Les femmes du Mossad, l’honneur d’Israël

« Aujourd’hui, le Mossad est certainement l’institution la plus féministe d’Israël »

Elias Levy

Elias Levy

Dans un livre haletant, Les amazones du Mossad. Au cœur des services secrets israéliens (Éditions Saint-Simon, 2022), qui se lit comme un thriller, Michael Bar-Zohar et Nissim Mishal relatent les vies hors normes et les missions spectaculaires des plus grandes espionnes d’Israël.
Michael Bar-Zohar, ex-député travailliste de la Knesset, biographe de David Ben Gourion et de Shimon Peres, est l’un des meilleurs spécialistes israéliens du renseignement.
Nissim Mishal est un journaliste politique israélien renommé.
Michael Bar-Zohar a accordé, par Zoom, une entrevue à La Voix sépharade depuis sa résidence à Tel-Aviv.

Michael Bar-Zohar

Michael Bar-Zohar. (Photo : Éditions Saint-Simon)

C’est une histoire peu connue que vous nous relatez dans ce livre.

C’est une histoire fascinante, peu connue en effet, parce que dans l’imaginaire populaire, on a toujours associé le Mossad à des hommes costauds et machos, des James Bond inoxydables ! Or, on est à mille lieues de la réalité. Le Mossad n’est plus une institution hypermasculine. De nombreuses femmes, occupant des postes clés, y œuvrent aussi. De ferventes patriotes très audacieuses, vouant un amour inconditionnel à Israël, originaires des quatre coins du monde : Égypte, Liban, Pologne, France, Angleterre, Australie, Amérique du Sud, États-Unis, Canada…

Avez-vous été contraint de soumettre votre livre à la censure militaire avant sa publication ?

Oui. Je suis habitué. J’ai écrit des livres sur le Mossad, le Shin Beth — les services de sécurité intérieure d’Israël —, la biographie du premier chef du Mossad, Isser Harel… Dévoiler des noms, ça peut paraître anodin, mais on peut mettre en danger la vie d’agents du Mossad opérant dans des capitales arabes ou révéler des secrets d’État. C’est pourquoi les noms des héroïnes de ce livre sont fictifs. Durant l’écriture, j’imaginais face à moi des agents du Moukhabarat, les services de renseignement ennemis, scrutant à la loupe mon livre afin de débusquer la moindre information pouvant leur servir pour traquer des agents du Mossad.

Les amazones du Mossad

Le Mossad s’est donc féminisé au fil des années.

Dans les années 50, les femmes qui travaillaient au Mossad tapaient des rapports à la machine à écrire et servaient le café à leurs supérieurs. Mais ces derniers ont fini par réaliser qu’une femme pouvait traverser une frontière plus facilement qu’un homme. Et qu’un couple se baladant dans la capitale d’un pays ennemi était moins suspect qu’un homme déambulant seul dans une rue. Les femmes peuvent accéder à des endroits inaccessibles aux hommes. Les chefs du Mossad ont aussi pris conscience que les femmes ont des qualités qui font défaut aux hommes. Elles sont plus opiniâtres, ont un sens de l’improvisation inouï et n’ont certainement pas le même ego gonflé que les hommes. Elles ont un caractère plus inventif et créatif, savent mieux s’adapter face à des situations périlleuses.

Le profil des agentes du Mossad a considérablement évolué.

Aujourd’hui, le Mossad est certainement l’institution la plus féministe d’Israël. Les femmes constituent désormais 47% des recrues du Mossad. On les appelle (Lohemet), terme hébreu signifiant « guerrières ». Elles composent plus de 40% des unités opérationnelles, 30% des chefs d’équipe. Elles assument des fonctions majeures : cheffes de divisions, cybernéticiennes, ingénieurs en informatique, cryptologues… Elles continuent à gravir les échelons de la hiérarchie. Elles participent à des missions très complexes et à haut risque : vols d’archives, cyberattaques au virus contre des laboratoires, assassinats ciblés de hauts dirigeants de pays ennemis, attaques de sites militaires suspects, mitraillages téléguidés de convois transportant des cadres du programme nucléaire iranien… À ce jour, aucune femme n’a été tuée au cours d’une opération. Leur sélection est impitoyable. Le sang-froid des candidates est rudement mis à l’épreuve : pression psychologique, simulacres d’enlèvement…

Quelles sont les principales exigences du Mossad à l’égard de leurs nouvelles recrues féminines ?

Pendant de nombreuses années, les femmes recrutées par le Mossad devaient signer préalablement un document confidentiel dans lequel elles s’engageaient à ne pas avoir d’enfant durant cinq ans. Un réel sacrifice. Des agents hommes pouvaient s’absenter deux ou trois ans pour acquérir une spécialité à l’université, mais une femme n’avait pas droit à un congé de maternité. Heureusement, cette politique insensée et des plus inéquitables a été abolie. Cependant, avant d’être recrutée, le Mossad interviewe ensemble la candidate et son conjoint. Celui-ci devra tolérer les absences impromptues et régulières de sa femme (en moyenne une dizaine de longues missions par année). Durant ces absences, il devra s’occuper des enfants, de la maison… Le recrutement ne se concrétisera pas tant que le conjoint n’aura pas accepté ces conditions drastiques. Pour encourager les candidatures féminines, le Mossad a publié dernièrement cette publicité dans les principaux journaux d’Israël : « Recherche femmes puissantes. Peu importe votre passé, ce qui compte c’est qui vous êtes devenue. »

Vous expliquez que contrairement à une légende tenace, la beauté physique d’une femme n’est pas l’un des principaux critères de recrutement du Mossad.

En effet, le Mossad préfère embaucher des femmes au physique insignifiant qui se feront moins remarquer que des beautés ravageuses. On n’a jamais demandé à une femme d’user de ses charmes physiques durant une mission. Il y a eu une exception, Cheryl Bentov, alias « Cindy », une Américaine qui, en 1986, piégea, en le séduisant, le technicien israélien Mordechai Vanunu, qui venait de révéler à un journal britannique des détails sur le programme nucléaire israélien. Vanunu fut ensuite enlevé à Rome par le Mossad et ramené en Israël où il purgea une peine de dix-huit ans de prison. Mon ami, feu Mordechai Nissiaou, était marié à une femme petite de taille, grassouillette et très timide. Chaque fois que je leur rendais visite, elle était assise dans un coin et parlait très peu. J’ai été sidéré quand j’ai découvert qu’elle était la Mata Hari d’Israël, ayant participé à des opérations secrètes très risquées. Elle a été la première femme à avoir pris part à une mission du Mossad : l’enlèvement du nazi Adolf Eichmann en Argentine au début des années 60.

Vous narrez le parcours d’une espionne d’origine canadienne surnommée Yaël, dont les faits d’armes sont spectaculaires.

Yaël était une proche amie. Elle est décédée en 2021, en Israël, à l’âge de 85 ans. Née en Ontario, elle a grandi à Princeton, dans le New Jersey, où son père, un physicien renommé, était chercheur. En 1967, quand éclata la guerre des Six Jours, elle décida de partir en Israël. Le Mossad ne tarda pas à la recruter. Pendant quatorze ans, elle a mené des missions très audacieuses dans des capitales arabes, notamment à Beyrouth. En 1981, elle recueillit à Bagdad des renseignements capitaux qui ont permis à Tsahal de bombarder le réacteur nucléaire construit par Saddam Hussein avec l’aide de la France. Yaël fut l’une des plus grandes amazones du Mossad, mais la plupart de ses missions restent classifiées à ce jour. Un ancien chef du Mossad, Tamir Pardo, m’a dit un jour : « Si nous devions décorer Yaël de toutes les médailles et distinctions qu’elle a reçues, il n’y aurait pas assez de place sur sa poitrine. »

Qu’une femme dirige un jour le Mossad, ce n’est plus une chimère.

L’ancien chef du Mossad, Yossi Cohen, m’a dit que son plus grand rêve est de voir prochainement une femme à la tête des services de renseignement d’Israël. Jusqu’à il y a deux ans, Aliza Magen, était la numéro 2 du Mossad. Personne n’a été étonné lorsqu’elle a été nommée à ce poste. Cette super-espionne a une feuille de route très marquante. Elle a joué un rôle déterminant dans des faits d’armes majeurs des services secrets israéliens. Mais elle a démissionné soudainement récemment. Elle m’a confié : « Pour travailler au Mossad, il faut avoir un esprit d’ouverture et aimer les émotions fortes. Une petite étincelle doit absolument briller dans nos yeux. J’ai senti un jour que cette étincelle avait disparu. »
Une photo est restée gravée dans ma mémoire. En 2019, lors de la remise du très prisé Prix de la Sécurité d’Israël au Mossad, on y voit trois hommes, l’ancien président d’Israël, Reuven Rivlin, l’ancien premier ministre, Benyamin Netanyahu, et l’actuel chef d’état-major de Tsahal, Aviv Kohavi, et une femme de dos, dont seule l’initiale du nom est mentionnée, « L » (« Lamed », en hébreu). Cette agente du Mossad, qui parle couramment le farsi, a joué un rôle déterminant dans une opération spectaculaire menée en Iran en 2018. Celle-ci a permis à Israël de saisir, dans un entrepôt de Téhéran, des centaines de dossiers, renfermant quelque 50 000 pages, ainsi que 183 CD contenant 55 000 fichiers électroniques, détaillant les diverses phases du programme nucléaire iranien. Une prouesse inouïe. Quelques jours plus tard, Benyamin Netanyahou présenta à la presse internationale ces preuves irréfutables incriminant l’Iran.

Le Mossad a-t-il retardé la mise en œuvre du projet nucléaire iranien ?

Je peux répondre à cette question en citant un article, intitulé « L’enfant prodige d’Israël », publié en 2010 dans le plus important journal égyptien, Al-Ahram. Celui-ci rappelait que le projet nucléaire iranien a été retardé grâce à l’ingéniosité d’un homme, Meir Dagan, ancien chef du Mossad, décédé en 2016. Vols de documents et d’archives, assassinats de savants iraniens travaillant dans le projet nucléaire, attaques cybernétiques ciblées… ont permis au Mossad d’entraver temporairement les velléités nucléaires de l’Iran. Mais tous les chefs du Mossad partagent la même analyse : on ne pourra pas retarder éternellement le projet nucléaire iranien. Ils ne conseillent pas au gouvernement d’Israël d’attaquer les sites nucléaires iraniens, à moins qu’un couteau soit sous notre gorge. Je crains que ce moment fatidique ne soit arrivé.

Que deviennent ces espionnes lorsqu’elles quittent le Mossad ?

L’après-Mossad est une épreuve difficile pour beaucoup d’entre elles. Après avoir vécu pendant de nombreuses années dans un univers où on leur a appris à user d’une double identité, à mentir, à manipuler, à tuer… leur retour à une vie normale n’est pas facile. Certaines, par contre, s’impliquent activement dans des œuvres humanitaires, sociales ou éducatives.

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