L’exode oublié des juifs des pays arabes
Un livre mémoriel remarquable de Henry Green et Richard Stursberg
par Elias Levy
Henry Green et Richard Stursberg sont les coauteurs de Sephardi Voices. The forgotten Exodus of the Arab Jews – Voix sépharades. L’Exode oublié des Juifs arabes – ( Éditions Publishing Inc., Vancouver ). Un livre de témoignages remarquable et poignant, superbement illustré avec une galerie de photos et de portraits, retraçant l’histoire du tragique exode des communautés juives établies dans le monde arabo-musulman depuis des temps immémoriaux.
Cet ouvrage est le fruit du projet Sephardi Voices – Voix sépharades –, lancé en 2009 par le sociologue et historien Henry Green, professeur au département d’Études religieuses de l’Université de Miami.
Mission : pérenniser la mémoire des quelque 900 000 Sépharades spoliés, déchus de leur nationalité, persécutés et, bon nombre d’entre eux, expulsés de leur contrée natale par les gouvernements arabes au lendemain de la fondation d’Israël. 250 000 de ces Mizrahim trouvèrent refuge dans l’État hébreu naissant.
Sephardi Voices, qui s’est inspiré du projet Collection Holocauste-Shoah, initié en 1994 par le célèbre cinéaste américain Steven Spielberg pour recueillir les témoignages oraux des derniers survivants de la Shoah, a pour objectif de colliger les récits de vie de Sépharades natifs des pays arabes et d’Iran forcés à l’exil.
Henry Green a déjà recueilli 450 témoignages de Sépharades vivant en Israël, au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France, victimes des politiques discriminatoires et antisémites instituées par les gouvernements arabes dès la fin des années 40.
Une centaine de Sépharades canadiens ont été interviewés, la majorité d’entre eux vivent à Montréal. Plusieurs leaders et membres de la communauté sépharade de Montréal ont livré leurs témoignages : Sylvain Abitbol, Edmond Elbaz, Bob Oré Abitbol, Claude Benarroch…
Richard Stursberg, écrivain, ex-vice-président exécutif de CBC, président de la section canadienne du PEN, une prestigieuse association internationale d’écrivains, est l’auteur des textes de ce livre. Cette personnalité canadienne non juive du monde des médias s’est associée à ce projet littéraire car elle considère qu’il est impératif que le monde découvre le drame vécu, mais malheureusement occulté, par des centaines de milliers de Juifs originaires des pays arabo-musulmans.
En 1492, après l’expulsion des Juifs d’Espagne par les rois catholiques, Isabel de Castille et Ferdinand d’Aragon, 90 % des Juifs vivaient dans le monde arabo-islamique. Après la création de l’État d’Israël, ces derniers ont quitté massivement les Terres d’Islam. Il ne reste aujourd’hui qu’environ 4 000 Juifs dans les pays arabo-musulmans. Les gouvernements locaux les ont contraints, brusquement ou insidieusement, à partir. Ce fut un exode forcé, rappelle Henry Green en entrevue avec La Voix sépharade.
« Les Sépharades qui étaient établis dans le monde arabo-musulman ont subi dans leur chair les affres d’une série de politiques discriminatoires basées sur des mesures abjectes: confiscation de leurs biens et propriétés; intimidation; vandalisme contre les magasins appartenant à des Juifs; privation de leur nationalité; limogeage de leur emploi… Nous devons rappeler au monde tout ce que ces Sépharades ont subi et enduré durant cette période noire de l’histoire du peuple juif. Il faut mettre fin à cette grande amnésie historique. »
Né en 1949 à Ottawa dans une famille ashkénaze, Henry Green avait une grande méconnaissance de l’histoire des Sépharades. Au début des années 70, lors d’un séjour d’études en Israël, il a rencontré pour la première fois des Sépharades originaires des pays arabes du Maghreb et du Moyen-Orient.
« Je ne connaissais rien de leur histoire tragique. Le mouvement de révolte des Panthères noires, qui dénonçait les discriminations éhontées dont les Sépharades étaient victimes dans la société israélienne, me rapprocha de cette communauté très marginalisée. J’ai commencé alors à m’intéresser au triste sort qui leur a été réservé par les dirigeants des pays arabes où leurs aïeux avaient vécu pendant des siècles », raconte Henry Green.
Sephardi Voices s’est fixé deux grands objectifs : 1-Faire connaître aux enfants et aux petits-enfants des Sépharades bannis des Terres d’islam l’histoire de ces derniers ;2-Inclure les Sépharades dans le narratif historique des Juifs au XXIe siècle.
Force est de rappeler que les situations historiques et les contextes sociopolitiques ne sont pas les mêmes. Le départ des Juifs d’Irak ou d’Égypte a été bien plus sombre que celui des Juifs du Maroc ou de Tunisie, souligne Henry Green.
« Mais le résultat final a été le même : victimes de persécutions physiques, de harcèlement ou de discriminations, les Juifs des pays arabo-musulmans ont été contraints de quitter définitivement leurs pays de naissance respectifs. Au lendemain de la Shoah, entre 1945 et 1970, une civilisation de vingt siècles a disparu. Du Maghreb à l’Iran, en passant par l’Égypte, le Liban, l’Irak et le Yémen, les Juifs vivant en Terre d’islam ont été forcés d’emprunter le chemin douloureux de l’exil. »
La majorité des Sépharades vivant dans le monde arabo-musulman ont été évincés de leur pays natal dans le sillage des guerres israélo-arabes. Ils ont été souvent pris en otage par les gouvernements arabes qui leur firent payer très cher la création de l’État d’Israël. Le plus souvent spoliés, ils sont arrivés en Israël totalement démunis.
« La guerre d’indépendance d’Israël, en 1948, entraîna le déplacement de deux populations : les Palestiniens et les Juifs vivant dans les pays arabes. Ces derniers perdirent aussi leurs biens et leurs propriétés. C’est pourquoi la question cardinale des Juifs exclus et spoliés des pays arabes devra être aussi inscrite à l’ordre du jour de futurs pourparlers de paix entre Israël et les Palestiniens. Ce qui s’est produit au Proche-Orient en 1948, c’est un échange de populations », affirme Henry Green.
Depuis sa création, Sephardi Voices, qui est une organisation totalement bénévole à but non lucratif, a multiplié les initiatives auprès d’instances gouvernementales et d’organismes non gouvernementaux afin de les sensibiliser à ce chapitre éludé de l’histoire des Juifs au XXe siècle.
« La tragédie vécue par les Juifs des pays arabes est une question de droits de la personne qui doit faire partie intégrante des agendas politiques nationaux et internationaux », estime Henry Green.
Yom Plitim, journée commémorative dédiée aux réfugiés juifs des pays arabes, a été instituée en 2014 par une loi de la Knesset.
Vingt des cent portraits-entrevues de Canadiens publiés dans le livre Sephardi Voices. The forgotten Exodus of the Arab Jews ont été exposés à la Bibliothèque et Archives Canada, à Ottawa, à l’occasion du lancement de cet ouvrage.
Tout le fonds de témoignages (vidéos, portraits, documents) recueillis par Sephardi Voices sera déposé à la Bibliothèque nationale d’Israël, nous a confirmé Henry Green.
Il déplore que l’histoire des Sépharades ne soit pas enseignée dans les écoles juives de Montréal, à l’exception de deux écoles sépharades.
« Les Sépharades constituent environ un tiers de la population juive du Québec. Je crois qu’il est temps que l’histoire riche et millénaire des Juifs du Maroc, d’Algérie, d’Égypte, d’Irak, de Libye… soit enseignée aux élèves fréquentant les écoles juives. Tout comme la journée du souvenir de la Shoah est commémorée chaque année dans toutes les écoles juives de Montréal, Yom Plitim devrait être aussi souligné dans ces institutions éducatives. La sinistre histoire des Sépharades bannis des pays arabo-islamiques doit être réhabilitée et racontée au monde entier. On ne peut pas continuer à taire cette grande tragédie et injustice. »