Entrevue avec Steve Sebag, nouveau président de la Fédération CJA
par Elias Levy

Steve Sebag, 45 ans, gestionnaire de patrimoine, est le nouveau président du conseil d’administration de la Fédération CJA. Il succède à Joel Segal. Il est activement impliqué au sein de cette institution depuis 2009, où il a assumé des fonctions majeures : président du programme Fix, qui prodiguait de l’aide à des personnes aux prises avec un problème de dépendance, président de la Campagne des jeunes adultes de l’Appel juif unifié (AJU), président de Montréal Gen, président du Comité de stratégie et impact, premier vice-président.
Steve Sebag a accordé une entrevue à La Voix sépharade.
Aujourd’hui, Israël est une nation en guerre. Notre communauté est profondément bouleversée par la barbarie dont les Israéliens ont été victimes le 7 octobre dernier.
La Communauté juive de Montréal appuie inconditionnellement Israël en ces moments sombres et douloureux pour le peuple israélien. Cinquante ans après la guerre du Kippour, les Israéliens ont été, encore une fois, agressés durant un jour de fête. Les conséquences sont catastrophiques. De nouveau, les défenseurs de notre peuple risquent leur vie pour restaurer un semblant de paix. Nous nous sentons impuissants et embarrassés de ne pas pouvoir faire plus pendant que nos frères et sœurs israéliens se battent pour leur vie. Voir une femme âgée paradée sur une voiturette de golf, un soldat de Tsahal se faire mutiler pendant qu’une bande de sauvages célèbrent ou une jeune femme, ensanglantée, se faire tirer par les cheveux dans une voiture sont des images odieuses qui vont nous hanter pendant longtemps.
La Fédération CJA s’est mobilisée avec célérité pour soutenir Israël dans cette dure épreuve.
L’horreur de la situation que vit Israël veut dire que nous devons faire notre part. Les besoins sont, bien évidemment, criants et urgents. Lors d’un appel conférence, les représentants de Keren Hayesod et les dirigeants des communautés juives de la Diaspora ont signifié leur intention de lancer des campagnes de financement pour venir en aide aux victimes du terrorisme du Hamas. Ces familles déchirées, ces soldats mutilés, ces enfants faisant face à un traumatisme profond vont avoir besoin de tant de support.
La Fédération CJA vient de lancer une Campagne d’urgence pour Israël. 100 % des fonds qui seront recueillis seront destinés à combler les besoins d’Israël. Nos partenaires dans cette initiative sont le Joint Distribution Committee et l’Agence juive pour Israël, plus précisément ses fonds pour les victimes du terrorisme ou la Coalition Israël Trauma, qui ont urgemment besoin de fonds pour faire face à cette grave crise. Je vous demande d’être, comme toujours, très généreux.
Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter la présidence de la Fédération CJA ?
Ma réponse n’a pas trop tardé! Mais, avant de donner mon aval, j’ai consulté pendant deux jours mes proches. Ils m’ont fortement encouragé à accepter cette nomination. C’est un grand honneur pour moi d’avoir été sollicité par la Fédération CJA pour présider son conseil d’administration. J’admire profondément cette institution remarquable. L’impact très concret que la Fédération CJA a sur beaucoup de membres de notre communauté est si vaste, bien que parfois méconnu. La Fédération CJA est active dans de nombreux domaines – social, philanthropique, identitaire, éducatif, culturel…
Mon engagement communautaire et philanthropique est basé sur un sentiment fort de fierté et de gratitude. Je suis conscient de la chance que j’ai d’être né et de vivre dans un pays, le Canada, qui incarne l’âge d’or de la civilisation occidentale en termes de liberté, de justice et d’opportunités économiques. Lorsqu’on réalise la chance que nous avons, il devient primordial de redonner à ceux qui en ont un peu moins.
C’est un grand privilège pour moi de pouvoir servir ma communauté en m’impliquant bénévolement dans une organisation aussi admirable que la Fédération CJA. Ça me motive énormément.
Après Sylvain Abitbol et David Amiel, vous êtes le troisième Sépharade à présider la Fédération CJA. Votre nomination, fortement méritée, n’est-elle pas aussi un signe de reconnaissance de la Communauté sépharade ?
C’est certainement une source de fierté pour beaucoup de Sépharades, j’en suis conscient et reconnaissant. Mais, pour moi, c’est plutôt le signe d’une normalité. C’est le reflet de la maturité de la communauté sépharade et de sa pleine intégration dans la grande communauté juive de Montréal. Les Sépharades ne sont plus une communauté de la 1ère génération. Leurs enfants et petits-enfants se sont intégrés avec succès dans la société québécoise, où ils réussissent dans tous les champs professionnels. J’aime à croire que la Fédération CJA m’a choisi pour mes compétences et mon degré d’engagement communautaire et non pour mes origines culturelles.
Dans deux ans, mon successeur sera aussi un Sépharade, Patrick Essiminy. C’est le reflet de la riche et forte diversité culturelle qui caractérise notre communauté. Les Sépharades occupent aujourd’hui une place importante à tous les échelons de la structure organisationnelle de la Fédération CJA.
Comment qualifieriez-vous les relations entre la Fédération CJA et la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ)?
J’ai constaté au cours de mon implication communautaire qu’il y a eu des périodes où les relations entre la Fédération CJA et la CSUQ étaient un peu tendues. Ce n’est plus cas. Aujourd’hui, ces relations sont à leur apogée. Pour la Fédération CJA, la CSUQ est un partenaire de choix. La CSUQ se distingue notoirement par la grande qualité et la riche diversité de ses programmes : jeunesse, culture, social, avec le programme Hessed… Je suis un grand fan de l’excellent Camp Benyamin, que mes filles ont fréquenté et adoré.
Benjamin Bitton, directeur général de la CSUQ, accomplit un travail extraordinaire. Karen Aflalo, présidente de la CSUQ, et son prédécesseur, Jacques Saada, ont grandement contribué au renforcement des relations entre les deux institutions.
Je n’ai jamais considéré la CSUQ comme un organisme dédoublant les programmes offerts par la Fédération CJA, mais comme un partenaire majeur de celle-ci. Dans un futur pas trop lointain, je suis convaincu que la CSUQ pourrait offrir ses programmes d’excellence – « Best of class » – pas seulement aux Sépharades, mais aussi aux anglophones et, pourquoi pas, même en français.
En cette période d’inflation galopante, le coût faramineux de la viande casher pénalise fortement les familles de notre communauté observantes. Pour la CSUQ, le Dossier « Cacherout » en est un prioritaire. Cette institution est intervenue plusieurs fois, en vain, auprès du Vaad Ha’ir pour essayer d’aborder cette question épineuse. Ce dossier est-il aussi important pour la Fédération CJA ?
La Fédération CJA est très consciente de ce problème et suit de près ce dossier sensible. Cependant, je crois que c’est une question rabbinique qui relève de la Halakha, en l’occurrence l’interdiction d’importer à Montréal de la viande casher provenant d’ailleurs. Les Rabbins montréalais doivent faire preuve de courage et trouver ensemble une solution à ce problème qui effectivement pénalise grandement de très nombreuses familles juives pratiquantes, particulièrement en cette période de forte inflation où le coût des aliments explose. Je crois que la Fédération CJA sortirait de son champ de compétence si elle s’immiscait dans le dossier de la cacherout. En attendant, la Fédération CJA continue d’alléger le fardeau financier de certaines familles en subventionnant plusieurs initiatives permettant d’apprécier une vie juive stimulante à Montréal.
Quels sont les principaux défis auxquels la Fédération CJA fait face aujourd’hui ?
Un enjeu important est la relève du leadership, aussi bien bénévole que professionnel. Nous voulons encourager les jeunes à envisager l’option de faire une carrière professionnelle à la Fédération CJA ou à s’impliquer bénévolement.
Un autre grand défi : les changements que notre communauté a connus au cours des dernières années. Celle-ci est beaucoup plus diverse qu’il y a trente ou vingt ans. Par exemple, la communauté haredi est en pleine croissance.
La philanthropie et les approches pour gérer celle-ci constituent aussi un grand défi, notamment en ces temps de forte inflation. La Campagne de l’AJU 2023 est ambitieuse, objectif : 36.8 millions de dollars. Elle est présidée par un leader communautaire remarquable, David Cape.
Un autre défi de taille : la rétention de nos jeunes à Montréal. Leur exode vers Toronto ou New York n’est plus aussi commun, mais nous devons tout faire pour assurer la pérennité de cette communauté que nous aimons tant. Nous nous dévouons pour que les jeunes familles juives envisagent avec optimisme leur futur à Montréal. Continuer à avoir des écoles juives de qualité, que la Fédération CJA subventionne largement, est un atout important pour les retenir.
Comment envisagez-vous l’avenir de la Communauté juive de Montréal ?
Avec un grand optimisme. Je crois fermement que Montréal est l’un des meilleurs endroits au monde, en dehors d’Israël, où l’on peut mener une vie juive très épanouie. Nous avons d’excellentes relations avec les gouvernements fédéral, provincial et municipal, qui comprennent les préoccupations majeures de notre communauté, notamment en matière de sécurité et de lutte contre l’antisémitisme. Ils apprécient notre contribution à la société. Nous allons continuer à tabler sur le futur avec optimisme et détermination.