L’antiracisme doit demeurer ancré dans son universalisme

PAR David Ouellette

David Ouellette

 

 

 

 

 

 

 
La communauté juive solidaire de la communauté afro-américaine

Les insoutenables images de l’Afro-Américain George Floyd asphyxié à mort par un policier blanc ont déclenché une vive et légitime vague d’indignation mondiale contre la dure et persistante réalité du racisme antinoir aux États-Unis et ailleurs.
Au-delà de l’émotion, la mort brutale de George Floyd a aussi renforcé la détermination des gouvernements et de la société civile en Amérique du Nord et en Europe de renouveler nos efforts collectifs pour combattre le racisme antinoir et toutes les autres formes de haine et de discrimination racistes.
Au Canada, les Fédérations juives et le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), leur agence de représentation, se sont rapidement mobilisées pour dénoncer la réalité pérenne du racisme antinoir et exprimer la solidarité de notre communauté avec nos compatriotes noirs.
Bien entendu, nous, Juifs, savons pertinemment que les postures morales et les belles paroles ne sont d’aucun secours si elles ne sont accompagnées d’initiatives et de mesures concrètes pour endiguer la haine et la discrimination racistes. C’est pourquoi le CIJA est passé de la parole aux actes en mettant ses ressources à la disposition de personnalités et d’activistes noirs, Juifs ou non, pour réaliser une série de capsules vidéo visant à amplifier leurs efforts pédagogiques à propos du racisme antinoir au pays. Nous avons également organisé un atelier sur le racisme dirigé par la Fédération des Canadiens noirs et mobilisé des milliers de Juifs à l’échelle du pays pour demander au premier ministre du Canada d’agir.
Ces initiatives ne devraient toutefois pas occulter le fait que tout le travail réalisé par le CIJA en matière de lutte à l’antisémitisme est entrepris de manière à faire bénéficier toutes les populations ciblées par la haine et la discrimination. C’est notamment le cas de nos efforts en faveur de l’adoption de politiques gouvernementales pour contrer la menace croissante de la propagande haineuse en ligne ou encore pour assurer une meilleure prévention et une plus rigoureuse poursuite criminelle des auteurs de crimes haineux, lesquels ciblent disproportionnellement Juifs et Noirs au pays.
Or, si la société civile a un rôle primordial dans la lutte contre le racisme, c’est aux gouvernements que revient la mise en œuvre des mesures concrètes pour le faire reculer. Le gouvernement du Québec a lancé une importante initiative en créant le Groupe d’action contre le racisme qui conduira cet automne des consultations sur la lutte au racisme. Ce sera l’occasion pour le CIJA de soumettre au gouvernement des propositions visant à endiguer le racisme et l’antisémitisme sous toutes leurs formes, y compris la haine des Juifs se dissimulant derrière la « critique » d’Israël.

Quelques zones d’ombre dans une fraction de la mouvance antiraciste

S’il y a lieu de se féliciter de l’énergie et de la détermination renouvelées pour faire échec au racisme, il existe, en revanche, des zones d’ombre au tableau. Une fraction vociférante de la mouvance antiraciste actuelle adopte une rhétorique excessivement clivante en vue de politiser l’antiracisme en le dépouillant de son universalisme humaniste.
Alors que l’objectif de l’antiracisme a toujours été de transcender les divisions « raciales », la race, appliquée aux humains, étant un concept dépourvu de tout fondement scientifique, d’aucuns voudraient aujourd’hui « racialiser » les rapports sociaux, renvoyant les uns et les autres, en fonction de leur épiderme, à des catégories essentialisées d’opprimés et d’oppresseurs.
Cette conception « racialiste » de la société, outre qu’elle relégitime le faux concept de race, est non seulement incompatible avec l’endiguement du racisme, mais risque d’alimenter des conflits identitaires, d’exacerber des ressentiments historiques et de compromettre l’union nécessaire de toutes les composantes de notre société pour affronter collectivement le racisme.
Cet antiracisme politisé menace aussi de refouler la condition juive historique aux marges de notre conscience collective et nous pouvons d’ores et déjà en constater les effets. Ainsi, lors d’une manifestation antiraciste à Paris en juin dernier, certains manifestants ont pu scander dans l’indifférence générale de leurs camarades « sales Juifs » à l’endroit de contre-manifestants d’extrême droite.
Cette insensée assimilation des Juifs à l’extrême droite xénophobe n’a rien d’anecdotique lorsqu’on sait que la mouvance antiraciste française dite « décolonialiste » postule que les Juifs sont complices du prétendu racisme d’État français.
De même, une frange de la mouvance antiraciste dans les pays anglo-saxons n’hésite plus à assimiler les Juifs, le sionisme et Israël à la suprématie blanche, voire à banaliser la Shoah, génocide fondé sur l’« infériorité raciale » des Juifs, comme un crime de « Blancs contre Blancs ».
L’assignation des Juifs à la « race blanche », comprise par l’antiracisme politisé comme un marqueur identitaire d’oppression coloniale et raciste et de privilèges sociaux, outre le fait qu’elle ignore le fait que le racisme moderne a été fondé sur la racialisation des Juifs comme « race sémite » au 19e siècle, constitue une négation de la condition juive historique, marquée par la persécution et l’exclusion séculaires du peuple juif.
Or si l’assignation des Juifs au « privilège blanc 1» a longtemps été confinée aux marges de notre société, elle commence à présenter des signes inquiétants de normalisation. À preuve, dans une récente tribune publiée par La Presse intitulée « Une musique si blanche », l’animatrice vedette de Radio-Canada Catherine Perrin soutenait qu’en composant dans les années 1930 son célèbre opéra Porgy and Bess, inspiré de la musique et de la condition afro-américaines, le Juif américain George Gershwin, lui-même contemporain de l’antisémitisme institutionnel aux États-Unis, était « blanc » et « privilégié », et, à ce titre, coupable d’appropriation culturelle.
Alors que la mort brutale de George Floyd aura au moins eu l’heureuse conséquence de revigorer la lutte au racisme, il est impératif que l’antiracisme demeure ancré dans son universalisme humaniste qui est le socle de sa légitimité et de sa force morales.

Notes:

  1. https://www.lapresse.ca/arts/musique/2020-06-29/billet-de-catherine-perrin-musique-si-blanche.php
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