« Il faut absolument débarrasser Gaza du Hamas, ce cancer qui la gangrène »
Entrevue avec Raphaël Jerusalmy, ex-officier du renseignement militaire d’Israël
par Elias Levy
Ex-officier du renseignement militaire israélien et membre d’une unité d’élite de Tsahal ayant infiltré plusieurs fois Gaza, Raphaël Jerusalmy est un analyste senior des stratégies militaires et opérationnelles. Il traite des questions militaires à la chaîne d’information en continu franco-israélienne I24News.
Au cours d’une entrevue réalisée le 18 octobre, il nous a fait part de son point de vue sur la guerre que le Hamas a imposée à Israël.
Après les attaques sauvages du Hamas, quels sentiments habitent les Israéliens ?
Des sentiments partagés. D’un côté, les Israéliens souhaitent ardemment une offensive militaire d’envergure à Gaza, dans l’espoir qu’elle mette fin une fois pour toutes aux exactions du Hamas. De l’autre, les Israéliens sont très inquiets pour les soldats de Tsahal. Comme vous le savez, en Israël, tout le monde connaît un peu tout le monde, dans chaque famille il y a un ou plusieurs soldats de Tsahal. Ceci nous cause une grande inquiétude. Les soldats réguliers, les réservistes appelés et les conscrits sont très motivés, ils rongent leur frein, ils veulent rentrer dans Gaza pour éradiquer le Hamas. Cette opération militaire sera longue, difficile et extrêmement dangereuse.
Éliminer le Hamas est-ce un objectif de guerre réaliste ?
Si Israël laisse la moindre étincelle du Hamas allumée, celle-ci pourrait embraser de nouveau le bois mort qui l’attend à Gaza. Il faut absolument débarrasser Gaza de ce cancer qui la gangrène. Pour cela, Tsahal devra aller jusqu’au bout. Ce qui compte après une victoire militaire, c’est ce qu’on appelle le « Jour d’après ». Que ferons-nous pour que Gaza ne retombe sous la coupe des organisations terroristes palestiniennes, là est la question.
Pénétrer à Gaza sera certes une opération militaire très complexe et dangereuse.
En effet, on prévoit que lors de cette grande offensive terrestre, Tsahal essuiera d’importantes pertes humaines : non pas par dizaines, mais par centaines. Israël a eu une très mauvaise expérience en 2014, lors de l’opération « Bordure protectrice ». Tsahal a perdu plus de 70 soldats dans cette opération de moindre envergure. Là, nous parlons d’une opération énorme, le Hamas s’y prépare depuis des mois avec des tireurs embusqués, des mines, des pièges un peu partout et, peut-être, d’autres mauvaises surprises. Ce sera une bataille urbaine extrêmement difficile. En ce qui trait à la doctrine militaire, dans une bataille urbaine, celui qui est à l’intérieur de la ville, en l’occurrence Gaza City, sextuple sa puissance de feu. Donc, s’il y a 20 000 combattants du Hamas et du Djihad islamique à Gaza, ce sera comme si Tsahal en affrontait 120 000.
Quelque 200 otages israéliens sont détenus à Gaza par le Hamas. Pour les libérer, ce sera une opération à très hauts risques ?
La libération des otages est une priorité nationale. Israël et Tsahal travaillent sans relâche, jour et nuit, pour les libérer. Tout sera mis en œuvre pour tenter de les sauver. Les terroristes palestiniens capturés ont fourni à Tsahal des informations très utiles pour connaître l’emplacement des otages reclus.
La grande difficulté opérationnelle pour les libérer lors d’une action militaire, c’est qu’ils sont probablement cachés dans des tranchées souterraines, dans différents lieux de Gaza. Un autre problème important : le Hamas ne détient qu’environ 70 % des otages. L’autre partie est entre les mains du Djihad islamique et de petites factions plus autonomes affiliées à Al-Qaïda ou à Daesch, qui ont aussi pénétré sur le territoire israélien le 7 octobre dernier.
Le Hamas ne veut pas négocier avec Israël la libération des otages avec Israël car ils représentent une « assurance-vie » pour les hauts dirigeants de cette organisation terroriste. Ceux-ci envoient les Palestiniens mourir au front, mais eux se terrent dans des bunkers de luxe enfouis sous l’hôpital de Gaza City. Pour que Tsahal ne les élimine pas, ils pourront toujours brandir cette « assurance-vie » pour sauver leur peau et demander à Israël de les exfiltrer vers l’Égypte.
Le scénario d’un embrasement régional est-il plausible ?
Absolument. Nous sommes au Proche-Orient, où toute situation est précaire, tout peut changer du jour au demain. Israël a été pris par surprise le 7 octobre dernier. Une terrible catastrophe. Nous n’avons pas l’intention d’être surpris à nouveau. Pour éviter qu’un scénario aussi funeste se reproduise, nous devons nous préparer au pire. Évidemment, ce qui change complètement la stratégie d’Israël et la donne, c’est la présence américaine massive à proximité du territoire israélien. Présence louable qui rassure beaucoup Israël. Mais les Américains n’ont pas envoyé une flotte navale puissante par solidarité avec l’État juif, ils veulent garantir une stabilité au Proche-Orient. Il est clair que le chaos causé par une extension du conflit serait très néfaste pour leurs intérêts, surtout face à leurs rivaux chinois et russes.
Comment expliquer les failles du Shin Beth et de Tsahal qui n’ont pas vu venir ce cataclysme ?
C’est le renseignement qui nous a fait défaut lors de l’attaque surprise du 7 octobre. Le Shin Beth et le pouvoir israélien se sont fait duper par le Hamas. Depuis cette tragédie, les renseignements israéliens fonctionnent mieux. Pour preuve : les frappes de l’armée de l’air israélienne à Gaza sont très précises depuis le début de cette guerre. Ce haut niveau de renseignement – savoir où se terrent les terroristes, où sont les rampes de lancement des missiles, où se cachent les dirigeants des factions militaires palestiniennes… – est extrêmement important. On constate ainsi que le renseignement israélien est plus efficace maintenant que lors des semaines qui ont précédant l’attaque du 7 octobre. Le fait que plusieurs terroristes de haut niveau du Hamas aient été éliminés, nous prouve que Tsahal a obtenu rapidement les renseignements et a pu agir très vite.
Quelles leçons Israël devrait-il tirer de la journée macabre du 7 octobre ?
On sait déjà qu’il y aura des commisions d’enquête pour faire la lumière sur les failles de nos services de renseignement et de Tsahal. Il y a eu indéniablement une mauvaise lecture de ce qui se passait en général, tant au plan macro que micro. On a manqué d’informations cruciales.
Selon moi, il faudrait plutôt mettre l’emphase sur une autre leçon qu’Israël devra tirer de cette catastrophe : la leçon optimiste. Après une période tumultueuse de chaos politique et de divisions sociales, le peuple d’Israël est désormais uni et soudé. Il n’y a plus de scission entre religieux et laïcs, Sépharades et Ashkénazes… Tous les Israéliens sont derrière les soldats de Tsahal, y compris les familles endeuillées et celles dont des membres ont été pris en otage par le Hamas. Espérons et prions pour que cette solidarité ne soit pas de mise qu’en temps de guerre, mais pour qu’elle perdure en temps de paix. Cette union du peuple fait la force d’Israël. Notre faiblesse cependant réside dans nos divisions politiques, religieuses et sociales. Perçues comme un signe de fragilité par nos ennemis, c’est ce qui les a enhardis à nous attaquer.