Elles et ils ont publié – septembre 2024
Par Sonia Sarah Lipsyc
Bernard-Henri Lévy, Solitude d’Israël, Éditions Grasset, 2024
Il est là. Toujours là, BHL, pour défendre les Juifs, Israël et les droits humains de par le monde. En Israël où il se rend dès le lendemain des pogroms du 7 octobre – sans doute le plus grand choc pour nous depuis la Shoah –, il rencontre les familles des otages, les survivants du kibboutz Be’eri ou de la Rave party. Et il leur fait la promesse, comme il a pu le dire dans des entretiens, d’écrire ce livre. Un ouvrage géopolitique reprenant quelques points majeurs de l’actualité et de l’histoire contemporaine d’Israël et empreint d’une dimension métaphysique sur le destin du peuple juif.
Il rappelle d’abord la sauvagerie de l’attaque du Hamas qu’il compare aux Einsatzgruppen, ces groupes militaires nazis : « Jamais, depuis la Shoah, par balles, l’on n’avait vu des Juifs massacrés ainsi, à bout portant, juste parce qu’ils étaient Juifs. » Barbarie dont témoignent les corps « décapités et dépiécés, d’autres carbonisés » et les violences inouïes faites aux femmes : « Femme tirée d’une camionnette comme une bête de boucherie et violée par cinq hommes avant d’être achevée au couteau; une autre, à qui l’on a, par jeu, après l’avoir violée, planté des dizaines de clous dans l’aine et les cuisses; deux autres achevées d’une balle dans le vagin; une autre encore dont un homme découpait les seins au cutter pendant qu’un autre la pénétrait. » L’auteur s’appuie ici sur un long reportage du New York Times.
Et puis, bien sûr, les 240 otages qui ont assisté à tout ce déchaînement inhumain.
À cet antisémitisme meurtrier, filmé en direct avec joie par les assassins, s’ajoutent les réactions de déni, refuser, (attitude perverse, souligne BHL), comme le chef de file de l’extrême gauche en France, Jean-Luc Mélenchon, de condamner le Hamas ou de parler de terrorisme. De là à qualifier ces actes de haine de résistance, il n’y a qu’un pas vite franchi par certains! BHL relève aussi l’attitude passéiste de certaines ONG, comme Amnesty International ou la Croix-Rouge qui a mis « 48 jours pour réagir ». Et que dire de la passivité trop longue des organisations féministes avant qu’elles ne se manifestent… Quant à l’UNRWA, « grande agence onusienne en charge de l’essentiel de l’aide humanitaire aux Palestiniens, elle mérite une mention spéciale puisque l’on sait désormais qu’elle a été partie prenante au crime ». L’auteur pourfend également les tenants du « oui, mais » qui finalement acceptent la réalité de ces massacres, mais les relativisent en accusant Israël des pires maux. « Rarement négationnisme aura fonctionné si bien, si vite, en temps réel », écrit-il, et il sera suivi d’une propagande massive de diffamation à l’encontre d’Israël. Cette inversion nous stupéfie encore… Ceux-là mêmes qui ont subi un génocide (les Israéliens), par un ennemi (le Hamas) qui affirme être prêt à recommencer dès que possible sont accusés de génocide!
BHL, tout en pleurant la mort d’enfants, de quelque côté qu’ils se trouvent, et sans vouloir entrer dans la polémique du nombre de victimes, répond à cette grave accusation. Il rappelle notamment que « la responsabilité de ces morts d’enfants ne revient pas d’abord à Israël mais à ceux qui en font des boucliers », les terroristes islamistes, qui de surcroit « ont ouvert le feu » sur ceux qui voulaient s’échapper, dans le cadre d’une guerre qu’Israël n’a pas voulue. Il aborde aussi certaines réactions internationales qui se préoccupent peu des intentions destructives du Hamas et de ses alliés, bien illustrées par le slogan « de la rivière à la mer » appelant à l’éradication de l’État hébreu. Et il porte à notre attention que « nul de sérieux ne songea imposer un cessez-le-feu avant que ne soient défaits Al-Qaïda et Daech ».
Toutes ces expressions (massacres, déni, relativisation, diffamation, refus de la légitimité d’Israël à se défendre) incarnent aux yeux de l’auteur la figure du mal représentée dans la Bible par le personnage ou l’archétype d’Amalek qui veut détruire le peuple d’Israël; elles fondent trop souvent la solitude d’Israël.
Mais BHL va plus loin encore et c’est l’un des aspects instructifs de son livre, il parle du « nazisme impensé », car trop ignoré d’une partie du monde arabe. Il rappelle, en effet, « l’existence bien avant la guerre, d’un nazisme arabe dont la naissance des Frères musulmans est une illustration (…). Et que la rue égyptienne (…) voit dès la fin des années trente, forts de leurs 200 000 membres, diffuser des versions arabes de « Mein Kampf » et des « Protocoles des Sages de Sion » », ce pamphlet antisémite. Nazisme qui rallie « une partie du monde arabe aux puissances de l’Axe en général et à l’Allemagne en particulier », avec des exceptions notables bien sûr, comme celle du Maroc. Il reprend l’histoire plus connue d’Amin Al-Husseini, nommé Grand Mufti de Jérusalem par les Anglais « au lendemain des pogroms de 1920 qu’il avait en partie organisés »… On connaît (n’est-ce pas?) son soutien à Hitler durant la Shoah qu’il appelait de ses vœux en voulant l’extermination des Juifs, lui qui vécut à Berlin à partir de 1941 durant la guerre. Figure tutélaire dont Yasser Arafat se réclamait.
BHL souligne également une autre origine de ce conflit et ce que pourrait être son dénouement: « (…) que se lève chez les Palestiniens une force prête à dire « nous sommes prêts au partage et nous acceptons, de guerre lasse, la résolution de 1947 qui instituait les deux États et que nos grands-pères, puis nos pères et, en fait tous nos dirigeants, ont refusé jusqu’à présent ». »
Si ce travail de mémoire du monde arabe et l’acceptation d’Israël s’amorçaient alors cette solitude d’Israël (le peuple et le pays du même nom), confrontée aux puissances promptes à le combattre ou à laisser faire, s’estomperait. Et ce que le Maharal de Prague, ce grand rabbin du 16e siècle que BHL convoque dans ses pages, nommait « Netsah’ Israël », l’Éternité d’Israël, fait de résilience et de fidélité à ses principes, rayonnerait de façon encore plus visible et en paix.
Luc C. Courchesne, L’étranger du seuil, Mains Libres, Montréal, 2024
Belle déclinaison, à la fois philosophique, littéraire, poétique et pudiquement intime que nous offre l’écrivain québécois, Luc.C.Courchesne, sur son cheminement avec le judaïsme. Lui marié à une Juive sépharade et dont les enfants sont Juifs, rêve dans son sommeil de revêtir un talit, le châle de prière et de nouer à son bras, les phylactères. Cependant, il choisit de ne pas se convertir car même s’il craint, d’une certaine manière, le Nom (de Dieu), il se dit « motivé par un athéisme de principe ». Et ce qui pourrait être admis pour un Juif de naissance ne le serait pas pour quelqu’un qui aspirerait à devenir Juif. L’auteur aurait l’impression de commettre une imposture aussi reste-t-il au seuil. Et un peu à la façon de l’écrivain Marcel Benabou, qui, par exemple, a écrit un livre sur sa famille tout en nous expliquant pourquoi il ne pouvait en écrire un à ce sujet1Voir Jacob, Menahem et Mimoun ; Une épopée familiale, Seuil, 1995 … Courchesne qui se voit comme « un Don Quichotte biblique », tout en nous guidant dans ses hésitations, attractions et son dialogue intérieur avec le judaïsme, nous invite à un voyage fécond avec la culture et la pensée juives. Il convoque aussi bien le maître du Talmud, Hillel, le kabbaliste de Safed du 16ème siècle, Isaac Louria, Freud, les philosophes juifs contemporains, Emmanuel Lévinas ou Shmuel Trigano, Proust, Baudelaire Borges, Mallarmé, Blanchot, Lacan, Erri De Luca, la liste serait trop longue à retracer ici… Mais c’est un véritable régal!
Au fond, Luc C. Courchesne, dont le C évoque à la fois l’origine d’un patronyme familial mais aussi le prénom hébraïque de Chalom, crée son propre Beit Hamidrach, maison d’études juives et d’interprétation que son ouvrage laisse entrevoir.
Face à cet « insoluble questionnement » que représente à ses yeux la conversion, l’auteur choisit, à l’image d’Aimé Pallière, un auteur français du siècle dernier, ami du rabbin Elie Benamozegh, d’être Noahide, c’est-à-dire d’adopter les sept lois de Noé qui sont peu ou prou celles des dix commandements. Mais son chemin reste solitaire car il ne rejoint pas pour autant les groupes ou associations qui, par le monde, réunissent des femmes et des hommes qui ont choisi d’être des « Bné Noah », des enfants de Noé; ils adhèrent ainsi à des principes de base du monothéisme tout en accompagnant avec amicalité les Juifs de ce monde.
La place de Courchesne est au seuil, « étranger du seuil » ainsi traduit-il la notion de « Guer toshav » que nous restituerons pour notre part comme « résident d’origine étrangère ». En effet, dans la Loi juive, un « Guer toshav » est quelqu’un qui a adopté les lois de Noé et vit en Israël. Peut-être pourrait-on élargir ce concept en y ajoutant qui vit au sein du peuple juif où qu’il soit?
« Plutôt que de me convertir, converser? » écrit-il, sans doute que l’auteur connaît le sens premier et originel de ce terme, converser : « vivre avec. »
Natania Etienne, Kaddish pour un Haïtien, Editions du Marais, Montréal, 2024
Quel texte bouleversant qui se lit d’une traite!
L’autrice, éditrice des Editions du Marais, nous avait déjà gratifiés d’un extrait d’un manuscrit encore inédit, Etoile du Nord, dans lequel elle nous parlait de la rencontre avec celui qui deviendra son mari et qu’elle aima passionnément : l’intellectuel, le poète, l’écrivain et professeur Gérard Etienne, Haïtien converti au judaïsme orthodoxe.
Dans cette dernière livraison, elle nous fait part des derniers jours de son bien-aimé, de son décès et de la période de deuil ponctuée, par exemple, par la semaine ou shivah durant laquelle les endeuillés restent réunis et reçoivent les condoléances des uns et des autres. Il y a des proches, des gens de la communauté, des hassidim de Belz, des écrivains, des Haïtiens. Leur maison ne désemplit pas.
« Nos enfants tout d’un coup sont devenus grands, et moi, j’ai rétréci », écrit-elle lorsque sous le choc, il faut décider avec son fils et sa fille des mesures à prendre pour l’enterrement. Mais il y aurait tant de phrases à relever que je préfère juste encore vous citer une : « Gérard n’est pas mort, je le ferai vivre, il vivra par son écriture. » Et c’est bien ce que fait Natania, puisque plusieurs ouvrages de cet homme qui fut exceptionnel sont publiés par ses soins.
Ce court ouvrage témoigne de l’amour qui a uni deux êtres et toute une famille, du travail de deuil et surtout rend hommage à la singularité d’un être et de son épouse.