La cacherout à Montréal, problèmes et perspectives

PAR Elie Benchetrit

Une rencontre avec Rabbi David Sabbah, Grand Rabbin sépharade du Québec.

Rabbi David Sabbah occupe le poste de Grand Rabbin Sépharade du Québec depuis octobre 1978. Né à Marrakech (Maroc), il a fait ses études secondaires à l’École normale hébraïque de Casablanca et à l’École normale israélite orientale de Paris. Il a dirigé, à Rabat, le réseau scolaire des Écoles Ozar ha-Tora. Docteur en Pensée juive de l’Université de Strasbourg. Licencié ès Lettres, il détient un diplôme en Littérature comparée. Sur le plan halakhique (de la loi juive), Rabbi David Sabbah a reçu sa confirmation comme autorité religieuse (la sémikha) des Grands Rabbins Sépharades d’Israël, les Rabbanim Mordekhaï Eliyahou (Z.L) et Rabbi Chalom Messas (Z.L).Le Rabbin a lancé le département de la cacherout du Grand Rabbinat du Québec, sous l’estampille « KSR », soit la certification cachère des produits alimentaires. Dans le cadre du dossier LVS consacré à la cacherout, nous l’avons rencontré dans son bureau au Grand Rabbinat du Québec.

 

Pouvez-vous nous expliquer la signification du sigle KSR

Le K est pour Kasher, le S peut avoir deux significations, c’est-à-dire Sépharade ou également Supervision et le R pour Rabbinat.

Depuis combien de temps existe-t-il?

Il faut remonter aux années 90, lors d’une veille de Pessah, lorsque de nombreuses familles sépharades montréalaises se plaignaient du manque de viande d’agneau, un article incontournable lors du Séder. À cette occasion, je m’étais adressé au Rabbin Auerbach du Vaad Ha’ir pour lui demander d’organiser un abattage d’agneaux afin de répondre à la demande populaire de notre kahal (communauté). La réponse fut négative, ce à quoi je lui ai répondu que si on ne prenait pas en compte les besoins et les aspirations de la population sépharade, celle-ci prendrait, à un moment ou un autre, sa destinée en main. C’est ce qui s’est produit, car encouragé par l’appui moral de notre communauté, le Rabbinat sépharade a organisé une shéhita (abattage rituel) qui n’a cessé de prendre de l’importance, et ce, pendant des mois, et qui servait plus de 600 familles. Aussi fallait-il entreprendre un changement d’orientation dans la conception du service de cacherout, il se devait d’être surtout au service de la communauté et non un département destiné uniquement à générer des ressources financières pour la communauté. La mise en place de la certification KSR n’a pas été facile, il a fallu faire des interventions auprès du Vaad Ha’ir qui, ayant vu dans le KSR un organe de concurrence, s’employait à lui rendre la tâche difficile. C’est pourquoi il fallait expliquer continuellement la problématique et surtout la spécificité sépharade. Nous avions engagé deux shohatim (abatteurs rituels) sépharades, ainsi plus de 600 familles consommaient une viande de très bonne qualité cachère Beth Yossef 1. Tout ce processus, pour réussir pleinement, nécessitait de répondre à la certification KSR de restaurants, de salles de fêtes ainsi que de produits alimentaires. De toute évidence, pour arriver à donner plus de chances au succès de l’entreprise, il fallait à la tête un homme qui sache tout du métier et surtout capable de procéder à toutes formes de transformation de viande afin de ne point être déficitaire. C’est là que résidait le gros du problème.

LVS – Vous n’êtes pas sans savoir qu’une frange non négligeable de la population sépharade, qui soit dit en passant est la première consommatrice de viande cachère, éprouve de plus en plus de difficultés à acheter vu les prix prohibitifs qui sont pratiqués. On nous a rapporté des cas de certaines familles qui n’achètent plus de viande tout court dans le meilleur des cas alors que d’autres en désespoir de cause, se fournissent dans les étals de viande non cachère dans les supermarchés.

Je suis malheureusement au courant de cette situation que je déplore. Je n’ai jamais cessé de le signaler à qui de droit afin de trouver une solution qui prenne en compte les familles démunies. En effet, il n’est pas normal que les prix de la viande cachère varient du double parfois du triple comparativement avec la non cachère. Aussitôt, les esprits vont accuser les responsables des départements de cacherout. Aussi faut-il convenir que rien n’a été fait à propos de cela. Pour revenir au KSR, il est adopté par des restaurants, des salles de fêtes, des traiteurs et il est considéré comme extrêmement fiable vu la rigueur que nous appliquons dans toutes nos inspections lorsqu’on fait appel à nos services. J’aimerais y ajouter que nous essayons de faciliter les démarches à suivre, car nous voulons tenir compte des problématiques auxquelles sont malheureusement confrontés les commerçants qui veulent opérer dans le domaine du cachère. La situation actuelle est la suivante : il y a actuellement en place un monopole de la viande cachère qui exerce une politique des prix du fait qu’il est seul à fournir les principales boucheries telles Mehadrim, Glatt 2, etc. Si nous comparons cette situation à celle qui prévaut aux États-Unis, nous constatons que chaque ville de cet immense pays possède différents types de shehita (abattage rituel) sous la supervision de Rabbins rigoureux et reconnus pour leur compétence. C’est d’ailleurs le cas en Israël où chaque consommateur y trouve son compte. Nous sommes donc en présence d’un marché où la libre concurrence joue à fond et les prix reflètent cette réalité, ce qui est loin d’être le cas ici. Prendre en main les shohatim suppose la nécessaire supervision dans les abattoirs, les transports, etc., ceci représente tout un circuit et beaucoup de frais. Il n’y a plus comme avant un abattage à Toronto (l’abattoir cacher de cette ville ayant été fermé par le gouvernement). Le Vaad Ha’ir, conscient de ces difficultés et contrairement à ses principes de base, organise des abattages au Mexique. Nous arrivons à la fin du processus, à l’importation d’une viande de bien moindre qualité comparée à celle du bœuf canadien de l’Ouest et à une coupe de viande qui ne correspond pas aux habitudes du consommateur. Ajoutons à cela qu’à la fin du processus, le prix de la viande n’a pas baissé, mais augmenté de manière démesurée. La réalité qui s’impose est la suivante : il y a au moment où l’on se parle, un cartel qui mène la danse, les frais de production n’ont pas augmenté bien au contraire, mais les prix au détail ont bel et bien triplé. Devant cette situation, le Vaad Ha’ir se doit d’agir non seulement sur la supervision de la shehita, mais en tant que responsable de la cacherout et doit également rappeler à l’ordre les fournisseurs de viande, car il ne suffit pas que la viande réponde aux critères de cacherout conformément à Yoré Déâ,(partie du Shoulhan ‘Aroukh traitant des lois d’abattage, de la shéhita), elle devrait tenir compte des lois financières enseignées dans Hochène Mishpat (partie du Shoulhan ‘Aroukh traitant des transactions) et veiller à faire respecter cet aspect.

Tout dernièrement, le président de la CSUQ , l’Honorable Jacques Saada et le directeur général, Benjamin Bitton vous ont rendu visite pour vous informer de la démarche qu’ils avaient entreprise auprès du Vaad Ha’ir afin de trouver ensemble des pistes de solution pour mettre fin à la situation actuelle qui pénalise surtout les classes défavorisées de notre communauté et le cas échéant, pour reprendre vos mots, « prendre en mains notre destinée ».

Je suis convaincu depuis longtemps que ce serait la solution idéale pour parvenir enfin à une cacherout sépharade qui permettrait à toute la communauté d’avoir accès à des produits cachers à des prix abordables. Il n’y a pas de solution miracle. Pour mettre fin à la situation de monopole qui est en place actuellement, il faut qu’il y ait dans notre communauté des individus ou des groupes disposant de moyens financiers adéquats qui permettraient entre autres d’avoir la possibilité d’importer de la viande cachère sous vide, d’Argentine par exemple, connue pour la qualité de sa viande et pour la coupe et bien entendu créer des centres de vente et de distribution. Nous pourrions ainsi avoir une shéhita sous l’autorité du Rabbin Mahfoud d’Israël qui dispose partout d’un réseau de shohatim ou tout simplement créer notre propre shehita montréalaise et importer en emballage sous vide soit par l’intermédiaire de distributeurs soit en donnant aux consommateurs la possibilité de commander et de recevoir directement la viande chez eux. Cependant, je reste partisan d’une concertation avec le Vaad Ha’ir en leur demandant à ce que les problématiques en cours soient traitées de manière raisonnable, rationnelle et surtout réaliste. Pour parvenir à une solution, la concertation et la solidarité sont de mise. Je suis nostalgique du temps où les chevillards 3 avaient les coudées franches dans la commercialisation de la viande. En fait, pour répondre à votre question, oui j’encourage et j’appuie toute initiative qui irait dans le sens des solutions que nous avons abordées lors de cette entrevue. Une vraie volonté d’aborder le problème est essentielle. Le Vaad Ha’ir aurait intérêt à voir de telles démarches aboutir afin de les utiliser à son tour pour répondre aux tenants et aux aboutissants de ce lucratif commerce qui est celui de la viande cachère.

Notes:

  1. La dénomination Beith Yossef correspond au « Nec plus ultra » dans le domaine de la cacherout de la viande. Il implique qu’un examen particulier des poumons a été effectué pour s’assurer de leur aspect parfaitement lisse (ndr).
  2. Mehadrin et Glatt sont deux appellations appliquées dans les articles cachers qui dénotent une qualité supérieure dans la supervision de la cacherout (ndr).
  3. Bouchers en gros ou demi-gros (ndr)
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