Des théories du complot à l’antisémitisme en ligne


Un groupe parlementaire pour lutter contre l’antisémitisme en ligne
Pendant que la pandémie faisait rage, la plus grande partie du monde s’est focalisée sur la neutralisation d’un virus qui a tué jusqu’à présent plus de 4 millions de personnes. La COVID-19 s’en prend à notre corps. Mais un autre virus, parmi nous, s’attaque à notre esprit. Contre lui, aucun vaccin n’existe encore. C’est le virus du complotisme et de la désinformation qui imprègne les médias sociaux.
L’évolution des technologies a des conséquences à la fois positives et négatives. Même si les positives l’emportent, chaque forme nouvelle de communication, de la presse imprimer aux médias sociaux en passant par la radio et le cinéma, a favorisé de plus en plus la diffusion de la désinformation.
Les médias sociaux ont une portée sans égale. Un message sur Facebook ou un tweet peuvent atteindre des millions de personnes, dans presque tous les pays. Des groupes extrémistes, particulièrement ceux qui sont mus par la haine, peuvent ainsi amplifier la puissance de mensonges qui leur sont profitables.
Au cours de la dernière année, j’ai contribué à la création d’un groupe de travail de parlementaires pour lutter contre l’antisémitisme en ligne. Composé de parlementaires du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et d’Israël, il a pour objectif de trouver des solutions législatives communes pour lutter contre l’augmentation alarmante des incidents antisémites dans le monde. Ces incidents surviennent habituellement en ligne, mais ne se terminent pas en ligne.
L’objectif du groupe de travail est également de travailler avec les plateformes comme Twitter et Facebook pour veiller à ce qu’elles appliquent leurs règles de façon rigoureuse et équitable. Par exemple, il est bon de voir que Twitter avait suspendu Donald Trump, mais pourquoi l’ayatollah Khameini n’a-t-il pas été suspendu comme chef suprême de l’Iran, alors qu’il préconisait la destruction d’Israël et niait l’Holocauste? Twitter a dit devant une commission parlementaire israélienne que c’était du chahut. Ce n’est pas le cas. C’est purement antisémite et haineux. Le groupe de travail a également tenu de nombreuses réunions avec des groupes de la société civile et des experts en technologie. Ce que nous avons appris, c’est que les tropes, les mèmes et les discours antisémites sont souvent insérés dans d’autres théories de conspiration et de désinformation en ligne. Par conséquent, l’antisémitisme en ligne doit être envisagé dans le contexte plus large de la désinformation et de l’extrémisme en ligne, souvent à l’instigation de pays étrangers comme la Russie et l’Iran.
Les théories du complot et la désinformation se répercutent sur les préjugés. Souvenons-nous que les admirateurs de Donald Trump qui, en plus, détestaient les démocrates, étaient plus disposés à croire que les médias avaient un parti pris contre lui et, pour cette raison, ils s’informaient uniquement dans les médias sociaux trumpistes. Ils y ont trouvé des milliers d’allégations selon lesquelles les élections avaient été truquées, mais qu’on n’a jamais prouvées devant aucun tribunal. Ils ont appris de groupes comme QAnon que les dirigeants démocrates formaient une confrérie secrète de pédophiles exploitant un réseau de services sexuels à partir d’une pizzeria de Washington. Ils ont commencé à croire que Trump était une figure messianique : il préparait un jour du jugement qui verrait l’arrestation de milliers de ces dirigeants. Avec l’invasion du Capitole, ces mensonges ont abouti à faire de milliers d’Américains des terroristes intérieurs. Ces manifestations ont montré que le virus de la désinformation pouvait littéralement envahir nos assemblées législatives et menacer nos démocraties. Nous ne pouvons pas relâcher notre vigilance. Nous devons combattre ce virus venu de la gauche et de la droite. Nous devons agir avec célérité dans notre pays et en collaboration avec d’autres démocraties occidentales.
Œuvrer à un nouvel organisme pour combattre la désinformation
La pandémie nous a appris à faire confiance à nos professionnels de la santé. Pour combattre le virus, l’épidémie de la désinformation, adressons-nous également à des professionnels. Le gouvernement canadien a annoncé des mesures énergiques contre les propos haineux. Nous sommes absolument d’accord. Mais les discours haineux ne sont qu’une partie du problème. Une quantité importante de désinformations et un nombre considérable de théories du complot ne se réduisent pas à cette notion.
Prenez, par exemple, cette théorie du complot selon laquelle le vaccin contre la COVID-19 transmet la maladie et permet à l’État de vous contrôler. Ces propos exceptionnellement dangereux ne sont pas haineux. De plus, les propos haineux pullulent dans les médias sociaux, mais sans s’élever au niveau d’un discours criminel.
Comment combattre au mieux la désinformation? D’abord, on ne peut pas s’en remettre aux plateformes de médias sociaux pour se contrôler elles-mêmes. Ça a été un échec. Ensuite, nous ne croyons pas que l’État soit le mieux placé pour les contrôler.
Il faut une nouvelle institution pour combattre la désinformation. Financée par l’État et la société civile, elle rendrait des comptes au Parlement, mais elle demeurerait indépendante dans ses décisions, et elle recruterait son personnel chez des experts d’opinions et de cultures diverses. Elle serait chargée de combattre la désinformation par des moyens scientifiques et de la traquer comme on le ferait d’une maladie, en publiant sur elle des rapports d’une objectivité clinique, comme ceux de l’Agence de la santé publique du Canada.
Le gouvernement l’autoriserait à centraliser les données prélevées sur les plateformes dans un immense dépôt (un concentrateur de données) à l’usage exclusif des cliniciens de la désinformation qui pourraient ensuite s’en servir pour communiquer leurs rapports au Parlement et aux agences de sécurité sur les menaces terroristes, les menaces à la sécurité, les forces antidémocratiques ou l’ingérence de l’étranger dans les réseaux, tout en protégeant la vie privée des Canadiens.
Cette institution pourra communiquer avec les plateformes qui hébergent des propos illégaux qu’il faudra faire taire en leur conseillant des méthodes non illégales sur la conduite à tenir à l’égard des propos haineux ou de la désinformation. À l’instar des agences de santé publique, elle pourra publier des annonces d’utilité publique pour combattre la désinformation et conseiller des pratiques exemplaires à ces plateformes ainsi qu’aux administrations publiques. Il faudra que le Parlement soit vigilant et que ses experts soient représentatifs de divers horizons pour inspirer confiance au public. Idéalement, les démocraties du monde entier la copieraient, et toutes ces institutions collaboreraient, sous l’égide d’une sorte d’Organisation mondiale de la santé, au combat contre le virus.
Jusqu’ici, aucun pays ne s’y est pris de la bonne manière pour combattre la désinformation. Si le Canada pouvait démontrer son efficacité dans ce combat, il pourrait servir de modèle au monde entier.
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