Initiatives de la communauté juive pour combattre l’antisémitisme : un bref historique
En 1983, l’Allied Jewish Community Services (AJCS), ancêtre de la Fédération CJA, initia un projet interculturel très novateur : Action rapprochement. Objectif : encourager la compréhension mutuelle entre des élèves du niveau primaire d’écoles juives et non juives dans le cadre de rencontres régulières.
« Ce projet était destiné aux enfants de huit ans. On se basait sur une étude menée en anthropologie qui avait démontré que c’est à partir de cet âge-là que les préjugés s’intensifient et prennent racine. Lors des rencontres, qui se déroulaient alternativement dans une école juive ou non juive, les animateurs utilisaient un matériel didactique spécialement conçu pour favoriser les échanges interculturels entre les élèves », se rappelle la première directrice du Projet Action rapprochement, Arielle Sebah-Lasry.
Des séances de formation étaient données pas seulement aux animateurs, mais aussi aux enseignants afin de leur fournir les outils pédagogiques adéquats pour initier les enfants aux réalités interculturelles des deux communautés.
« Les élèves apprenaient à se découvrir mutuellement sur la base du français. Ce projet à permis de renforcer l’enseignement du français dans les écoles juives et aux enfants non juifs de prendre conscience de ce qu’ils partageaient en commun avec leurs petits camarades juifs », ajoute Arielle Sebah-Lasry.
Ce projet inédit, qui a duré six ans, a rejoint des centaines d’élèves.
« Ces rencontres nous paraissaient nécessaires à une époque où l’interculturalisme n’était pas encore à la mode, dit Arielle Sebah-Lasry. Les élèves ont découvert à travers ces rencontres fort stimulantes des mondes qu’ils méconnaissaient totalement. En concevant le Projet Action rapprochement, la communauté juive a été l’une des pionnières dans le domaine, alors quasi inexistant, du rapprochement interculturel ».
Le Projet Action rapprochement a fait des émules. En 1996, la Fédération CJA a été la conceptrice d’un autre projet de rapprochement interculturel qui a laissé des traces indélébiles dans la société québécoise : la Fondation de la tolérance.
Des personnalités québécoises renommées, juives et non juives, Marc Gold, Lucien Bouchard, feu Yoine Goldstein, Raymond Bachand, feu Herbert Marx… siégeaient dans le conseil d’administration de cette fondation autonome à but non lucratif.
Les Caravanes de la tolérance étaient le principal projet éducatif parrainé par la Fondation de la tolérance. Des ateliers de sensibilisation mobiles et interactifs enrichis d’une exposition de photos, d’écrits et de vidéos. Le tandem d’animateurs s’adaptait chaque fois aux groupes rencontrés afin de les sensibiliser aux valeurs de respect, d’ouverture et de tolérance. Objectif : susciter chez les jeunes une réflexion autour des questions liées à l’intolérance. Les ateliers destinés au deuxième cycle du secondaire abordaient des questions relatives aux préjugés, de même que leurs liens avec la discrimination sous toutes ses formes.
Au Québec, les Caravanes de la tolérance ont rejoint quelque 10 000 élèves de diverses confessions religieuses.
Ce projet a été opérationnel jusqu’en 2011. Ensuite, d’autres organismes éducatifs s’en sont inspirés pour poursuivre en milieu scolaire un travail de sensibilisation aux réalités interculturelles et lutter contre les préjugés discriminatoires.
« Monette Malewski a été l’une des grandes visionnaires de ce projet qui sortait des sentiers battus. Celui-ci a rassemblé les forces vives de la société québécoise. Il a indéniablement contribué à sensibiliser des milliers de jeunes Québécois aux conséquences pernicieuses de toutes les formes de discrimination, pas seulement l’antisémitisme, aux valeurs de tolérance et à l’importance du vivre-ensemble, un concept qui n’était pas très en vogue dans les années 90 », nous a dit Louise Sultan, première directrice générale de la Fondation de la tolérance, fonction qu’elle a assumée pendant cinq ans.
Une autre initiative qui a contribué à ériger des passerelles entre Québécois juifs et non juifs : la revue culturelle Jonathan.
Fondée en 1981 par l’universitaire et écrivain Victor Teboul, alors directeur du Comité Québec-Israël, cette publication avait comme mandat de faire connaître la diversité autant de la société israélienne que québécoise, tout en rendant compte des multiples facettes de l’identité juive.
Des intellectuels indépendantistes québécois réputés, tels que Gérald Godin et Pierre Bourgault, ont découvert les multiples facettes d’Israël et se sont rapprochés de la communauté juive grâce au remarquable travail de sensibilisation réalisé par Victor Teboul par le truchement de Jonathan.
« Pierre Bourgault, faut-il le rappeler, avait la réputation dans la communauté juive anglophone de ne pas être très tendre à l’égard d’Israël et des Juifs de langue anglaise du Québec, rappelle Victor Teboul. Au cours d’un voyage en Israël, il fut carrément impressionné par la société israélienne. C’est dans sa chronique du quotidien The Gazette qu’il fit part de ses impressions, et de manière retentissante, comme seul Bourgault pouvait le faire : « Personne ne m’a jamais suggéré, même de la manière la plus subtile, que je puisse être antisémite parce que j’étais en désaccord avec quelque chose ou quelqu’un, écrivait-il au sujet des rencontres qu’il fit en Israël. Personne n’a jamais tenté de me culpabiliser à cause des drames vécus par les Juifs depuis des siècles ou des problèmes qui assaillent aujourd’hui les Israéliens (…) J’ai été témoin de scènes où des Juifs critiquaient d’autres Juifs en présence d’un non-Juif. C’était là un spectacle rafraîchissant. Les Israéliens sont le meilleur remède contre l’antisémitisme. Ils sont à la fois ouverts et généreux, fiers et fragiles, unis sur les principes, mais divisés devant les méthodes, sublimes et ordinaires. Bref, ils sont ce qu’ils sont », écrivit-il », relate Victor Teboul, qui a fondé en 2002 le journal en ligne Tolérance.ca.
La revue Jonathan fut publiée pendant cinq ans. Cet automne, Victor Teboul a commémoré avec éclat le 50e anniversaire de la revue en lui consacrant une publication spéciale.
Dans les années 90, un éminent neurochirurgien québécois, feu Georges Ouaknine, organisa, avec le concours du Comité Canada-Israël, une série de voyages en Israël auxquels participèrent des médecins et des chirurgiens de divers hôpitaux québécois qui découvrirent l’excellence médicale israélienne et se familiarisèrent avec le système de fonctionnement du réseau hospitalier de ce pays.
Au début des années 90, le Comité Québec-Israël, présidé alors par Thomas Hecht, publiait Le Lien, un bulletin d’information trimestriel en français sur Israël et la communauté juive québécoise destiné aux élus de l’Assemblée nationale du Québec. Une publication qui contribua certes à tisser des liens entre la classe politique et la communauté juive québécoises.
Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) favorise aussi le rapprochement entre Juifs et non-Juifs en conviant annuellement des élus politiques et des étudiants non-Juifs à découvrir sur le terrain les nombreuses facettes, très souvent méconnues, d’Israël.
La Communauté sépharade unifiée du Québec chercheure à l’UDM de formation prof. à l’UQAM(CSUQ) a lancé, en2016, un programme de dialogue interculturel, « Pour une citoyen-neté réussie au Québec entre Juifs, Musulmans, Arabes et Berbères originaires d’Afrique du Nord », qui connaît un grand succès, qui favorise le vivre-ensemble en tablant sur un dialogue franc et fécond entre Juifs et Musulmans 1.
Le Centre Hillel s’escrime depuis longtemps à déboulonner les préjugés antisémites en organisant des activités à caractère interconfessionnel auxquelles participent des étudiants de diverses confessions religieuses, principalement musulmans.
« Ces rencontres interreligieuses permettent à des étudiants juifs et musulmans de mieux se connaître et d’amorcer un dialogue constructif. Cependant, les étudiants participant à ces rencontres évitent toujours d’aborder le sujet qui fâche : le sempiternel conflit israélo-palestinien », dit Simon Bensimon, directeur général du Centre Hillel de 2000 à 2006.
Grâce à ses nombreux programmes éducatifs, le Musée de l’Holocauste de Montréal est en première ligne dans la lutte contre les stéréotypes antisémites et racistes.
Le musée fournit aux enseignants un outil pratique pour découvrir l’his-toire de l’antisémitisme et mieux comprendre ses diverses manifestations au Canada pendant l’Holocauste (1933-1945) : « Une brève histoire de l’antisémitisme au Ca-nada ». Une attention particulière est accor-dée au contexte du Québec – une brève histoire de la com-munauté juive de la province y est relatée – dans une perspective plus large incluant l’in-fluence de l’antisémi-tisme sur les politiques gouvernementales ca-nadiennes, les médias, le discours public et les mesures prises en lien avec la situation des Juifs en Europe et au Canada.
Une panoplie d’outils éducatifs sont mis aussi à la disposition des enseignants du primaire et du secondaire pour enseigner l’histoire de l’Holocauste. Ils mettent l’emphase sur l’histoire de vraies jeunes personnes auxquelles les élèves peuvent facilement s’identifier, ainsi que sur la solidarité et la résilience.
Ces programmes sont offerts en présentiel et en virtuel à des groupes (scolaires et grand public).
« Quelque 10 000 étudiants visitent chaque année le Musée de l’Holocauste. Nos programmes éducatifs offrent des pistes de réflexion axées sur l’enquête historique, l’analyse de sources primaires et les témoignages de survivants », précise Monique McLeod, cheffe des programmes éducatifs au Musée de l’Holocauste.
Pour plus d’informations, visiter le site Web :
www.museeholocauste.ca
Notes:
- Voir Elias Levy, « La CSUQ à l’heure du dialogue interculturel. Entretien avec Jacques Saada, Raphaël Assor et Sonia Sarah Lipsyc », LVS , septembre 2021 ↩
Les commentaires sont fermés.