Rencontre avec le célèbre humoriste Gad Elmaleh

« Mon rapport avec la langue française est une jubilation permanente »

par Elias Levy

Gad Elmaleh. (Crédit photo : AKO-Audrey Knafo)

Un vrai tabac! Les 7 000 billets du nouveau spectacle de Gad Elmaleh, D’ailleurs, qu’il a présenté au Centre Bell le 30 octobre dernier, se sont écoulés en quelques jours.

Ses très nombreux fans montréalais attendaient impatiemment le grand retour du célèbre humoriste. Une fidélité mutuelle coriace qui ne s’est jamais démentie.

Ce soir-là, face à une foule imposante et bigarrée en pleine liesse, Gad Elmaleh nous a donné une leçon magistrale de vivre ensemble. La mixité culturelle qu’il véhicule dans ses spectacles était à son zénith. Un véritable baume en ces temps maussades de crispations identitaires. Quand les lumières du Centre Bell se sont rallumées, on pouvait voir beaucoup de voiles musulmans et de kippas. Pour Gad Elmaleh, en dépit des nombreux écueils auxquels se heurte aujourd’hui le dialogue judéo-musulman, voir tous les soirs des Juifs et des Musulmans s’esclaffer ensemble, c’est un grand privilège et un signe très prometteur pour l’avenir.

« Pour moi, ce retour à Montréal, après la période très difficile de la pandémie de COVID-19 que nous avons tous vécue, ce sont de doubles retrouvailles : avec le public québécois, que je n’ai pas vu depuis longtemps, et avec la Communauté sépharade de Montréal, à laquelle je suis très attaché », nous a dit Gad Elmaleh au cours de l’entrevue qu’il a accordée à La Voix sépharade.

Ce dernier n’a jamais oublié que c’est à Montréal, dans le cadre d’une pièce de théâtre sépharade, qu’il a amorcé sa carrière artistique. Il a vécu au Québec de 1988 à 1992.

« J’ai avec la Communauté sépharade de Montréal une relation très particulière. L’artiste que je suis est né à la Quinzaine sépharade de Montréal, manifestation culturelle annuelle organisée par la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ). Il ne faut pas l’oublier, c’est quelque chose de très important pour moi. J’ai toujours pensé qu’il faut vraiment se souvenir de ses débuts pour pouvoir être solide sur le chemin d’une carrière. Il ne faut jamais oublier les fondements, les racines, les points de départ, c’est ce qui nous permet de nous en détacher avec amour pour prendre notre envol. Les repères dans une vie sont fondamentaux. C’est à la Quinzaine sépharade que j’ai fait mes premiers pas artistiques grâce à deux brillants créateurs culturels et metteurs en scène montréalais, les regrettés Solly Levy et Carlo Bengio. »

Gad Elmaleh a toujours revendiqué avec une grande fierté ses racines judéo-marocaines. Se considère-t-il comme un humoriste sépharade?

« Totalement. Je me définis avant tout comme un humoriste francophone et marocain. Mais sépharade, c’est très juste aussi parce que mon humour est nourri par ma culture sépharade. C’est un humour de l’exil, du déracinement, identitaire et non pas communautaire, puisque j’ai la profonde conviction que ma spécificité a aussi une portée universelle. Plus on est particulier, plus on est singulier, plus on touche la planète entière. Le grand écrivain Michel Tremblay peut être lu à l’autre bout du monde parce qu’il est très pointilleux en ce qui a trait à sa culture québécoise. Plus on s’assume, plus on est ce qu’on est, plus on touche le monde. »

Dans ses sketches, Gad Elmaleh ne cesse de jongler et de réinventer des mots et des expressions de la langue française. Quel rapport entretient-il avec celle-ci?

« Mon rapport avec la langue française est une jubilation permanente. Celui-ci est fortement marqué par ma culture marocaine. En effet, quand on a un œil extérieur sur une langue, on peut la déconstruire, la réinventer, jouer avec elle, la soumettre à une torsion dans sa forme elle-même. Feu Raymond Devos, que j’admire beaucoup, déconstruisait les mots pour en faire de l’absurde. Moi, j’aime réinventer la langue française pour prendre la liberté de donner à ses mots un sens nouveau, tout en m’autorisant à les recréer, et non à les détourner. Ça vient sûrement du mélange de cultures arabe et française que je porte en moi. Le français « cassé », comme disent les Africains du Nord, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, je le pratique constamment pour pouvoir faire rire avec. »

Sortir de sa zone de confort en français pour se produire sur scène en anglais aux États-Unis et dans les autres pays anglo-saxons n’a pas dû être un exercice aisé pour celui qui est considéré comme l’un des humoristes les plus populaires de France et de la Francophonie.

« L’aventure américaine, ou plutôt anglophone, puisque j’ai quasiment fait le tour du monde avec mon spectacle en anglais, c’est une grande fierté, un grand « achievement ». Je suis sorti totalement de ma zone de confort comme vous dites. J’ai pris beaucoup de risques, mais j’ai aussi appris énormément sur le plan professionnel. Mais à un moment donné, j’avais un choix à faire. Mes enfants me manquaient. Or, si on veut faire carrière quelque part, il faut y rester. »

Gad Elmaleh a vécu trois ans aux États-Unis.

« J’ai été très heureux en Amérique. Mon expérience américaine m’a aidé pour ce que j’ai fait ensuite en français. Ce savoir acquis peut s’appliquer à n’importe quelle langue. Le bilan est très positif. Mais, je me sens profondément francophone, le français est ma langue de création. J’ai adoré travailler en anglais, mais je suis un artiste dont l’outil, dont l’arme, dont la spécificité n’est même pas la langue française, mais ma langue française! J’étais bien heureux de retrouver mon public en français. »

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