Snowbird au temps de la Covid en Floride
PAR Arielle Sebah-Lasry
Non! Ce virus ne m’a pas rendue folle, pour répondre au titre du dernier ouvrage de Bernard Henri Levy, 1 mais…
Le 22 avril 2020 était la date prévue de notre retour à Montréal une semaine après la fête de Pessah en Floride. C’est ce que nous avions planifié cinq mois auparavant, mon époux et moi-même, bien avant ce fameux coronavirus qui allait chambouler nos projets, notre mode de vie, nos habitudes, nos repères, et même nos certitudes… Pour, en définitive, nous contraindre à rester près de deux mois supplémentaires à Delray Beach sans pouvoir obtenir un vol de retour par Air Canada avant le mois de juin. Nous espérions que le trafic aérien reprendrait bien plus tôt. Comment pouvions-nous imaginer la fermeture des frontières terrestres et aériennes à l’ère de la mondialisation du commerce et de l’économie : impensable!
Venue de Chine, la COVID-19 a fini par arriver sur le continent nord-américain, créant ainsi un bouleversement de tous les ordres établis et semant subrepticement une perte de contrôle sociétal, politique, économique et une déstabilisation de chaque individu. L’épidémie devenait pandémie et le fléau de la mort nous menaçait tous. Assignés à résidence, nous avons reçu l’ordre de rester confinés, nous les retraités, les aînés, les vieillissants. Les autorités sanitaires nous désignaient comme extrêmement vulnérables face à ce redoutable virus qui décimait les populations âgées dans le nord de l’Italie, en Espagne, et en France et même au Québec… Mais la COVID-19 arrivait aussi en Floride.
Rivés à nos ordinateurs, nos postes de télé, nos téléphones intelligents, nous attendions inlassablement les dernières statistiques, les dernières directives gouvernementales, en zappant de Fox News à CNN, puis de RDI à France 2, sans oublier i24 News. Nous voyagions virtuellement sans relâche d’une chaîne d’info à une autre, en espérant contrer notre désarroi par toujours plus de communiqués de presse, de bulletins d’informations, les uns inlassablement plus anxiogènes que les autres.
Le magnifique printemps ensoleillé de la Floride ne parvenait que partiellement à réduire cette inquiétude grandissante. Tout s’était arrêté : plus de vie sociale, plus de courses alimentaires, plus de plage, plus de piscine, plus de shopping, plus de restaurants, plus de conduite de voiture, plus d’entraînement sportif au club de gym… Tous nos amis étaient déjà repartis à Montréal, pour pouvoir passer la fête de Pessah en famille. Nous faisions face à un changement radical de nos habitudes et à une adaptation brutale face à un quotidien incertain. Pour contrer ce suspense envahissant, je me consacrais à la mosaïque. Un art ancien qui m’a toujours fascinée et que j’ai décidé de découvrir en réalisant de petits tableaux. Le découpage des tesselles, puis le collage et l’assemblage de chaque fragment me procuraient une évasion, digne d’une thérapie comportementale. Une marche quotidienne au coucher du soleil dans les allées de notre complexe d’habitat nous a permis de retrouver un contact exceptionnel avec la nature, la beauté des arbres, les nouvelles fleurs écloses, la nouvelle famille de canards ou les hérons bleus altiers se posant délicatement sur l’eau.
Arrivés au septième report de notre vol de retour, nous nous sommes résignés à racheter un autre billet d’avion, sur une autre compagnie aérienne, américaine celle-là, avec escale en cours de route. C’est ce que nous voulions éviter depuis le début, par crainte d’avoir à affronter l’absence de distanciation physique entre passagers et une vigilance sanitaire aléatoire sur les vols américains. Armés de désinfectant, de gants et de masques, nous avons effectué notre vol de retour en retenant notre souffle, avec l’inquiétude constante d’être exposés à ce virus fantôme. Arrivés à l’aéroport de Montréal, nous avons eu le sentiment de débarquer dans un film de science-fiction : un désert total, quelques rares avions cloués sur le tarmac, pas d’agent d’accueil, pas de passagers en circulation ou en transit, pas de file d’attente, pas d’animation, ni restaurants, bars ou magasins. Tout était fermé à l’exception de trois agents douaniers, chacun derrière leur guichet, qui nous attendaient.
Il a fallu encore vivre un confinement de 14 jours, cloîtrés à la maison, sans aucune autorisation de sortie, sous peine d’amende. Une vérification par deux agents de sécurité à domicile au 10e jour de confinement eut bel et bien lieu. Retour au bercail consternant!
Cette pandémie, qui sévit toujours, demeurera une expérience unique, que chacun de nous pourrait raconter dans une version adaptée à son contexte … Mais en sortirons-nous grandis, changés ou désabusés, plus fraternels, moins matérialistes et plus respectueux de l’environnement? Seul l’avenir le dira.
Notes:
- Ce virus qui rend fou, Grasset, 2020 ↩