Initiatives gouvernementales et actions du CIJA contre l’antisémitisme
2021 aura été le triste théâtre d’une explosion inédite d’antisémitisme au Canada. 1
Dans la foulée de la pandémie de la COVID-19 ont resurgi de vieux clichés antisémites que l’on pensait ne plus revoir dans nos sociétés modernes. Et puis en marge de la pandémie, la guerre lancée par le Hamas en mai 2021 contre Israël et ses civils a déclenché également une vague inattendue d’attaques contre les juifs dans le monde.
« Le nombre de crimes haineux contre les Juifs est passé de 34 en 2019 à 42 en 2020, soit un saut de presque 24 %. Il a déjà grimpé à 37 pour la première moitié de 2021, une tendance inquiétante » 2 .
Un tel fléau impose une action à plusieurs niveaux, que ce soit la sensibilisation de l’opinion publique ou l’action auprès des différents paliers de gouvernement. Depuis le début de cette recrudescence de l’antisémitisme, le CIJA, dont le mandat est de préserver, protéger, défendre et promouvoir les intérêts de la communauté juive, a été sur le pied de guerre.
Reconnaître l’antisémitisme
Tout d’abord, il a été important d’expliquer que les incidents rapportés constituaient de l’antisémitisme. En effet, force est de constater que certains ne considèrent pas nécessairement les insultes, attaques ou menaces contre les Juifs comme étant constitutifs d’antisémitisme.
Le CIJA n’a eu de cesse de travailler avec les différentes instances gouvernementales afin d’attirer l’attention sur la situation et leur demander de réagir face aux attaques dont étaient subitement victimes des Canadiens, ciblés uniquement parce que juifs.
L’appel du CIJA a été entendu à tous les niveaux.
Ainsi le 26 mai 2021, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité une motion condamnant la hausse des incidents antisémites.
« Que l’Assemblée nationale dénonce fermement les menaces, violences et agressions envers les Québécois de confession juive, lesquelles ont augmenté dans les dernières semaines;
Qu’elle réaffirme que dans une société libre et démocratique, tous peuvent manifester ou exprimer une opinion, dans le respect, la sécurité et de la dignité;
Qu’elle réitère la nécessité de maintenir un débat sain et démocratique concernant le conflit israélo-palestinien;
Qu’enfin, elle rappelle qu’en tout temps, la violence est intolérable envers quiconque. »
Toujours face aux débordements antisémites des manifestations de mai 2021, le premier ministre Justin Trudeau a immédiatement déclaré : « Je suis profondément troublé par les nouvelles récentes faisant état d’actes antisémites à Montréal et ailleurs au pays. Cette intimidation et cette violence sont absolument inacceptables et doivent cesser immédiatement. Aucune forme de haine n’a sa place au Canada. » Le ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Benoit Charette de déclarer : « Le droit de manifester en est un réel. Cependant, le vandalisme et les propos haineux n’ont pas leur place. Ils ne favorisent en rien le vivre-ensemble auquel le Québec est en droit de s’attendre. »
De même, la cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade : « Les actes survenus lors d’une manifestation à Montréal aujourd’hui doivent être condamnés. Unissons-nous contre le racisme, la violence, l’intimidation, l’intolérance et l’antisémitisme. Le Québec est un endroit de tolérance, d’ouverture et de paix. »
Et enfin Valérie Plante, mairesse de Montréal a également déclaré : « Montréal a la réputation bien méritée d’être une ville avec différentes communautés qui vivent ensemble dans la paix et la sécurité. Manifester est un droit, mais l’intolérance, la violence et l’antisémitisme n’ont pas leur place chez nous. Montréal est une ville de paix ».
Au niveau municipal, Lionel Perez, chef de l’Opposition officielle à la Ville de Montréal, a soumis le 7 juin dernier une motion au conseil de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce dénonçant la situation et prévoyant que le Conseil municipal dénoncera toute forme d’antisémitisme et assurera la sécurité des Juifs. Le 14 juin 2021, le Conseil municipal de la Ville de Montréal adoptera finalement une motion visant à dénoncer l’antisémitisme, les menaces et violences contre les Juifs à Montréal.
L’importance de l’éducation
La mission d’alerte ne va pas sans une mission d’éducation et il s’avère que le premier obstacle dans la lutte contre l’antisémitisme est la définition même de cette forme de racisme.
Le CIJA mène ainsi un travail depuis des années pour sensibiliser l’opinion publique et la classe politique sur le vrai visage de l’antisémitisme qui n’a eu de cesse au cours des siècles de muter. Et le CIJA a concentré ses efforts au niveau de l’adoption de la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA).
Cette définition non contraignante décrit l’antisémitisme comme « une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard » et dirigée contre « des individus juifs ou non juifs et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »
Tous ces efforts ont porté fruit et le 9 juin 2021 le gouvernement du Québec, à l’initiative du ministre Benoit Charette, a officiellement adopté cette définition. Quoique non contraignante, la définition de l’IHRA permet néanmoins de mieux appréhender le phénomène et de prévenir des débordements comme ceux auxquels on a pu assister en Europe et ailleurs.
Un sommet national sur l’antisémitisme
Face à la hausse préoccupante des actes antisémites, le CIJA a organisé à l’été 2021 une campagne auprès du public canadien (Agissons! www.agissons. ca) afin d’exhorter le gouvernement fédéral à organiser un sommet d’urgence devant déboucher par la suite sur des actions concrètes.
Des dizaines de milliers de Canadiens répondent à l’appel qui sera entendu par le gouvernement fédéral. Un sommet sur l’antisémitisme aura ainsi lieu le 21 juillet 2021.
L’événement a permis de réunir plusieurs organismes de la communauté juive qui ont exposé devant le premier ministre Justin Trudeau, des ministres fédéraux, des députés et des représentants provinciaux et municipaux, les préoccupations et inquiétudes des communautés juives partout au Canada, mais aussi de leur présenter des pistes de solutions.
Le CIJA a pu y présenter des propositions politiques concrètes axées sur le renforcement de la sécurité, l’éducation, et des initiatives juridiques précises. Premièrement, davantage d’investissements dans le Programme de financement des projets d’infrastructures de sécurité pour les collectivités à risque (PFPIS) ont été recommandés afin d’accroître la capacité des communautés à risque à assurer la protection de leurs institutions.
Le CIJA a également recommandé de compléter le PFPIS par une initiative offrant aux communautés la capacité d’endiguer les menaces et d’assumer une part de responsabilité dans la protection de leurs institutions communautaires et des usagers, tout en apportant un soutien et une assistance aux forces de l’ordre locales.
Enfin, le CIJA a conseillé de désigner des « personnes de référence » au sein des forces de l’ordre – aux niveaux local et national ainsi que dans les services de renseignement – pour assurer la liaison avec la communauté juive organisée. Ce personnel spécialisé devrait avoir la capacité et le mandat de fournir des informations opportunes sur les menaces, les dé-veloppements et
les meilleures pra-tiques en matière de sécurité com-munautaire, ainsi que de répondre aux préoccupations qui émergent au sein de la communauté juive.
En ce qui concerne le volet éducation, le CIJA a évoqué le besoin d’améliorer l’éduca-tion sur l’antisémitisme dans les programmes scolaires canadiens et de lancer une ini-tiative spéciale partout au pays pour lutter contre les contenus toxiques qui circulent en ligne.
Ainsi a été proposée une campagne nationale de littératie numérique visant à éduquer et à sensibiliser les Canadiens à la puissance des médias sociaux et au rôle qu’ils jouent dans les comportements destructeurs (intimidation, harcèlement, intimidation, diffusion de contenu haineux, menaces directes et ciblage de personnes vulnérables).
En s’appuyant sur la récente conférence du CIJA sur la haine en ligne (qui a eu lieu en avril) 3 , la campagne de sensibilisation aux médias sociaux serait complétée par une législation régissant les obligations des plateformes de médias sociaux en matière de surveillance de la haine sur leurs sites et de mise en œuvre de mesures préventives et correctives afin de garantir que les plateformes sont sûres et ne sont pas exploitées comme instruments de haine.
Enfin, le CIJA a recommandé le développement d’un manuel et d’un cours de formation pour le personnel de l’IDE (Inclusion, diversité et équité) des commissions scolaires publiques, comprenant l’étude de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA et son application comme guide pour comprendre les manifestations de l’antisémitisme.
Finalement pour lutter de façon efficace contre l’antisémitisme, le CIJA a recommandé plusieurs mesures visant les domaines policiers et juridiques :
• Créer des unités spécialisées en crimes haineux au sein de tous les services du maintien de l’ordre sur l’ensemble du territoire canadien.
• Utiliser la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’IHRA pour se doter d’une définition uniforme des « crimes haineux » antisémites qui servirait de norme dans tout le pays pour ce qui constitue un crime motivé par la haine.
• Renforcer la formation des agents de l’ordre, des procureurs de la Couronne, des procureurs généraux et du système judiciaire concernant l’antisémitisme, savoir comment le reconnaître et quelles réponses appropriées apporter aux incidents antisémites, y compris une approche plus ferme en matière d’enquêtes sur les crimes haineux présumés et le dépôt d’accusations criminelles liées aux crimes haineux.
À l’issue de ce sommet, le gouvernement s’est engagé à porter une attention continue sur les efforts déployés, a reconnu le bien fondé des propositions, a annoncé le financement de 150 projets dans le cadre du Programme PFPIS, le soutien aux mesures visant à améliorer l’éducation à l’antisémitisme et la lutte contre la haine en ligne.
Victime ou témoin d’un acte antisémite : que faire?
Il convient de ne pas hésiter à signaler tout acte suspect au Réseau de sécurité communautaire de la Fédération CJA qui pourra vous aider à entamer des démarches auprès des autorités et qui a également pour mission d’assurer une liaison avec les forces de l’ordre.
Si vous êtes victime ou témoin d’un crime haineux (attaque physique, prolifération de menaces, graffitis antisémites) ou en situation d’urgence, composez le 9-1-1. Par la suite, appelez la ligne d’urgence de la Fédération CJA au 514 343-4343.
Dans le cas d’un incident haineux (acte non criminel comme la distribution de matériel offensant ou insécurisant ou encore des insultes haineuses en personne ou en ligne), il convient de remplir un rapport d’incident haineux 4, disponible en ligne, afin que l’incident soit relayé aux équipes compétentes. Par ailleurs pour tous propos antisémites en ligne ou dans les médias, n’hésitez pas à contacter le CIJA à l’adresse info@cija.org
***
L’on ne vient pas à bout d’un tel fléau en quelques semaines, voire quelques années, mais nous pouvons nous réjouir que les gouvernements, tant provincial que fédéral, prennent la mesure du problème et marquent une volonté réelle de s’investir dans la lutte contre l’antisémitisme. Bien que les Juifs soient les cibles de cette forme de haine particulière, la contrer est la responsabilité collective de tous les Canadiens.
Notes:
- Cet article a été rédigé à la fin août 2021. ↩
- Source : SPVM, tel que repris dans La Presse : https://www.lapresse.ca/actualites/grand montreal/2021-07-16 crimes-et-incidents-haineux/une-augmentation-inquietante-en-2020.php ↩
- Voir https://www.actionsummit.ca/?lang=fr ↩
- https://rapportenligne-onlinereport.spvm.qc.ca/dors/fr/startreport/100000200/100739700/fr ↩
Les commentaires sont fermés.