Kehilla, l’immeuble pas comme les autres

Sylvie Halpern

 

 

 

 

 

Depuis deux ans, un bâtiment de dix étages s’élève dans le ciel de Côte-Saint-Luc, où le dimanche matin, on se dit Shavua tov (bonne semaine). Première réponse de la communauté à la crise du logement social, cette initiative a vraiment changé des vies.

La bâtisse aurait pu se contenter d’être confortable – elle aurait déjà calmé l’anxiété des personnes seules, des jeunes couples et des familles en précarité psychologique ou matérielle qui y habitent -, mais en plus elle est belle et on y sent une heureuse dynamique. En seulement deux ans, cet espace érigé pour répondre à des situations de crise est devenu un véritable lieu de vie et tout y a été pensé pour y développer un sentiment de bien-être et d’appartenance. Kehilla 1 a ouvert les portes de ses 68 logements au printemps 2020, en pleine pandémie, et quelque 160 personnes y vivent aujourd’hui. Rebecca Lévy, la directrice générale de l’organisme de charité montréalais du même nom qui a fait construire cet immeuble de logement social selon les meilleures normes de l’industrie, assure que « leur vie a vraiment changé ».
Dès le départ à Kehilla, on a voulu favoriser la mixité. Pas seulement parce que l’immeuble abrite 30 logements d’une chambre, 19 de deux et autant de trois pour répondre aux besoins de ses occupants, mais parce que la nature des unités diffère : la moitié consiste en appartements abordables dont le loyer est inférieur à ceux du marché, l’autre en logements sociaux subventionnés par l’Office municipal d’habitation de Montréal (l’OMHM). Dans ces derniers, les locataires paient un loyer basé – et réévalué chaque année – sur 25 % de leurs revenus et l’OMHM, la différence.
Sous l’égide de la Fédération CJA, l’organisme de charité Kehilla Montréal a obtenu une subvention dans le cadre du programme Accès Logis de la Ville de Montréal et de la Société d’habitation du Québec. Ce qui lui a permis de créer sa filiale, le Groupe Kehilla, l’organisme à but non lucratif qui est propriétaire de ce premier immeuble de Côte-Saint-Luc et tente de conjuguer budget viable et loyers accessibles. Mais, fort de cette première initiative dont une récente étude de l’Université Concordia a souligné tout l’impact positif sur ses occupants, le Groupe n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin.
« Il y a des besoins énormes en matière de logement social, dit Rebecca Lévy. Nous sommes ouverts à tous, mais notre principal objectif est de répondre aux besoins pressants de notre communauté ». D’ailleurs, si les fonds publics ont assuré ses fondations, c’est bien parce que des donateurs communautaires se sont largement impliqués que ce premier immeuble a surgi encore plus chaleureux. Ainsi, chaque unité a été remise équipée de toute la gamme des plus récents électroménagers, et salle et jardin communautaires viennent renforcer l’illusion de vivre dans des condominiums.
Pas étonnant que la liste d’attente – de plus de 450 demandeurs – ne cesse de s’allonger. Par un système de pointage très transparent, Kehilla a créé un comité d’adhésion avec le Centre Cummings, l’Agence Ometz et la Ville de Montréal, qui identifie les candidats le plus en besoin. Outre les critères financiers de l’OMHM, on attribue des points à ceux qui éprouvent des difficultés psychologiques, psychosociales ou familiales – ainsi des femmes victimes de violences conjugales, des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale… – ou qui vivent dans des conditions de surpeuplement.

Mais pour trouver une solution à cette crise généralisée, l’organisme n’écarte aucune avenue. En ciblant les quartiers – Côte-Saint-Luc, Côte-des-Neiges, NDG et Saint-Laurent – où des membres de la communauté sont en demande. « Au départ, nous étions concentrés sur le développement de nouveaux projets, explique Rebecca Lévy, mais vu le ralentissement et le coût de la construction, vu les effets de la pandémie, nous travaillons également à l’acquisition de vieux immeubles que nous rénoverons »; par l’entremise d’hypothèques octroyées par la SCHL, ce qui évidemment prend du temps.
Initiative extraordinaire que Kehilla vient de démarrer, c’est ce programme d’allocations au logement communautaire qui est entièrement financé par des donateurs privés de la communauté et par la campagne de fonds annuelle. Concrètement, en attendant de pouvoir leur offrir des logements, l’organisme a déjà commencé à aider les demandeurs dans le besoin à payer leur loyer, peu importe où ils habitent actuellement.
Tout ceci est formidable, mais révèle, et Rebecca Lévy le déplore, l’absence de politique de logement social : « Et cela nous ralentit considérablement. Nous devons travailler avec les municipalités pour développer ces politiques. Kehilla est vraiment un projet innovateur au cœur de Côte-Saint-Luc, mais nous aurions besoin d’un coup de pouce quand nous voulons développer un projet : en facilitant les changements de zonage, en nous exemptant de taxes foncières pendant dix ans… Ça nous permettrait de faire encore beaucoup plus! »

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