« La pandémie de COVID-19 a eu de lourdes conséquences sur les jeunes ». Entrevue avec la Dre Mimi Israël, psychiatre

« Les adolescents qui commençaient leur puberté, qui suivaient leurs études depuis leur domicile en mode virtuel, ont été profondément affectés par la pandémie »

Elias Levy

Elias Levy

La pandémie de COVID-19 a eu des impacts néfastes sur le bien-être et la santé mentale d’un grand nombre de Québécois. Les adolescents ont été tout particulièrement affectés.
Nous avons discuté de cette question avec une spécialiste en santé mentale, la Dre Mimi Israël, psychiatre, au cours d’une entrevue qu’elle a accordée à La Voix sépharade.
La Dre Mimi Israël est cheffe médicale du continuum des troubles de l’alimentation de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, psychiatre consultante auprès d’équipes communautaires de soins en santé mentale de première ligne et professeure agrégée de psychiatrie à l’Université McGill.
Elle a été cheffe du Département de psychiatrie du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de Montréal, cheffe du Département de psychiatrie de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et directrice du Département de psychiatrie de l’Université McGill.

la Dre Mimi Israël

La Dre Mimi Israël. (Photo : Institut Douglas)

Il est important d’établir une nuance entre la santé mentale et la maladie mentale.

Oui. C’est un sujet très vaste. La santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, gérer son stress, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté. Des facteurs de stress majeurs, tels que ceux que nous avons subis durant la pandémie, peuvent entraver notre santé mentale.
Les maladies mentales se caractérisent par des altérations de la pensée, de l’humeur ou du comportement associées à un état de détresse et de dysfonctionnement. Les plus communes sont : la dépression et les troubles anxieux. Dans les cas moins sévères, elles ne nous empêchent pas de fonctionner, mais affectent notre qualité de vie. Par exemple, une personne très anxieuse évitera à tout prix de se retrouver dans certaines situations pour ne pas être confrontée à des crises de panique. Il y a aussi des maladies mentales moins courantes mais plus sévères : les psychoses, la schizophrénie, la maladie bipolaire… La liste est longue.

Quel a été l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale des Québécois ?

Elle a eu un effet néfaste, et parfois dévastateur, sur nos vies, sans exception. Connaissez-vous quelqu’un qui n’a pas trouvé très dures les multiples mesures sanitaires imposées pour juguler la pandémie ? Celle-ci a aussi affecté des personnes habituellement très fonctionnelles qui gèrent bien leur stress. La détresse n’a pas été qu’individuelle ou familiale, mais aussi sociale. Une large part de l’humanité a vécu dans l’incertitude la plus totale, dans la peur. Chaque jour, les nouvelles dont nous étions abreuvés étaient de plus en plus sombres : le nombre de morts ne cessait de croître, les médias sociaux nous bombardaient d’images épeurantes, des êtres très chers ayant contracté la COVID-19 décédaient de façon prématurée… Nous ne pouvions pas rendre visite à l’hôpital, ou dans un CHSLD, à un notre mère ou père très âgé. Nous étions confrontés à un sentiment d’impuissance.

Quel a été le groupe d’âge le plus touché par la pandémie ?

Tous les groupes vulnérables, à cause de leur âge ou de l’état de leur santé physique, ont été durement touchés par la pandémie. Mais le groupe d’âge qui a attiré le plus l’attention des professionnels de la santé, ce sont les enfants et, particulièrement, les adolescents. Ce constat flagrant n’était pas inattendu, mais plutôt logique. Il a été largement documenté. Les adolescents qui commençaient leur puberté, qui suivaient leurs études depuis leur domicile en mode virtuel, ont été profondément affectés par la pandémie. L’adolescence est une période de croissance et de développement mental et social. L’isolement a été pour eux une épreuve très ardue. L’incapacité d’interagir avec leurs amis a eu certes un effet très négatif sur leur développement. Les adolescents sont dans un âge où leurs parents ne sont plus les personnes les plus importantes dans leur vie, ce sont leurs amis. Ne plus pouvoir les fréquenter, ne plus aller à l’école, leur a fait perdre des repères fondamentaux. Une jeune fille que je traite m’a dit : « Je retourne à l’école en présentiel, je ne sais plus quoi porter comme vêtements ? » Le retour sur les bancs d’école a amplifié l’anxiété sociale chez des adolescents.

Y a-t-il eu des études sur la santé mentale des jeunes pendant la pandémie ?

Je participe actuellement à une étude sur le taux de suicide, le taux d’hospitalisation et l’augmentation des troubles de l’alimentation chez les jeunes pendant la pandémie. Les données fournies par l’Hôpital de Montréal pour enfants et le CHU Sainte-Justine, plus faciles à colliger que dans le cas des adultes, dénotent une augmentation importante des hospitalisations, des accueils à l’urgence et des tentatives de suicide, surtout de jeunes filles. La pandémie a eu de lourdes conséquences sur les jeunes.

Que devraient faire les parents qui constatent que leur enfant a des idées suicidaires ?

Quand les parents pressentent que quelque chose ne tourne pas rond chez leur enfant, ils ne doivent pas hésiter à lui demander ce qui ne va pas. Si le dialogue est difficile, l’encourager alors à en parler à un proche, un oncle, une sœur, un professeur… Si votre enfant vous confie qu’il broie des idées noires ou suicidaires, il faut impérativement demander de l’aide. Cette première démarche est capitale. Dans notre société, le suicide est un sujet tabou et en même temps un phénomène très courant. Il faut agir précocement et intervenir dès qu’on décèle chez un jeune des pensées suicidaires. Il ne faut pas attendre que sa détresse s’accentue. Il y a diverses façons d’aider votre enfant et de lui donner des raisons de vivre.

Quelles sont les ressources disponibles ?

Il existe de multiples ressources pour aider des jeunes aux prises avec des idées suicidaires et leurs proches : la ligne Info-Santé 811 –à ne pas confondre avec la ligne Urgence 911– ; consulter les informations disponibles sur les sites Web de prévention du suicide : Prévenir le suicide | Gouvernement du Québec (quebec.ca); appeler l’Association québécoise de prévention du suicide 1-866-APPELLE (1-866-277-3553); se rendre à un CLSC pour consulter un professionnel en santé mentale… Il existe aussi des centres de crise : Centres de crise du Québec (centredecrise.ca). L’Hôpital de Montréal pour enfants a créé récemment une clinique, le Spot Montréal, pour offrir des soins spécialisés aux jeunes ayant des pensées suicidaires ou fait des tentatives de suicide.

Nombreux sont les citoyens qui se plaignent du manque de ressources en santé mentale.

Malheureusement, depuis le début de la pandémie, la demande de services en santé mentale a augmenté significativement. Mais, à cause du nombre élevé de professionnels de la santé contraints de s’absenter en raison de la COVID-19, il y a eu une dimunution des ressources. Il y a eu aussi un détournement des ressources en santé mentale vers les unités médicales soignant les personnes atteintes de la COVID-19. Nous faisons donc face à une iniquité entre la demande et la disponibilité des ressources existantes. Les services en santé mentale ont toujours été le cousin pauvre dans notre système de santé. J’aimerais pour autant rappeler que le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Christian Dubé, reconnaît que cette pénurie de ressources est grave et que prendre soin de la santé mentale des Québécois doit être une priorité. Moi-même, je suis confrontée à cette pénurie de professionnels, ayant de la difficulté à pourvoir plusieurs postes dans les programmes que je dirige. C’est une situation effectivement difficile au moment où la demande de services en santé mentale a augmenté d’une façon très importante à cause de la pandémie.

La médicalisation excessive des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale est-elle un mythe ou une réalité ?

La médicalisation n’est pas toujours nécessaire. On peut arriver à soulager la détresse, l’anxiété… par l’entremise de thérapies qui ont fait leurs preuves. Les thérapeutes disponibles, médecins, psychologues, travailleurs sociaux… jouent un rôle important dans ces traitements.

Les immigrants ne constituent-ils pas un groupe vulnérable dont la santé mentale se détériore après leur arrivée au pays ?

Oui. Lors de leur arrivée au Québec dans les années 60, 70 et 80, les Sépharades ont été aussi confrontés aux difficultés de l’intégration. La première génération d’immigrants sépharades, celle de nos parents, se sentait vulnérable. Elle a transmis son anxiété à leurs enfants. Les groupes d’immigrants successifs ont dû aussi composer avec cette dure réalité. Les études sur cette question sont très éloquentes: les enfants d’immigrants ont des valeurs et des façons d’aborder la vie différentes de celles des Canadiens de la même génération nés au pays. Ce sentiment d’insécurité s’est fortement atténué chez la 3e génération. Le meilleur antidote pour endiguer cette insécurité est de s’appuyer sur des facteurs de protection : la famille, les amis, réaliser qu’on n’affronte pas tout seul les problèmes.

Les défis en matière de santé mentale seront certainement très grands dans les années à venir ?

Oui. La pandémie a transformé le monde et radicalement changé nos modes de vie. Elle a eu pour effet d’accroître notre niveau de stress. D’autres sources de stress sont aussi omniprésentes dans notre vie : une inflation vertigineuse, l’état critique de notre planète, la crise climatique, des guerres qui font rage dans les quatre coins du monde, des alliances politiques radicales… Pour une famille, quand les prix à l’épicerie sont multipliés par quatre et les salaires n’augmentent pas, ça crée un niveau de stress très élevé qui altère la santé mentale.

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