Avraham Elarar : La passion des livres anciens et sépharades

Elie Benchetrit
Elie Benchetrit

Elie Benchetrit

 

 

 

 

 

Les collectionneurs de toute sorte d’objets, que ce soient des timbres jusqu’aux voitures de course miniatures en passant par les soldats de plomb sans oublier les cartes à l’effigie des sportifs toutes catégories confondues, sont légion. Avraham Elarar, homme d’affaires et président en exercice de la Fédération Sépharade du Canada, n’échappe pas à cette marotte propre à tout collectionneur. Pour lui, c’est une passion, une véritable histoire d’amour qui occupe ses nuits parfois jusqu’au petit matin. En effet, cet amoureux de l’histoire et de la culture sépharade collectionne des livres de judaïca et il ajoute avec un sourire complice séfardica, ayant trait aux textes écrits par d’illustres auteurs rabbiniques sépharades depuis de nombreux siècles. Il adore partager avec son interlocuteur cet intérêt pour les ouvrages qu’il collectionne et qu’il n’hésite pas à nous montrer.

Avraham Elarar dans sa bibliothèque

À 35 ans, il commence à s’intéresser à l’acquisition de livres anciens, mais pas n’importe lesquels. En effet, cet homme féru d’histoire sépharade et fier de ses traditions se situant bien au-delà de ce que l’on pourrait définir comme du folklore au premier degré tient à se référer lors de l’achat de chacun de ses livres à trois critères : l’auteur doit être sépharade, l’ouvrage doit être imprimé dans une imprimerie sépharade, et enfin et surtout l’imprimeur doit faire partie d’une communauté sépharade. En tenant compte de ses conditions, Avraham nous informe qu’il compte dans sa bibliothèque plus de 250 ouvrages, dont le plus ancien remonte à 1537, des folios incunables de 1493 et le manuscrit original « Minhat Yehuda » écrit par Rabbi Yehudah ibn Attar en 1713 à Fès.

Avraham tient à préciser que ces ouvrages sont achetés aux enchères généralement aux États-Unis (Kestenbaum & Company N.Y et Virtual Judaica Inc) et parfois en Israël et en Espagne. Souvent ces livres sont en mauvais état en raison de leur ancienneté et du manque de mesures visant à assurer leur sauvegarde. Avraham procède à leur envoi à des relieurs spécialisés, des « book rebuilders », car dit-il, « un livre ne se limite pas à son contenu, il est surtout le témoin d’une époque, il partage notre quotidien en subissant la même température et le même taux d’humidité, il nous accompagne dans nos recherches et nous raconte son histoire depuis son impression ».

À ce sujet, il nous précise qu’il classifie ses ouvrages selon quatre catégories : les « Drashot ou Divré Torah », les interprétations de la Halakha comme certains ouvrages de Maïmonide, des traités philosophiques et finalement des textes portant sur le mysticisme tels que la Kabbala. Mais il tient à préciser que ce qui le fascine le plus, ce sont les commentaires écrits à même l’ouvrage faits par des lecteurs et en particulier des rabbins de renom. Il cite le cas de l’ouvrage « Shoresh Yishai » écrit en 1561 par le même auteur du cantique sublime que nous chantons le vendredi soir « Lékha Dodi » composé par le Rabbin Shlomo Alkabetz. Cet ouvrage qui fait partie de sa collection a appartenu à Rabbi Hayyim ben Habib He-Hasid Toledano, rabbin à Fès et Meknès qui annota plusieurs commentaires sur le livre lui-même. Ces commentaires, nous précise Avraham, rendent l’ouvrage encore plus précieux. Nous apprenons que Rabbi Shlomo Alkabetz est issu d’une famille de nombreux érudits. Son grand-père, également un Shlomo Alkabetz, a été le premier imprimeur de Guadalajara, en Espagne, en 1476, seize ans seulement avant que l’Espagne n’expulse une partie précieuse de sa population intellectuelle – ses Juifs.

Le lieu d’impression constitue pour Avraham un critère d’importance majeure. Il nous rappelle que le premier livre imprimé en Afrique le fut au Maroc, à Fès en 1516. Il s’agit d’un ouvrage de David Abudarham écrit en 1339, ce qui correspond à une période marquée par un grand engouement pour le mysticisme en Espagne et se résume à un manuel très émouvant portant sur la manière de faire les prières. Son éditeur fut Shmuel ibn Itzhak Nédivot et Fils. Malheureusement après l’impression de quatre livres, il fallut attendre l’an 1919 pour assister de nouveau à l’impression d’ouvrage au Maroc. Cette absence de diffusion d’ouvrages, marque, selon Avraham, un déclin relatif de la communauté juive marocaine dont il ignore les causes pour l’instant. Il émet l’hypothèse d’une baisse démographique dans les communautés sépharades du Maghreb et d’une forte natalité dans les communautés ashkénazes d’Europe. Cette hypothèse renforce sa certitude en observant une montée fulgurante des textes imprimés en Europe par la communauté ashkénaze, graphique à l’appui.

Il faut cependant noter que la production littéraire des rabbins marocains ne s’est pas arrêtée à ceci près que ceux-ci se sont déplacés en Europe pour faire imprimer leurs ouvrages, Moshe Alfalas en 1597 et Abraham Azoulay en 1650 à Venise, et d’autres à Livourne, en Italie chez Abraham Meldola, Eliahou Benamozegh, à Amsterdam aux Pays-Bas et à Constantinople dans l’Empire ottoman. Les ouvrages imprimés ne dépassaient pas 200 exemplaires, les acheteurs se limitant aux rabbins sur place, aux synagogues et aux mécènes.

Pour conclure, Avraham nous présente deux livres antinomiques de sa collection, écrits en français. Le premier écrit en 1683 et imprimé à la Haye aux Pays-Bas par Monsieur Fleury, confesseur du roi Louis XIV ayant pour titre « Les Mœurs des Israélites » (la grandeur du Judaïsme) dont il ne reste pas plus de 3 exemplaires dans le monde, et l’autre aux antipodes des thèses défendues par le premier et dont l’auteur est Paul-Yves Pezron, paru à Paris en 1687 « L’antiquité des temps rétablie et défendue contre les juifs et les nouveaux chronologistes » exposant un antisémitisme hideux.

Avraham a créé le site responsa.org où il a répertorié 110 000 livres imprimés ainsi que 16 000 auteurs pour informer l’avancée de ses recherches et les partager avec les bibliophiles et chercheurs qui partagent sa passion.

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