Les Étoiles d’Odessa, une saga familiale poignante
par Virginie Soffer
L’histoire se centre sur le personnage de Fanny, icône de la haute couture parisienne, qui cache une histoire tragique : enfant cachée, elle a perdu sa famille en déportation. La découverte d’une lettre de son grand-père, réfugié à Paris pour fuir les pogroms, va bouleverser sa relation avec sa fille. Ensemble, elles vont partir à Odessa sur les traces de leur passé.
Nous nous sommes entretenus avec Maud Lévy Berreby, qui vit en Israël.
Qu’est-ce qui vous a incitée à écrire ce livre?
Deux raisons majeures. La première : un voyage que je fis à Odessa en 2019 avec deux guides extraordinaires. Auparavant, je ne connaissais rien de l’histoire de cette ville ukrainienne. Cette histoire m’a profondément émue. Ce qui m’a surtout touchée, c’est la résilience du peuple juif, sa capacité à se reconstruire et à avancer sans jamais oublier le passé. C’est un message universel. Je trouve important d’en parler. Étant Sépharade, je connaissais peu l’histoire de la Shoah en Ukraine au 20e siècle. J’ai voulu raconter les événements tragiques qu’a vécus la communauté juive d’Odessa.
Deuxième raison : j’habite à Tel-Aviv. Les fondateurs de cette ville viennent tous d’Odessa : Aharon David Gordon, Haïm Nahman Bialik, Ahad Ha’am, Vladimir Jabotinsky, Léon Pinsker. Ces liens m’ont beaucoup interpellée. J’ai par exemple été très surprise d’apprendre que Pinsker, qui luttait pour l’assimilation des Juifs et prônait leur indépendance économique et sociale complète, a changé de position après les pogroms de 1881 : il fonde alors le comité d’Odessa, appelé les « Amants de Sion », qui concrétise le projet des premières Aliyot.
J’ai fini d’écrire mon livre juste avant que n’éclate la guerre en Ukraine. Je ne pouvais pas ignorer les événements actuels. Et en même temps, je ne voulais pas en parler comme une journaliste, mais plutôt insérer les éléments de ce conflit dans la trame narrative de mon récit. Ainsi, Fanny voit les réfugiés ukrainiens et fait le lien avec l’histoire de ses grands-parents.
Comment vous êtes-vous documentée pour écrire ce livre?
J’ai commencé mes recherches pendant la période de la pandémie de COVID-19, lorsque nous ne pouvions pas sortir. Je dois avouer que je ne connaissais même pas le tracé de la ligne de démarcation de la Seconde Guerre mondiale! J’ai donc commandé des livres sur Amazon et fouillé dans les archives, notamment celles de l’Alliance juive. J’y ai trouvé des textes qui m’ont bouleversée, avec des détails précis sur les réfugiés : leur nombre, leurs départs, leur profession… Cela m’a conforté dans mon travail.
Après avoir fait ces recherches pendant près d’un an, j’ai créé mon personnage, son village et le groupe de résistance. Les noms utilisés sont réels et les événements relatés correspondent aux dates historiques.
Votre histoire se déroule à plusieurs époques : durant la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui, pendant la guerre en Ukraine. Comment avez-vous travaillé la mise en forme?
J’ai réalisé une vingtaine de versions du livre, qui a évolué au fil du temps. J’ai écrit un premier chapitre où Fanny, 87 ans, est en maison de retraite. J’avais écrit 80 à 100 pages sur la nouvelle vie de Fanny en maison de retraite et ses peurs liées au virus de la COVID-19. Après huit mois d’écriture, j’ai entendu à la télévision que les éditeurs en avaient assez des livres sur la COVID-19. J’ai donc décidé de jeter ce que j’avais écrit et de tout recommencer! J’ai alors simplement parlé de Fanny qui est dans une maison de retraite qu’à la fin du livre. J’ai aussi déplacé la lettre du grand-père à plusieurs endroits du récit avant de trouver la place la plus adéquate.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le personnage central de Fanny?
J’aime les femmes qui réussissent. J’ai voulu créer Fanny comme une femme résiliente, qui se bat et réussit malgré ses manques. J’ai imaginé son atelier de couture comme son royaume, un univers complet. Je sais que les gens aiment généralement les personnages mauvais, mais Fanny aimait la vie, le luxe et le faste. C’est Émilien qui lui apprend cela. Tous mes personnages sont plus ou moins beaux, avec de belles âmes, parce que j’aime les gens beaux. Je me suis régalée à les créer ainsi.
Dans votre roman, la noirceur est en arrière-plan. C’est pourquoi vous avez voulu insister sur la lumière, comme l’indique le titre Les Étoiles d’Odessa?
Je voulais écrire un livre positif qui parle de la Shoah tout en mettant en valeur la joie et la résilience qui en ont émergé, et ce que cela nous a permis de construire. C’est pourquoi j’ai utilisé la lettre de Moshé comme un fil conducteur. Jusqu’au 12 décembre 1941, les femmes juives n’étaient pas déportées, ce qui explique pourquoi cette lettre est adressée à sa belle-fille et à sa petite-fille. Le grand-père savait qu’il partirait avec son fils, mais il ne pensait pas que Fanny et sa belle-fille seraient aussi touchées par le destin. Il écrit cette lettre pour leur transmettre son message. Je voulais raconter cette histoire sans en faire un livre triste, tout en soulignant l’importance de la mémoire et de la transmission, qui sont encore plus essentielles aujourd’hui.
Votre livre évoque le retour en force de l’antisémitisme. Ce thème est malheureusement très actuel.
J’ai écrit ce livre avant le 7 octobre 2023, c’était très important pour moi d’en parler. Léon Pinsker a écrit cette phrase en 1882 que je trouve si actuelle : « La judéophobie est une psychose. Elle est héréditaire en tant que maladie transmise depuis 2000 ans, elle est incurable. » Il a écrit ensuite une phrase reprise dans Les Étoiles d’Odessa : « Le Juif est considéré par les vivants comme un mort, par les autochtones comme un étranger, par les indigènes sédentaires comme un clochard, par les gens aisés comme un mendiant, par les pauvres gens comme un exploiteur millionnaire, par les patriotes comme un apatride, et par toutes les classes comme un concurrent qu’on déteste. » C’est malheureusement d’une très grande actualité.
Crédit photo : © Éditions Amalthée