Israël et le coronavirus : Confinement, déconfinement et déconfiture

PAR Peggy Cidor

Peggy Cidor

Peggy Cidor

 

 

 

 

 

 

Notre correspondante à Jérusalem retrace pour nous le début de la pandémie en Israël jusqu’au reconfinement à la veille du Nouvel An hébraïque, date à laquelle son texte à été écrit. Il faut donc le prendre comme un témoignage pour cette période.

Si un pays pouvait être atteint d’une crise de mani-dépression, cela serait la meilleure description de ce qu’Israël traverse sous la pandémie du coronavirus. 

Une réaction et prise en charge rapide de la situation durant les premières semaines, que certains avaient trouvé exagérée, a été suivie de ce qui s’est avéré être un retour trop rapide, voire imprudent, à la normale. 

Résultat : Une montée draconienne de porteurs du virus et de malades, de malades graves et de malades respiratoires, les hôpitaux débordés, les équipes médicales au bord de l’effondrement. Bref, le pire des scénarios imaginés par les autorités du pays se concrétise avec, en toile de fond depuis des semaines, des manifestations de plus en plus violentes, exigeant la démission immédiate de Benjamin Netanyahou, et une crise économique des plus grave que le pays ait connue : des entreprises et des commerces bouclés, et un nombre croissant de chômeurs, un système scolaire paralysé, avec près d’un million d’enfants en bas âge essayant d’étudier par Zoom et leurs parents coincés à la maison et ne pouvant pas travailler. 

Comment tout cela a-t-il commencé? 

Que s’est-il passé, et comment le pays a-t-il basculé si rapidement d’une situation enviée par plusieurs pays à des taux quotidiens records de porteurs du virus, de malades, et à une lugubre liste de victimes qui s’allonge de jour en jour? 

La fête de Pourim, le 10 février 2020, a été le point de départ. Le coronavirus était déjà là, mais très peu réalisaient alors l’ampleur du danger, et les Israéliens, laïques, religieux et ultra-orthodoxes ont festoyé à grand renfort de participants – les autorités ayant autorisé des fêtes jusqu’à 1 000 participants. La « note » est arrivée une quinzaine de jours plus tard.

Le premier cas de coronavirus en Israël a été identifié le 27 février : un Israélien retournant d’Italie avait contaminé son épouse et six de ses employés dans un magasin de déguisements pour Pourim. 

Le 5 mars, un chauffeur de car de touristes arabes de Jérusalem a été le premier malade grave; ses jours étaient en danger et il lui a fallu plus de trois mois pour se remettre de la maladie.  

Le 21 mars décédait la première victime du coronavirus en Israël – Arieh Even, âgé de 88 ans, un rescapé de la Shoah vivant dans une maison de retraite pour personnes âgées. Ces personnes allaient être de plus en plus nombreuses à mourir, isolées dans les services des hôpitaux, à leur plus triste moment, sans pouvoir dire au revoir ou adieu à leurs familles. 

Les enterrements limités à 15 personnes, les familles endeuillées passant la semaine de deuil enfermées et isolées, les Houpot et les mariages autorisés seulement dehors avec un maximum de 10 participants, idem pour les circoncisions et les bar mitzvot, et très vite – le plus terrible pour la société religieuse et surtout pour les ultra-orthodoxes –, les synagogues, les yeshivot, écoles talmudiques, et les bains rituels (mikveh) bouclés, entraînant une véritable « chasse à l’homme », des policiers surprenant des religieux dans un bain rituel interdit ou dans une synagogue pirate. 

Les quartiers ultra-orthodoxes des villes d’Israël, les plus touchés par la pandémie –avec leur population entassée en grandes familles allant jusqu’à 10 enfants et plus dans de petits appartements –, sont un grand foyer de contamination. Entre l’exigence du ministère de la Santé de confiner hermétiquement ces quartiers et les propositions plus tempérées des maires de faire sortir de chez eux les personnes présentant des symptômes afin de permettre aux autres de vivre plus ou moins normalement, une guerre d’usure était engagée. 

Au bout de quelques jours, après la fête de Pessah, vers la fin avril, la décision a changé : les malades ou contaminés étaient évacués vers des hôtels vides à présent de touristes, et des « drive-in » où chacun pouvait se faire tester un peu partout ont été mis en marche. 

« Nous avions compris très vite le potentiel explosif de cette situation », explique le rabbin Haim Epstein, un des dirigeants du groupe Peleg Yerushalmi – du courant ultra-orthodoxe dit lithuanien. « J’ai téléphoné d’urgence au chef de la police de la ville de Jérusalem, lui expliquant que l’envoi de soldats et policiers en uniformes, et surtout de soldates et policières, dans le quartier de Meah Shearim, allait rendre la situation encore plus grave. J’ai proposé de déléguer les membres de la Chevra Kadishah, de la confrérie du dernier devoir, qui savent ce qui se passe et qui enterrent les victimes du virus, ou les membres, ultra-orthodoxes eux-mêmes, de Zaka (organisation qui recueille les restes des victimes d’attentats). La réponse du chef de la police a été : “Ne vous mêlez pas de mon travail, je sais ce que j’ai à faire.” Les soldats et policiers sont entrés dans Meah Shearim le matin suivant, et c’était la catastrophe – une réaction d’une violence incroyable des habitants du quartier, certains que la mission des forces de l’ordre était de fermer les yeshivot et de leur raser les papillotes, a buté sur une non moins violente réaction des policiers. Je n’avais plus qu’à pleurer seul chez moi », conclut Epstein. 

Le changement est finalement arrivé peu après, à Bnei Brak, cité où habite une importante population ultra-orthodoxe. Les soldats et soldates des unités de l’arrière-front sont entrés dans la ville en confinement hermétique, distribuant des provisions, des repas préparés et des médicaments pour les malades confinés. Ils ont été dotés d’un petit dictionnaire hébreu-yiddish, et de leur côté, les habitants ultra-orthodoxes de la ville, habitués à ne rencontrer des soldats et des policiers que dans les manifestations, ont changé d’attitude devant ce geste interprété enfin comme une preuve de solidarité. Ces habitants, émus, ont apporté des halot, pains et gâteaux pour le shabbat aux effectifs déployés dans la ville.  

Pareil déploiement a eu lieu dans les quartiers arabes de Jérusalem, et surtout dans les localités arabes du pays où ces soldats arrivant pour aider ont réussi ce que 72 ans de vie commune n’avait pas fait : éveiller le sentiment que les Arabes d’Israël étaient vraiment des citoyens et que Tsahal, l’armée israélienne, cette fois, était là pour les aider. 

Mais cette accalmie a été de courte durée dans une partie de la société ultra-orthodoxe. Après une première période de stricte vigilance, les mariages à grande participation sans masques ni distances ont recommencé et fait monter en pic le taux de malades. Dans les yeshivot, les études en « capsules », en petits groupes de 15 à 20 isolés par des parois en verre, n’ont pas réussi à stopper la contagion, et les taux de contamination et de malades se sont remis à grimper vertigineusement.  

Devant l’ampleur de la crise qui se déroulait sur deux fronts, le virus et la crise économique, et avec un gouvernement d’union nationale à « deux têtes »,  Netanyahou et Gantz, les programmes économiques lancés par l’actuel premier ministre et le ministre des Finances Israel Katz – y compris les aides financières distribuées à tout le monde, nantis et appauvris indifféremment, acte qui a soulevé beaucoup de critiques et qui a été soupçonné d’être une mesure de corruption politique du premier ministre – n’ont satisfait presque personne. 

Que s’est-il passé durant le confinement? 

Un mois après la « bombe à retardement de Pourim », tout le pays a été confiné, et le soir du séder de la fête de Pessah, les Israéliens, pour la première fois dans l’existence de l’État hébreu, se sont vus interdire de célébrer la fête la plus familiale du calendrier juif en famille lorsque ses membres n’habitaient pas à proximité les uns des autres.

Mais très vite, la difficulté des responsables au sein du gouvernement et de la santé publique à faire passer des messages coordonnés, ou pour le moins non contradictoires, augmentait la détresse des Israéliens, avec pour résultat de nombreux citoyens enfreignant ouvertement les directives et instructions du ministère de la Santé. Par exemple, il a fallu plus de trois mois pour que le gouvernement arrive à trouver et à nommer quelqu’un au poste stratégique de directeur du projet de la lutte contre le coronavirus!

Mais le coronavirus n’était pas le seul à semer la confusion dans le pays, car l’agitation politique autour des trois campagnes électorales avait déjà creusé la polarisation dans la société israélienne et dès lors avait fait augmenter la tension générale. 

Un déconfinement trop rapide?

Sous la pression du ministère des Finances, craignant la catastrophe économique et exigeant la remise en marche de l’économie, le 19 avril, le déconfinement a commencé. Il a été total, rapide, sans étapes, et a engendré des résultats catastrophiques. En moins de trois semaines, l’épidémie avait repris de plus belle, entraînant de plus en plus de décisions contradictoires, de véritables pugilats entre les différentes fractions politiques à la Knesset, installant un climat de tohu-bohu, un affaiblissement de l’ordre civil, au fi de tous les avis des épidémiologistes. 

Des « experts » se contradisaient sur les plateaux de télévision, certains expliquant que le coronavirus n’était qu’une « grippe avec trop de bruit à son sujet », en contradiction avec les restrictions imposées par le ministère de la Santé. La presse et les réseaux sociaux ont révélé la tenue de mariages avec des milliers de participants – la plupart sans masques – dans les communautés hassidiques. Ces informations relatant malheureusement la réalité ont installé un climat de tension allant jusqu’à des déclarations frisant parfois un caractère antisémite à l’égard des ultra-orthodoxes. De leur côté, les ultra-orthodoxes ont accusé les autorités de complaisance à l’égard des milliers de participants aux manifestations devant la résidence officielle du premier ministre, et la colère grondait partout. 

L’incapacité du gouvernement israélien et du premier ministre à faire passer ses décisions non seulement à la Knesset mais au sein même de sa coalition s’est répercutée sur le climat social général, suscitant un nombre croissant de positions tranchées et de déclarations de plus en plus nombreuses de citoyens affirmant qu’ils n’observeraient pas les consignes de la police de blocus partiel ou total. 

À l’approche des fêtes du mois de Tichri, en septembre, la confusion, le ressentiment et surtout la baisse dramatique de confiance envers le gouvernement ont atteint leur paroxysme. « Nous sommes au bord de la catastrophe », précise dans un message sur un réseau social le rabbin Bezalel Cohen, qui dirige à Jérusalem une yeshiva ultra-orthodoxe où les hommes peuvent également suivre une mise à niveau pour une formation professionnelle et universitaire. « Le virus et la tension politique qui règne depuis des mois nous amènent au bord du gouffre, une révolte menace notre société », ajoute Shaike Elami, directeur d’un centre communautaire à Jérusalem. Pour ceux qui mènent les protestations, aucune menace du virus ne justifierait, à l’heure actuelle, leur suspension. « Israël ressemble à un navire sans capitaine à bord », renchérit Avraham Berkovitch, un enseignant de Jérusalem dans un kollel (une yeshiva pour hommes mariés). 

Avec une moyenne de 9 000 personnes contaminées par jour, 1 500 morts, une économie vacillante, près d’un million de chômeurs et un premier ministre accusé de corruption, dont le procès s’ouvre au plus fort de la crise, le Nouvel An juif qui vient de commencer s’annonce plutôt inquiétant.

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