.
Quant à la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les Territoires palestiniens, la juriste italienne Francesca Albanese, son manque flagrant d’impartialité et sa mauvaise foi sont effarants. Celle-ci ne cesse de clamer qu’Israël est un « État génocidaire ». Elle a souvent comparé les Israéliens aux nazis. C’est scandaleux!
Aujourd’hui, l’UNRWA, l’organisation chargée des réfugiés palestiniens, est fustigée pour ses liens étroits avec le Hamas.
Ce n’est pas un secret de polichinelle! Nous avons démontré exhaustivement dans de longs rapports très détaillés, que nous avons soumis à l’ONU, que l’UNRWA est une organisation dont un grand nombre d’employés incitent à la haine d’Israël et des Juifs. Plusieurs ont été impliqués dans des actions terroristes. Douze employés, qui font toujours l’objet d’une enquête au moment où on se parle, ont été accusés par Israël d’avoir participé activement aux massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023.
Depuis une dizaine d’années, nous avons publié et soumis à l’ONU et à l’UNRWA de longs rapports, basés sur des preuves irréfutables, démontrant que dans les écoles de l’UNRWA, des directeurs et des enseignants incitent leurs élèves au terrorisme djihadiste, font l’éloge d’Adolf Hitler et lancent des appels au massacre des Juifs.
Par exemple, en juin 2022, nous avons publié un rapport intitulé « Les enseignants de la haine de l’UNRWA » dans lequel nous avons signalé ce message haineux diffusé sur Facebook par un enseignant de cette agence onusienne, Elham Mansour : « Par Allah, quiconque peut tuer et massacrer n’importe quel criminel sioniste ou israélien et ne le fait pas ne mérite pas de vivre. Tuez-les et poursuivez-les partout. Ils sont le plus grand ennemi. Israël ne mérite que la mort. »
En novembre 2023, nous avons envoyé un rapport très détaillé sur vingt enseignants de l’UNRWA qui ont célébré les massacres du 7 octobre.
En mars 2024, en collaboration avec l’organisation IMPACT-SE, nous avons identifié 133 enseignants et membres du personnel de l’UNRWA qui faisaient la promotion de la haine et de la violence contre Israël sur les réseaux sociaux.
Les manuels scolaires utilisés dans les écoles sous l’égide de l’UNRWA posent aussi problème?
La haine d’Israël et des Juifs perpétuée par le truchement de ces manuels scolaires, dont UN Watch examine les contenus minutieusement, n’est pas le seul problème. Dans les écoles de l’UNRWA à Gaza, les jeunes Palestiniens reçoivent une éducation peu « éducative ». On peut voir dans des vidéos, que nous avons soumises à l’ONU, un professeur qui demande à ses élèves de 9 ou 10 ans : « Votre maison est-elle à Gaza? » Ces derniers lui répondent candidement : « Non, notre maison est à Jaffa, à Ako, à Haïfa… »
L’UNRWA adhère pleinement au narratif du Hamas selon lequel le 7 octobre n’était pas un massacre, mais une manifestation du droit au retour revendiqué par les Palestiniens. L’UNRWA remplit une mission insidieuse : témoigner de la Nakba et du droit au retour irréaliste des Palestiniens.
L’ONU est-elle réceptive aux nombreuses doléances formulées par UN Watch?
Depuis 2015, nous envoyons régulièrement des rapports à l’ONU sur les dérives de l’UNRWA. Jusqu’ici, ils ont été complètement ignorés. Ils ne nous ont jamais contactés pour obtenir des informations supplémentaires à ce sujet. L’ONU a systématiquement décliné toutes nos demandes de rencontre pour discuter de ce problème. Les pays occidentaux allouent chaque année des centaines de millions de dollars aux Palestiniens habitant à Gaza pour qu’ils construisent des maisons, des écoles, des hôpitaux. Malheureusement, le Hamas a utilisé ces fonds pour édifier des centaines de kilomètres de tunnels de terreur d’où il fomente des attaques meurtrières contre des civils israéliens.
Nombreux sont ceux qui reprochent aujourd’hui à l’ONU de faillir à sa mission principale : mettre fin aux conflits du monde. Cette organisation n’est-elle pas condamnée à se réformer pour survivre?
L’ONU est un forum hétéroclite qui ressemble à une soupe. Le goût dépend des différents ingrédients que l’on y met! Aujourd’hui, regrettablement, les dictatures prédominent à l’ONU. On y retrouve aussi des démocraties très décevantes, dont plusieurs foncièrement illibérales.
Récemment, l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) a fait voter une résolution condamnant Israël pour la situation humanitaire difficile qui sévit à Gaza depuis le début de la guerre. Israël a demandé un amendement à cette résolution : l’ajout d’une ligne dans le texte réclamant la libération des otages israéliens et condamnant l’utilisation des hôpitaux comme centres militaires par le Hamas.
Cet amendement a été adopté par la majorité des pays démocratiques, 50 pays, à l’exception de trois, la Belgique, la Norvège et l’Irlande, qui se sont abstenus lors du vote. Le comportement de ces trois démocraties historiques est honteux. C’est la preuve manifeste qu’aujourd’hui, l’ONU n’est pas seulement le réceptacle de régimes dictatoriaux et de leurs politiques antihumanitaires, mais aussi celui de démocraties menant des politiques anti-israéliennes, et parfois même antisémites. Quand un pays n’est pas capable de voter en faveur de la libération d’otages civils innocents, comment vous attendez-vous à ce qu’ils appuient des lois visant à protéger les droits de la personne? Il n’y aura de réels changements au sein de l’ONU que lorsqu’on verra plus de clarté et plus de décence de la part de certaines démocraties.
Comment UN Watch a-t-elle réagi à l’accusation de génocide portée contre Israël auprès de la Cour de justice internationale (CJI) de l’ONU?
C’est un recours judiciaire absurde. Voir aujourd’hui l’Afrique du Sud à la CJI assise dans le même banc que les représentants du Hamas, une organisation terroriste et criminelle, déshonore certes ce pays. L’accusation de « génocide » formulée contre Israël n’a aucun fondement juridique. Israël a toutes les capacités militaires pour annihiler le peuple de Gaza. Or, les Israéliens font le contraire. Ils ont évacué dernièrement plus d’un million de Palestiniens de la zone de Rafah afin de mettre ceux-ci à l’abri des attaques militaires menées par Tsahal contre le Hamas dans ce territoire.
L’accusation ignominieuse de « génocide » contre Israël est une inversion de la réalité. C’est le Hamas qui ne cesse de clamer que son but est de commettre un génocide contre Israël.
L’actuel président de la CJI, Nawaf Salam, est l’ancien représentant du Liban à l’ONU et ex-président du Conseil de sécurité de cette organisation. Il travaille pour le gouvernement libanais, qui est affilié au Hezbollah. Nous n’attendons rien de lui. Par contre, nous espérons que les autres juges de la CJI seront plus clairvoyants et éviteront la politisation outrancière de cette instance judiciaire internationale.
Partagez-vous la grande inquiétude de notre communauté face au regain alarmant de l’antisémitisme et de l’activisme anti-Israël au Canada?
En tant que Canadien, je suis très navré de ce qui se passe aujourd’hui dans mon pays. Je suis né et j’ai grandi à Montréal, où j’ai vécu pendant de nombreuses années. Je suis très attaché à cette ville magnifique.
Malheureusement, depuis le 7 octobre, plusieurs institutions de la communauté juive de Montréal ont été l’objet d’attaques antisémites très violentes : l’école Yéchiva Gedola, l’école Herzliah, la synagogue Young Israël, où j’ai célébré ma Bar-Mitzvah… Elles ont été visées par des coups de feu. Les actes antisémites se sont multipliés aussi dans d’autres villes du Canada. Proportionnellement à la population du Canada, cette situation très dramatique est l’une des pires dans le monde occidental.
Face à cette montée très inquiétante de l’antisémitisme, qui ne cesse de s’accentuer, je déplore le manque de sens d’urgence de la part du premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et de la mairesse de Montréal, Valérie Plante. J’aimerais voir de leur part plus d’actions concrètes pour contrecarrer cette vague d’antisémitisme débridé. Pendant l’épidémie de COVID-19, Justin Trudeau n’a pas hésité à recourir à la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin aux rassemblements des camionneurs aux abords du parlement, à Ottawa.
Aujourd’hui, les mots lénifiants de Justin Trudeau sont insuffisants, quand il réitère que ces actes antisémites constituent une grave atteinte aux valeurs canadiennes. Des actions s’imposent! Il a envoyé un signal erroné aux Canadiens quand son gouvernement s’est associé au Nouveau parti démocratique (NPD) pour décréter un embargo sur la vente d’armes à Israël, à un moment crucial où ce pays se bat dans une guerre très rude que le Hamas lui a imposée.
Le Canada fait face aujourd’hui à la pire vague d’antisémitisme de son histoire. Nous n’avons pas besoin de mots, mais de leadership, en commençant par celui du premier ministre du Canada. Un leadership ferme qui montrera clairement le sens de l’urgence. Nos élites politiques doivent intervenir avant qu’il ne soit trop tard. Je compte envoyer prochainement une lettre au premier ministre Trudeau pour lui faire part de ma profonde inquiétude face à cette situation que je juge très grave.
Crédit photo : © UN Watch