Dialogue intergénérationnel à la CSUQ

« Poursuivre le travail remarquable que les bâtisseurs de notre communauté ont accompli au cours des six dernières décennies me paraît essentiel » – Ariella Elmaleh

« C’est mon identité sépharade qui m’a motivé à présenter ma candidature au CA de la CSUQ » – Raphaël Uzan

Elias Levy

Elias Levy

Bien que deux générations les séparent, ils partagent le même souci : assurer l’avenir de l’identité et de la culture sépharades au Québec.

Voici le fruit d’un dialogue à bâtons rompus entre deux leaders communautaires sépharades chevronnés, Henri Elbaz et Marc Kakon, et deux jeunes adultes récemment élus au nouveau conseil d’administration (CA) de la CSUQ, Ariella Elmaleh et Raphaël Uzan.

Henri Elbaz, ancien directeur général de l’Hôpital général juif, a été à deux reprises président de la Communauté sépharade, de 1983 à 1985 et de 2016 à 2018.

Marc Kakon, homme d’affaires, a été président de la CSUQ de 2008 à 2013.

Ariella Elmaleh, 30 ans, ergothérapeute à l’Hôpital général juif, a suivi, pendant deux ans, le programme de leadership de la CSUQ.

Raphaël Uzan, 20 ans, fraîchement diplômé en droit de l’Université de Montréal, a été membre du CA de la Congrégation Spanish & Portuguese.

Dialogue Intergénérationnel à la CSUQ

De gauche à droite : Raphaël Uzan, Henri Elbaz, Marc Kakon (assis) et Ariella Elmaleh. (Photo : Roland Harari)

Qu’est-ce qui a motivé ces deux jeunes sépharades à briguer un siège au CA de la CSUQ ?

« En 2019, j’ai participé au voyage « Retour aux sources », au Portugal, en Espagne, à Gibraltar et au Maroc, organisé par la CSUQ. Lors de notre séjour au Maroc, j’ai quitté le groupe une journée pour visiter Safi, ville natale de ma mère. J’ai retrouvé la maison où elle est née et sillonné les ruelles où elle a passé son enfance. Cette expérience mémorielle m’a profondément marquée. J’ai pris alors réellement conscience de la grandeur de mon identité et de l’importance de perpétuer celle-ci. C’est ce qui m’a surtout motivée à soumettre ma candidature au CA de la CSUQ. Poursuivre le travail remarquable que les bâtisseurs de notre communauté ont accompli au cours des six dernières décennies me paraît essentiel », nous a confié Ariella Elmaleh.

La question identitaire est aussi capitale pour Raphaël Uzan.

« Je suis fier d’être porteur d’une identité sépharade forte, marocaine du côté de ma mère et tunisienne du côté de mon père. Ils m’ont transmis un héritage historique et culturel merveilleux que je tiens absolument à préserver. L’identité sépharade est de retour en force dans le monde juif. Par exemple, dans la pop culture juive, le séphardisme revient à la mode dans les études juives, la musique, les arts, l’art culinaire… particulièrement en Israël. C’est mon identité sépharade qui m’a incité à présenter ma candidature au CA de la CSUQ. Cette institution est la seule apte à préserver et transmettre à la jeune génération l’héritage culturel sépharade et ses valeurs cardinales. »

Pour Marc Kakon et Henri Elbaz, la relève est vitale pour l’avenir de la Communauté sépharade.

« S’il n’y a pas de relève, il n’y aura pas de continuité. C’est pourquoi durant mon mandat, j’ai insisté pour que la CSUQ instaure un nouveau programme, que je considère fondamental pour assurer une relève de qualité : le voyage « Retour aux sources ». Ce périple à travers les terroirs berceaux du séphardisme, Espagne, Maroc, Portugal, est l’occasion pour de jeunes sépharades de renouer avec leurs racines identitaires. Sans nos jeunes, notre communauté n’a pas de futur. C’est pourquoi il est impératif que la CSUQ confère une place importante à ces derniers dans ses instances décisionnelles », dit Marc Kakon.

Henri Elbaz abonde dans le même sens.

« La relève est essentielle. La communauté sépharade a un grand atout : ses jeunes. Lors des programmes de formation de cadres de la CSUQ, j’ai rencontré de jeunes adultes, hommes et femmes, ayant les qualités d’un vrai leader. Nous devons leur céder la place, les encourager et les soutenir, sinon ils s’impliqueront ailleurs. Laissons-leur la liberté de définir leur propre vision de l’avenir. »

« Quels sont pour vous les dossiers importants ? », a demandé Henri Elbaz aux deux nouveaux membres du CA de la CSUQ.

Pour Ariella Elmaleh, deux dossiers lui semblent prioritaires : la jeunesse et les personnes âgées.

« Durant ma jeunesse, j’ai participé aux camps Kif Kef et Benyamin de la CSUQ. Une expérience extraordinaire et inoubiable qui m’a donné, des années plus tard, le goût de m’impliquer activement sur le plan communautaire. Des amitiés coriaces se nouent dans ces camps jeunesse. Il est impératif de maintenir et de renforcer ces programmes d’excellence pour les jeunes. Les personnes âgées sont les êtres les plus vulnérables de notre société. Bon nombre d’entre elles vivent dans un isolement extrême. Elles ont réellement besoin d’aide. J’aimerais que la CSUQ mette sur pied un programme de bénévolat qui aura pour mission d’apporter un peu de réconfort à

des membres du troisième âge esseulés. Des jeunes pourraient leur rendre visite à leur domicile, les accompagner au médecin, les aider à faire leurs courses… »

Les dossiers prioritaires pour Raphaël Uzan : la continuité et l’« Outreach » (sensibilisation).

« La CSUQ doit former la prochaine relève. Que signifie aujourd’hui être Sépharade ? Ce mot n’a pas la même signification pour les jeunes sépharades de ma génération, nés au Canada, qu’il avait pour nos parents, immigrants de la 1ère génération. Le séphardisme au Québec a connu des mutations importantes au cours des trois dernières décennies. La barrière linguistique et culturelle qui séparait jadis Ashkénazes et Sépharades s’est estompée progressivement. Aujourd’hui, les jeunes issus des deux communautés sont bilingues, fréquentent les mêmes cégeps et universités, se marient entre eux… Nous sommes une communauté sépharade, majoritairement francophone, très fière de ses racines identitaires, mais bien distincte de celle de l’époque de nos parents. Les priorités et les défis ne sont plus les mêmes. La continuité est essentielle, mais doit prendre en considération ces nouvelles réalités. L’« Outreach », sensibiliser les jeunes sépharades non impliqués communautairement, devrait être aussi une priorité majeure. »

Que pensent Henri Elbaz et Marc Kakon des priorités communautaires énoncées par leurs interlocuteurs ?

Henri Elbaz : « Ça fait vraiment plaisir de voir des jeunes comme vous s’impliquer bénévolement et prendre à cœur l’avenir de notre communauté. Dans l’engagement communautaire, on construit et on se bâtit. Contribuer bénévolement à sa communauté, ça élève notre personne et notre âme, et ça nous ouvre de nouveaux horizons. La meilleure leçon de leadership, c’est l’implication communautaire.

Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos actions. Je m’aligne entièrement sur vos priorités : les personnes âgées et la jeunesse sont deux dossiers très importants. En ce qui a trait aux personnes du troisième âge, je ne peux que vous encourager à développer un programme afin de leur prodiguer un soutien concret. En ce qui concerne les jeunes, pour les attirer, nous devons absolument leur proposer des programmes d’excellence. »

Marc Kakon : « Bravo pour vos priorités. Les miennes étaient semblables quand j’ai entamé ma présidence à la CSUQ : aider les jeunes, les personnes âgées et les membres les plus démunis de notre communauté. C’est pourquoi j’ai créé le programme social Hessed, qui prodigue une aide rapide à des familles sépharades très démunies matériellement. Depuis mon plus jeune âge, je me suis toujours soucié des conditions de vie de mes coreligionnaires les moins nantis. C’est normal. Ceux qui ont des moyens financiers et ne font rien pour les autres, c’est anormal. C’est ma conception du judaïsme. C’est ce principe qui m’a incité à m’impliquer bénévolement dans la communauté juive. »

Marc Kakon et Henri Elbaz ont tenu à souligner l’importance du « patrimoine culturel sépharade » dans la mission de la CSUQ.

« Le principal atout de la CSQ est la richesse et la force de la culture sépharade, qui a séduit les Ashkénazes. Celle-ci est synonyme de noblesse, joie de vivre, tolérance et générosité. Nous devons continuer à la perpétuer et à la transmettre aux nouvelles générations. La culture sépharade est aussi une passerelle qui rapproche la communauté sépharade et la société québécoise francophone », rappelle Marc Kakon.

Pour Henri Elbaz, l’une des raisons d’être de la CSUQ est la conservation de l’héritage culturel sépharade.

« La culture sépharade est un authentique trésor. Regrettablement, beaucoup de Sépharades ne sont pas conscients de la richesse de cet héritage millénaire –traditions, histoire, liturgie…–, qui est une merveille à découvrir. »

Raphaël Uzan et Ariella Elmaleh espèrent-ils que les jeunes adultes élus dernièrement au CA de la CSUQ soient porteurs de changements ?

« Je préfère les termes « prioriser » ou « orienter » plutôt que « changer », dit Raphaël Uzan. Prioriser notre héritage sépharade en développant les programmes qui le pérennisent : les voyages « Retour aux sources » en Israël, au Maroc, en Espagne, au Portugal; les camps Kadima, Yahad… Des expériences marquantes et formatrices pour les jeunes qui renforcent leurs liens avec le séphardisme. Il faut continuer à investir dans ces programmes. Un autre de mes soucis : la gestion des archives de notre patrimoine culturel et historique. La CSUQ est la légataire d’une riche histoire communautaire. Il faudrait qu’elle se dote d’une structure adéquate pour recueillir et abriter les archives de la Communauté sépharade. »

En siégeant au nouveau CA, Ariella Elmaleh espère contribuer modestement au bon avancement de la CSUQ.

« La voix de jeunes nouveaux venus au sein du CA sera certainement un atout positif. Par ailleurs, on ne peut que se réjouir de la nomination d’une femme leader dynamique et très expérimentée, Karen Aflalo, à la présidence de la CSUQ. C’est un choix perspicace et fort encourageant. »

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