Hommage à nos disparus, bâtisseurs de notre communauté partie 3 : MAURICE GARZON

PAR Elias Levy

 

Elias Levy

Elias Levy

 

 

 

 

 

HOMMAGE À MAURICE GARZON, UNE FIGURE COMMUNAUTAIRE DISCRÈTE ET ADMIRABLE 

Maurice Garzon

Tous ceux et celles qui ont eu le privilège de côtoyer Maurice Garzon garderont le souvenir indélébile d’un être affable, humble, très généreux, d’un ingénieur passionné par son métier et d’un communautaire des plus dévoués.
Maurice Garzon est décédé début avril à l’âge de 74 ans.
Ingénieur civil chevronné spécialisé dans la stabilité des sols, il avait à son actif une feuille de route professionnelle exceptionnelle. Il a contribué à bâtir les grands ouvrages hydro-électriques du Québec moderne, dont l’ambitieux projet Grande-Baleine, au nord de la région de la Baie-James. Il y a quelques années encore, il a dirigé l’équipe d’ingénieurs chargée de l’excavation des fondations d’un barrage surplombant le Lac supérieur, en Ontario. Il détenait plusieurs brevets de techniques particulières de construction de murs de soutènement qu’il a mises au point. Au début des années 80, il a joué un rôle déterminant dans la conception et l’installation du toit du Musée de la civilisation de Québec. Il s’est ingénié à trouver des solutions techniques pour fixer ce toit des plus complexes comportant de nombreux creux et bosses. Il a été présent pendant toutes les phases de la pose de celui-ci pour s’assurer qu’aucun des ouvriers affectés à cette tâche n’était en danger.
Maurice Garzon était aussi un communautaire remarquable.
Il a été membre pendant vingt ans de la Hévra Kadisha — Confrérie du dernier Devoir — de la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ). La Mission de la Hévra Kadisha est d’offrir un service de veille à des personnes gravement malades, les services inhérents à un deuil, selon les rites et les traditions sépharades, et de prodiguer un réconfort spirituel aux familles éprouvées.
David Benizri, responsable de la Hévra Kadisha de la CSUQ, évoque le souvenir d’un « bénévole admirable » disponible à n’importe quelle heure pour se rendre au chevet d’un Juif, ou d’une Juive, agonisant. « Maurice Garzon ne nous a jamais dit « non ». Dès que nous faisions appel à lui, notamment en pleine nuit, il répondait toujours positivement et avec entrain. Il allait souvent dans des hôpitaux veiller des personnes très malades. Son engagement à la Hévra Kadisha était exemplaire. D’une grande gentillesse et d’une immense compassion, il donnait tout son cœur, à toute heure du jour et de la nuit et dans la discrétion la plus grande, durant cette rude épreuve existen­tielle. »
Profondément attaché aux traditions et aux valeurs de la loi mosaïque, Maurice Garzon était un fervent adepte d’un judaïsme tolérant et très respectueux de l’Autre, peu importe son niveau d’observance religieuse.
« Tout en étant un homme pieux, il était shomer shabbat (respectueux des lois du shabbat), Maurice n’a jamais connu les dérives et les fanatismes qu’on voit parfois de nos jours chez des Juifs qui se réclament de la religion pour être sévères, pour condamner les autres ou pour penser que seule leur voie est la bonne », rappelle son épouse, l’universitaire et psychosociologue Perla Serfaty-Garzon, qui a été sa compagne pendant 25 ans. 
Il était un sioniste convaincu qui aimait ardemment Israël, rappelle Perla Serfaty-Garzon. « En 1967, au lendemain de la Guerre des Six Jours, fraîchement diplômé de l’école Polytechnique Montréal, il est allé vivre au Kibboutz Hanita, à la frontière israélo-libanaise, où il a fait du bénévolat pendant deux ans. Durant cette période, il a aussi étudié au Technion de Haïfa, où il a obtenu un diplôme dans son domaine. Il a été ensuite engagé par le ministère du Logement israélien comme ingénieur. »
Son proche ami, David Haccoun, professeur émérite de l’école Polytechnique Montréal, se souvient du confrère ingénieur et d’un homme très érudit avec qui on pouvait discourir plaisamment sur une foule de sujets, allant de la politique à la physique, en passant par la religion. « Expert reconnu en Géotechnique et Mécanique des sols, Maurice expliquait avec passion certains problèmes difficiles auxquels il était confronté ainsi que ses approches de solutions innovantes. » 
Maurice Garzon était très apprécié et respecté dans notre communauté, rappelle David Haccoun. « Profondément religieux, pratiquant assidu, il cherchait toujours à approfondir ses connaissances bibliques et talmudiques. À cet effet, après le service du matin, il ne manquait pas de participer à l’étude quotidienne de la Torah, apportant ses connaissances et points de vue très appréciés lors de discussions autour d’une table. D’une grande générosité, Maurice était toujours prêt à servir sa communauté, en particulier comme membre de la Hévra Kadisha, assistant religieusement les personnes en fin de vie. »
Pour son amie Sonia Sarah Lipsyc, fondatrice et directrice du Centre d’études juives contemporaines ALEPH de la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ) et rédactrice en chef du magazine La Voix sépharade, le souvenir de Maurice Garzon est une « source de bénédiction ».
« Maurice était la bonté incarnée. Ses années de dévouement à la Hévra Kadicha en témoignent. Se lever à n’importe quelle heure de la nuit pour accompagner un être jusqu’à son dernier souffle, veiller le défunt, consoler les endeuillés. Nombreuses sont les personnes qui lui sont infiniment reconnaissantes et nul doute que ses mérites l’ont précédé au Jardin d’Eden. Son souci d’autrui s’incarnait dans la vie de tous les jours : sa gentillesse, son sourire, l’accueil et l’hospitalité qu’avec son épouse Perla il réservait à tout un chacun(e). C’était un homme de foi, ancré dans une tradition sépharade forte de ses convictions et ouverte. Son amour pour Israël, où il vécut quelques années, était indéfectible. Mais si Maurice cultivait l’art de l’écoute, il était également un conteur. Soudainement, par exemple, les mystères de l’ingénierie se dissipaient et nous étions avec lui un casque sur la tête en train de résoudre les défis d’un barrage à construire. C’est encore les larmes aux yeux que j’évoque ces souvenirs, avec la gratitude de l’avoir connu. Mes pensées vont à sa moitié, son épouse Perla, ses enfants et beaux-enfants, Gilles François et Marion, et ses petits- enfants, dont Léa et Sarah qu’il adorait. Ses yeux s’illuminaient, il était intarissable sur le sujet. »
Suzanne Danino, ancienne directrice générale du Centre Hillel et du Centre communautaire juif (CCJ), et Maurice Garzon se sont connus adolescents au Maroc, dans le mouvement scout des Éclaireurs israélites. Une amitié coriace les unissait.
Les idéaux de jeunesse, le leadership ferme, l’altruisme et le dévouement communautaire du défunt l’ont toujours fortement impressionnée.
« J’ai en mémoire ce jour de grand rassemblement scout où, alors que d’autres chefs s’époumonaient dans le brouhaha général, Maurice, le bras simplement levé, le visage serein, le sourire calme et bienveillant, rassemblait les siens et n’était qu’apaisement. L’image m’avait saisie. Comme m’a marquée plus profondément encore sa visite avec d’autres scouts lors de la shiva (la semaine de deuil) de mon père, et ce moment où, prenant congé, il a étreint mes mains. Je ne me souviens ni des mots ni des paroles prononcées. Je me souviens surtout du ton, de la chaleur et du regard intense plein d’empathie », raconte Suzanne Danino émue.
 Leurs chemins respectifs se sont croisés quelque 30 années plus tard à Montréal.
« J’ai retrouvé Maurice, sur le point, oh bonheur! d’épouser mon amie Perla.  Comme ils se méritaient tous les deux. Depuis, dans l’amitié, le travail, la vie familiale, communautaire ou religieuse, mon respect pour l’homme n’a cessé de grandir. En écho au jeune homme que j’avais connu, ses adhésions et ses choix de vie ne servaient pas seulement les idéaux de sa jeunesse, ils les sublimaient. Je pense entre autres, mais particulièrement, à son engagement de longue date à la Hévra Kadisha. Nul ne peut imaginer le temps, le don de soi, la force intérieure, mais aussi les renoncements imposés par une telle mission. Mais par ailleurs, personne ne peut oublier le privilège d’avoir été accompagné par Maurice au moment terrible de la perte d’un être cher. Je l’ai vécu. Je ne l’oublierai pas. Je ne t’oublierai jamais, ami. »

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