Quatre jeunes adultes sépharades à l’ère de la COVID-19
PAR Elias Levy
Ces derniers mois, Abigaël Mellul, 22 ans, étudiante en soins infirmiers au Collège Dawson, et Lior Elkaim, 25 ans, médecin, diplômé de l’Université de Montréal, résident en neurochirurgie dans les hôpitaux affiliés à la Faculté de médecine de l’Université McGill, ont été en première ligne dans le combat visant à endiguer la pandémie du coronavirus.
À cause de la pénurie d’employés qui sévit dans les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), Abigaël travaille désormais à temps plein, comme bénéficiaire aux préposés, dans plusieurs de ces établissements prodiguant des soins gériatriques, sis à Montréal-Est.
Lior a délaissé pendant quelque temps sa résidence en neurochirurgie pour prêter main-forte aux équipes médicales de l’Hôpital général juif sur la ligne de front de la lutte contre la COVID-19.
Leur confinement n’a pas été une sinécure.
« Je n’ai pas vraiment vécu le confinement à la maison comme ma famille parce que mon employeur m’a demandé avec insistance de travailler à temps plein. J’avais beaucoup de craintes parce que j’ai été affectée à la « zone chaude » des CHSLD. Comme j’habite avec mes parents et mes deux soeurs, j’avais peur de les contaminer. Ma famille avait peur pour moi et craignait également de contracter la COVID-19. Après le travail, je m’isolais dans ma chambre », raconte Abigaël.
Elle craignait d’être infectée par le coronavirus parce que deux semaines après le début de la pandémie, les CHSLD où elle travaille
étaient en grand manque d’équipements de protection. « Une nuit en arrivant au travail, on m’a dit qu’il n’y avait plus de masques et que je devais m’en confectionner un avec ce qui traînait. J’ai dû découper des taies d’oreiller pour en fabriquer un pour moi et un autre pour l’infirmière avec qui j’étais de garde cette nuit-là. Quand il y en avait en stock, on n’avait droit qu’à un masque par quart de travail. Nous devions aussi laver nous-mêmes nos jaquettes alors qu’en temps normal elles sont nettoyées sur place avec des produits spéciaux. Tout cela m’effrayait. Je voudrais dire un grand merci au personnel paramédical et à l’armée canadienne qui nous ont grandement aidés pendant toutes ces journées très angoissantes. »
Exposé quotidiennement à la COVID-19, Lior a décidé de déménager dans un appartement pour protéger les membres de sa famille. Pendant presque trois mois, il n’a communiqué avec eux que par téléphone ou virtuellement. Depuis le déconfinement, il a pu les revoir plus fréquemment.
Dès le début de la pandémie, à l’instar des autres résidents poursuivant une formation postdoctorale, on lui a demandé de se joindre aux équipes médicales de l’Hôpital général juif bataillant contre la COVID-19.
« J’ai eu le privilège de travailler à l’Hôpital général juif, le premier des établissements de santé du réseau hospitalier affilié à l’Université McGill désigné par les autorités sanitaires du Québec pour soigner les malades infectés par le coronavirus, souligne-t-il. Les diverses équipes médicales de l’Hôpital général juif ont accompli un travail colossal pour contrer ce virus dévastateur. L’esprit de collégialité était très fort. J’ai été fortement impressionné par la capacité de réorganisation de cet hôpital de haut rang. Ayant des expériences limitées avec des patients atteints de maladies systémiques comme le coronavirus, les médecins résidents ont dû suivre une formation intensive de deux semaines avant d’être redéployés dans les différents services traitant des personnes atteintes par la COVID-19. Des médecins oeuvrant dans divers champs de spécialité ont travaillé étroitement et d’arrache-pied. »
Lior est retourné récemment dans un programme médical jugé essentiel : les neurotraumas, la neurochirurgie pour des patients souffrant de lésions cérébrales traumatiques. Il n’est pas prévu pour l’instant qu’il soit redéployé dans des unités médicales soignant des patients atteints de la COVID-19.
Liora Chartouni est née et a grandi à Montréal. Elle a fait son Aliya en 2017 à l’âge de 22 ans. Elle vit à Jérusalem. Sa montée en Eretz Israël a été motivée plus par des raisons spirituelles que par des motifs d’ordre politique ou idéologique.
Détentrice d’un baccalauréat en science politique de l’Université de Montréal et d’une maîtrise en « Justice conditionnelle et droits de l’homme », un programme international offert par la Faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem, elle travaille actuellement en marketing pour une entreprise prospectant des fonds gouvernementaux américains pour des start-up israéliennes. Elle a aussi une deuxième occupation professionnelle : traductrice. Elle traduit de l’anglais au français les commentaires de la Parasha de la semaine de l’ancien Grand Rabbin de Grande-Bretagne, Lord Jonathan Sacks, que l’on peut lire sur le site Web de cette figure marquante du judaïsme mondial.
Début mars, Liora était de passage à Montréal pour visiter sa famille. Elle devait retourner en Israël le 17 mars. La pandémie de la COVID-19 avait déjà commencé en Israël. Depuis février, les Israéliens qui venaient de retourner au pays après un séjour à l’étranger et les touristes étaient placés en quarantaine. « Je n’ai jamais cru que cette crise sanitaire allait prendre de telles proportions. Cependant, quand j’ai quitté Israël le 1er mars, j’avais le pressentiment que je n’allais pas retourner de sitôt. Le dernier vol d’Air Canada à destination de Tel-Aviv a eu lieu le 17 mars. Israël a ensuite fermé ses frontières. »
Finalement, Liora a décidé de vivre le confinement avec sa famille à Montréal plutôt que de traverser cette rude épreuve seule à Jérusalem dans son petit appartement sans balcon. Elle a fait du télétravail à partir de Montréal. Elle retournera en Israël en août. « Le confinement a été une épreuve ardue pour tout le monde, que nous avons pu traverser grâce à l’aide de Hachem (Dieu)», dit-elle.
Détenteur d’une maîtrise en relations industrielles de l’Université de Montréal et diplômé en sommellerie de l’Institut de Tourisme et d’Hôtellerie
du Québec, Jonathan Benchetrit, 34 ans, oeuvre comme sommelier dans le monde de la restauration depuis 17 ans. Un secteur durement touché par la pandémie de la COVID-19. Il est actuellement l’un des quatre copropriétaires et le sommelier attitré du restaurant très branché H4C par Dany Bolduc, situé dans le quartier Saint-Henri de Montréal.
Le confinement a été pour lui une épreuve des plus atypique et pas du tout évidente chaque jour. « J’ai confiné en famille, avec mon épouse, Lisa, et notre petite fille, Fiona. J’avais souvent l’impression de vivre sur une autre planète. » Sur le plan professionnel, Jonathan est resté inactif environ trois semaines. Bien que son restaurant était fermé, ses partenaires et lui ont rapidement repris du service en proposant à leurs clients de « délicieuses créations culinaires à emporter ainsi qu’une carte de vins unique. Le secteur sinistré de la restauration est confronté à des défis titanesques. Il ne pourra pas survivre sans l’aide gouvernementale. Celle-ci est essentielle pour que les restaurants puissent se maintenir à flot. »
Comment ces quatre jeunes adultes sépharades envisagent-ils le monde de l’après-COVID-19 ?
Abigaël est relativement optimiste. « Même quand la pandémie sera terminée, les gens auront toujours une crainte. La COVID-19 a beaucoup affecté les jeunes mentalement, mais, avec le soutien de bons ami(e)s, l’espoir de vivre et de s’amuser d’une façon sécuritaire n’a pas été anéanti. Pour ma part, j’œuvre dans un milieu où j’aurai toujours du travail. Je m’inquiète plutôt pour l’avenir professionnel et la santé de mes proches et de mes amis. Mais j’ai confiance en l’avenir. Je pense que nous sommes mieux préparés aujourd’hui face à l’inconnu. »
D’après Lior, ce sera impossible de retourner au monde de l’avant-COVID-19. « Ce virus ne disparaîtra pas de sitôt, prédit-il. Même si un vaccin visant à éradiquer celui-ci est mis au point prochainement, cela ne voudra pas dire qu’il sera efficace à 100 %. Des vaccins contre la grippe ont montré parfois les limites de leur efficacité. Peut-être que la COVID-19 est un virus qui mutera et deviendra moins agressif au fil du temps. Je crois que nous devrons composer avec celui-ci pendant encore de nombreuses années. Le confinement ou l’isolement a eu des conséquences graves, car ces deux conditions ardues vont à l’encontre de la nature humaine. Des stigmates perdureront à long terme : anxiété, dépression, maladie mentale… »
En tant que Juive observante profondément attachée aux commandements prescrits par la Torah, Liora considère que cette pandémie est « un appel envoyé par Dieu à l’humanité pour la rappeler à l’ordre. Il est grand temps de freiner nos vies marathoniennes, hypermatérialistes et désarçonnées qui nous font souvent oublier les valeurs fondamentales. Je suis convaincue que cette crise sera aussi porteuse d’espoir et de bien. Il est impératif que l’humanité revienne à ses sources, c’est-à-dire à l’essentiel. Nous devons tous amorcer un travail d’introspection. Ce cataclysme nous a fait prendre conscience que l’humain ne contrôle pas sa destinée ni sa vie. Seul Hachem balise nos vies et décide de notre futur. »
Jonathan envisage difficilement un monde de l’après-COVID-19, mais plutôt un monde de plus en plus nébuleux : celui de l’ère de la COVID-19. Cette terrible pandémie lui a fait prendre conscience d’une réalité inéluctable : sa génération a fini par perdre ses illusions. « Quarante années de politiques néolibérales sauvages ont causé de graves ravages socioéconomiques. Cette pandémie a accentué le fossé séparant les plus pauvres des plus nantis. Mais cette crise sanitaire a aussi quelques aspects positifs. L’un d’eux : nous avons pris conscience à quel point le contact humain est quelque chose de très précieux. Cette pandémie nous a peut-être rendus un peu moins égoïstes et un peu plus humains. Elle a contribué à nous rapprocher des autres. Un mal engendre souvent un bien. Une lueur d’espoir émane toujours d’une grande noirceur. »