Prier avec cœur

J’ai appris à prier en observant ma mère. Enfant, j’épiais sans vergogne la section des femmes à la synagogue et j’étais sidéré par la fervente kavanah (intention), avec laquelle ma mère priait. Cette expérience de jeunesse a contribué à élucider pour moi le choix qu’ont fait les rabbins quant aux lectures de la Torah à Roch Hachanah.
À l’origine, Roch Hachanah a été instituée comme une fête solennelle de deux jours, à la fois en Israël et en diaspora. Lors d’une rare situation de consensus, les rabbins de la Michna ont unanimement décidé que les chapitres 21 et 22 de Béréchit seraient lus respectivement le premier et le deuxième jour du Nouvel An.
« Le premier jour de Roch Hachanah, nous lisons l’histoire de Sarah notre matriarche, et de la naissance de Yitzhak, notre patriarche, et le deuxième jour, nous lisons l’histoire de Akédath Yitzhak, la ligature de Yitzhak. » (TB Méguila 31a)
Il est surprenant que les sages n’aient pas choisi Akédath Yitzhak, la ligature de Yitzhak, comme la première et principale lecture de Roch Hachanah, puisqu’elle relate l’épreuve la plus importante de la foi inébranlable d’Abraham en D.ieu. De nombreux poèmes, dont certains sont récités à Roch Hachanah, décrivent les événements dramatiques de la ligature d’Isaac, mon préféré étant Oked VéHanékad. Cette lecture serait vraiment appropriée pour le premier jour de Roch Hachanah, pourtant les sages ont choisi le récit moins palpitant de la naissance de Yitzhak.
Rachi et Rabbénou Nissim suggèrent que Sarah imménou, notre matriarche, a conçu Yitzhak le jour de Roch Hachanah, ce qui explique pourquoi on a donné préséance à cette lecture.
La parole suivante des rabbins nous apporte un autre point de vue :
« À Roch Hachanah, D.ieu s’est rappelé de Sarah, Rachel et Hannah.»(TB Roch Hachanah 11a)
En effet, la lecture de la Torah du premier jour de Roch Hachanah commence ainsi : « Et D.ieu s’était souvenu de Sara ». Ce souvenir est particulièrement touchant, et pertinent du point de vue de l’effort spirituel qui nous est demandé en ce jour solennel. Immédiatement après l’incursion militaire d’Abram contre les cinq rois de Canaan, D.ieu se manifeste à lui :
« La parole du Seigneur se fit entendre à Abram, dans une vision, en ces termes : « Ne crains point, Abram : je suis un bouclier pour toi; ta récompense sera très grande ».» (Béréchit 15:1)
Abram répond en disant :
« « Dieu-Éternel, que me donnerais-tu, alors que je m’en vais sans postérité et que le fils adoptif de ma maison est un Damascénien, Eliézer? » » (Béréchit 15:2).
D.ieu promet une descendance à Abram et conclut une alliance avec lui, connue sous le nom de Berit Bein Habetarim, ou « l’alliance entre les morceaux ». Ce récit dramatique du chapitre 15 est suivi de celui de la naissance de Yichmaël, fils de Hagar, la servante égyptienne de Sarah. Le texte biblique nous suggère l’impression que la naissance d’Ismaël est la réalisation de la promesse de D.ieu à Abram à l’effet que sa descendance hériterait de sa maison et de la Terre d’Israël. Pour sa part, Abram considère que son destin sera accompli puisqu’il a un fils, et c’est exactement ainsi qu’il interprète la naissance de Yichmaël. Or D.ieu répète plus tard à Abraham la promesse de lui donner un fils :
« D.ieu dit à Abraham : « Saraï, ton épouse, tu ne l’appelleras plus Saraï, mais bien Sarah. Je la bénirai en te donnant, par elle aussi, un fils; je la bénirai, en ce qu’elle produira des nations et que des chefs de peuples naîtront d’elle. Abraham tomba sur sa face et sourit; et il dit en son cœur « Quoi! Un centenaire engendrerait encore! Et à quatre-vingt-dix ans, Sarah deviendrait mère! » » (Béréchit 17:15-17).
Puis Abraham prononce ces paroles mystérieuses :
« « Yichmaël ne pourrait-il vivre devant Toi? » » (Béréchit 17:17)
Abraham rit à l’idée que Sarah puisse porter son enfant et considère la promesse réalisée avec la naissance de Yichmaël. Pour Abraham, malgré le changement du nom de son épouse de Saraï à Sarah, tout comme un « hé » a été ajouté à son propre nom, Sarah n’était pas destinée à participer à la promesse d’une descendance. Abraham et Yichmaël suivent le commandement de D.ieu et se font circoncire. Mais la promesse d’une descendance n’est pas encore accomplie.
Trois anges rendent visite à Abraham et sont invités à s’abriter à l’ombre de sa tente et à s’y restaurer. Ils informent alors leurs hôtes que Sarah donnera naissance à un fils « à pareille saison ». Sarah, ayant surpris la conversation :
« … rit en elle-même, disant, « Flétrie par l’âge, ce bonheur me serait réservé! Et mon époux est un vieillard! » » (Béréchit 18:12)
Sarah elle-même doute de ce qu’elle entend. Le destin se joue alors qu’elle est apparemment mise à l’écart. Personne ne s’adresse à elle directement. C’est ce contexte qui rend le premier verset du chapitre 21 aussi poignant :
« Or, D.ieu s’était souvenu de Sarah, comme Il l’avait dit et Il fit à Sarah ainsi qu’Il l’avait annoncé. » (Béréchit 21:1)
Ce verset explique pourquoi nous lisons ce chapitre à Roch Hachanah. Les vingt-et-un premiers chapitres du Livre de la Genèse (Béréchit) constituent, dans un certain sens, le prélude à cet événement. La Torah relate ainsi la réaction de Sarah :
« « D.ieu m’a donné une félicité et quiconque l’apprendra me félicitera. » Elle dit encore « Qui eût dit à Abraham que Sarah allaiterait des enfants? Eh bien, j’ai donné un fils à sa vieillesse! » » (Béréchit 21:6-7)
Sarah célèbre le miracle de D.ieu. C’est une occasion de se réjouir, de rire et de s’émerveiller, et aussi de réfléchir aux surprises de la vie. Le nom même de Yitzhak porte en lui la nature de ce miracle pour la postérité. Le mot hébreu « rire » (tzhok) est inscrit dans les consonnes « tz, h, k » du nom de Yitzhak.
Comme Sarah, Hannah, dont on lit l’histoire dans la haftarah1Passage d’un livre des Prophètes lu à la synagogue le Chabbat et les jours de fête après la lecture de la paracha (péricope ou passage de la Torah). de Roch Hachanah, s’est aussi sentie abandonnée et a imploré D.ieu. Au cours de son pèlerinage à Chilo, Hannah prie en silence et avec grand désespoir pour devenir mère. Eli HaCohen, le Grand Prêtre, la réprimande, pensant que sa prière silencieuse est un signe d’ébriété. « Non, monseigneur, répond-elle, je suis une femme tourmentée qui livre son cœur à D.ieu. »
Les lectures de Roch Hachanah nous parlent des femmes qui nous ont appris à prier. Nous aussi, nous nous tournons vers D.ieu dans le désespoir, ou en proie à un sentiment d’abandon. Nous Lui livrons notre cœur et L’implorons pour nous-mêmes et pour nos êtres chers.
Le rire de Sarah est complexe. Il traduit la tension entre la perspective d’une joie sans bornes et la réalité cruelle du temps qui passe. Serait-ce possible? Seule une foi profonde peut dissiper le doute. Sarah, comme tant de nos mères, a survécu grâce à sa seule foi. D.ieu est caché dans le monde de Sarah, d’où notre soulagement quand on lit « Or, D.ieu s’était souvenu de Sarah ». Elle n’a jamais été abandonnée – sa foi silencieuse, tout comme celle de Hannah, a été récompensée.
Non seulement D.ieu se souvient de Sarah, mais Il lui donne l’occasion de prendre l’initiative de s’approprier la bénédiction promise au profit de son fils Yitzhak. Sarah exige que Yichmaël soit renvoyé : « Le fils de cette esclave n’héritera point avec mon fils, avec Yitzhak » (Béréchit 21:10).
Malgré les scrupules et les hésitations d’Abraham, D.ieu intercède à nouveau en faveur de Sarah. Elle ne sera pas mise à l’écart, cette fois. C’est le seul passage de tout le Tanakh2Collection canonique des écritures bibliques hébraïques comprenant le Pentateuque (la Torah), les livres des Prophètes (Nevi’im) et les Hagiographes (Ketouvim). dans lequel D.ieu s’adresse au prophète en ces termes :
« Mais D.ieu dit à Abraham : « … pour tout ce que Sarah te dit, obéis à sa voix ».» (Béréchit 21:12)
L’ensemble de cette lecture de la Torah porte sur l’espoir et sur la réalisation des promesses de la vie. D.ieu se souvient de chacun de nous. C’est précisément pourquoi les sages ont choisi cette lecture pour le premier jour de Roch Hachanah, afin de nous rappeler que D.ieu est miséricordieux et qu’Il n’abandonne jamais Ses créatures. Ces passages de la Torah nous rappellent aussi que ce sont nos matriarches qui nous ont appris à prier. Que leur zékhout, leur mérite, veille sur nous toutes et tous, et ébranle la volonté divine pour que grâce et bienveillance soient accordées à leurs enfants.
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