DEUX FIGURES ISRAÉLIENNES QUI NE CROIENT PLUS EN LA PAIX

ENTRETIENS AVEC GADI TAUB ET YOSSI ALPHER

PAR BERNARD BOHBOT

Gadi Taub

Yossi Alpher

Bernard Bohbot

Bernard Bohbot est étudiant en histoire à l’UQAM. Auteur d’un mémoire sur les Juifs d’extrême gauche en mai 68 et la question palestinienne, il est également membre des Amis canadiens de La Paix maintenant, mais il s’exprime toutefois ici à titre personnel. Il s’est entretenu avec deux personnalités Gadi Taub, historien et journaliste et Yossi Alpher, haut gradé du Mossad à la retraite et ancien directeur du Jaffee Center for Strategic Studies. Il nous livre ici un compte rendu de ces deux entrevues.

Il est de bon ton au sein de l’élite médiatico-intellectuelle occidentale de faire grand bruit autour de ces sionistes de gauche qui quittent le bateau sioniste et qui enjoignent les autres Juifs à faire de même. On n’a qu’à penser à l’historien Tony Judt, à l’ancien Président de la Knesset Avraham Burg, au journaliste polémique Gideon Levy, et bien d’autres qui sont d’avis que l’État d’Israël ne devrait plus exister en tant qu’État juif. D’aucuns y voient d’ailleurs la faillite du sionisme de gauche des Pères fondateurs de l’État d’Israël qui, d’après ses détracteurs, repose sur une contradiction insoluble : concilier le nationalisme juif et les droits de la personne.

Or, contrairement à ce qu’on laisse croire, ce virage vers la gauche radicale d’anciens sionistes de gauche reste l’exception plutôt que la règle. En effet, il y a beaucoup plus de sionistes de gauche qui se sont rapprochés du centre que de l’extrême gauche, même s’ils sont peu médiatisés. Parmi les figures emblématiques de la gauche israélienne qui ont durci leurs discours, on retrouve bien sûr le plus fameux des « Nouveaux historiens » israélien, Benny Morris, spécialiste de la question des réfugiés palestiniens.

Dans le cadre de cet article, nous avons d’abord interviewé :

 

Gadi Taub, historien, une figure emblématique de la gauche israélienne qui ne croit tout simplement plus que la paix soit à portée de main.

Gadi Taub est un intellectuel prolifique : historien qui enseigne à l’Université hébraïque de Jérusalem, il est également un romancier et journaliste de talent. Auteur du livre The Settlers, And the Struggle Over the Meaning of Zionism, un ouvrage très peu flatteur sur les colons israéliens vivant en Cisjordanie qu’il accuse de trahir l’idéal sioniste, il n’en est pas moins critique des Palestiniens à qui il reproche d’avoir rejeté tous les plans de paix qui leur furent proposés depuis l’an 2000. Si bien, que Gadi Taub pense que l’occupation ne prendra jamais fin, car selon lui, les Palestiniens ne laisseront jamais les Israéliens s’en aller. Il cite d’ailleurs volontiers le militant palestinien défenseur des droits de l’homme et opposant politique de Mahmoud Abbas, Bassam Eid, qui le laissa bouche bée en lui disant, en marge d’une conférence : « Qui nous protègera si vous vous en allez? »

Taub n’est pas adepte du politiquement correct. Il accepte tout à fait l’affirmation de Netanyahu selon laquelle dans un avenir prévisible, Israël est condamné à vivre par l’épée. Fait étonnant pour un homme de gauche, il considère qu’Israël se situe au cœur d’un choc des civilisations avec le monde musulman pour reprendre l’expression de Samuel Huntington : « bien sûr qu’il y a un choc des civilisations. Qui a eu raison, Huntington ou Fukuyama [qui pensait plutôt que le monde entier se dirigeait vers l’adoption de la démocratie libérale]? » nous dit-il, en entrevue.

Il cite d’ailleurs volontiers son collègue, le politologue Dan Shueftan, de l’université de Haïfa, qui affirme qu’il n’y a que quatre véritables États-nations au Moyen-Orient : Israël, la Turquie, l’Iran et l’Égypte. Le reste est selon lui composé de « tribus avec des drapeaux » qui se font la guerre.

Mais pourquoi une telle hargne de la part d’une ancienne figure emblématique du camp de la paix israélien? Gadi Taub, insiste pour dire qu’il n’a pas changé. Il défend toujours le partage du territoire. Cependant, comme beaucoup d’Israéliens, il affirme avoir perdu ses illusions sur les intentions des Palestiniens après qu’ils aient déclenché la Seconde intifada en septembre 2000, et qu’ils aient rejeté le plan de paix du Président Clinton en décembre de la même année. Selon lui, c’est sur la question des réfugiés que les négociations ont achoppé. Comme il le dit lui-même : « Les Palestiniens veulent un État duquel les Juifs seront expulsés, car ils veulent un droit au retour au sein de l’État d’Israël pour que les Juifs deviennent minoritaires ». Il n’hésite d’ailleurs pas à accuser le nationalisme palestinien d’être rattaché à « la terre et le sang… Ils s’imaginent qu’il y a un lien mystique entre le peuple et la terre ». Selon lui, c’est ce qui les empêche de reconnaître que les Juifs aussi partagent des droits sur cette même terre; d’où l’importance du partage.

Nous lui avons toutefois rappelé que tous les sionistes de gauche ne sont pas d’accord avec lui. Certains, comme Peter Beinart que nous avons interviewé l’an dernier 1, affirment que les Palestiniens ne souhaitent que la reconnaissance symbolique du droit au retour, mais qu’ils sont flexibles pour ce qui est du nombre de réfugiés qui pourraient regagner Israël. « Ce n’est que de la propagande » répond Gadi Taub. « Les Palestiniens ont refusé le plan de paix de Clinton en 2000, d’Olmert en 2008 et d’Obama en 2014. Le reste, ce n’est que de la propagande ».

Gadi Taub avoue également n’avoir que très peu de patience pour l’antisionisme de l’intelligentsia occidentale. Le sionisme n’est rien d’autre que « le droit universel des peuples à l’autodétermination sur leur terre d’origine appliqué aux Juifs… C’est notre terre à nous aussi… Nous avons accepté de la partager et de créer notre État sur une petite partie seulement de notre terre d’origine » dit-il.

Lorsque nous relevons que ce qui est reproché au sionisme, est le fait qu’il ait érigé l’État d’Israël sur une terre qui était habitée par un autre peuple, et que le concept de « droits historiques » du peuple juif sur cette terre est difficile à défendre sur une base universaliste (si tous les peuples invoquaient un quelconque droit historique pour récupérer des terres leur ayant appartenu il y a plusieurs siècles un véritable chaos s’en suivrait), il répond du tac au tac : « les Palestiniens n’ont pas plus de droits historiques ». Il rejette fermement l’idée selon laquelle ou les Arabes, ou les Juifs posséderaient des droits exclusifs sur ce territoire.

On comprend donc que le sionisme de Gadi Taub est à des années-lumière de celui de la droite religieuse pour laquelle posséder et peupler la terre est une fin en soi. Gadi Taub considère simplement que tous les peuples ont droit à une terre pour y exercer leur droit à l’autodétermination. C’est dans cette logique qu’il justifie le retour des Juifs sur une partie seulement de leur terre d’origine. Il ne s’agit pas pour lui de reconstituer les frontières bibliques d’Israël. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il défend le partage de la terre d’Israël/Palestine entre Israéliens et Palestiniens – puisque les deux peuples ont droit à leur propre État.

Taub souligne également que pour les Juifs le sionisme n’était pas un choix, mais une nécessité. Il rappelle que son père a dû fuir l’Europe centrale à l’âge de 12 ans pour échapper aux persécutions antisémites et qu’aucun pays occidental, pas même le Canada, n’ont accepté de le recevoir. Il rajoute d’un ton caustique : « désolé, mais nous n’allons pas nous suicider pour vous faire plaisir [aux Occidentaux] ».

Mais à quoi associe-t-il cette passion antisioniste qui balaie l’Occident? « C’est simple, ils  [les Occidentaux] se sentent coupables de leur passé colonial, et comme ils nous voient comme des Occidentaux, ils la transfèrent [leur culpabilité] sur nous ».

Et l’argument selon laquelle les Juifs ne sont pas un véritable peuple, mais plutôt une communauté religieuse, comme l’affirment les Palestiniens? Il répond que c’est aux Juifs de déterminer leur identité. « Ça s’appelle autodétermination… Ce n’est pas à quelqu’un qui vit à Montréal de décider quelle est notre identité. ».

Quant au mouvement de boycott d’Israël qui fait florès dans les métropoles européennes et nord-américaines, Taub ne s’en formalise pas et se montre résigné. « Ce n’est pas agréable, mais on n’en ressent pas les effets économiques ». Il pense néanmoins que la société israélienne est assez résiliente pour y faire face. « On ne se suicidera pas » répète-t-il.

Enfin, au sujet de son livre, The Settlers : And the Struggle Over the Meaning of Zionism dans lequel il se livre à une charge en règle contre le projet de colonisation juive en Cisjordanie, et bien que Taub soit très critique envers les Palestiniens, il trouve que la droite israélienne est tout aussi dangereuse pour le futur d’Israël. Il affirme ainsi que l’idée d’un droit historique ou biblique sur la totalité de la terre d’Israël viole non seulement les idéaux des Pères fondateurs d’Israël, mais qu’à terme, la colonisation de la Cisjordanie mènera à la perte d’Israël.  En l’absence d’une séparation entre Israéliens et Palestiniens, dit-il, il va falloir choisir entre donner le droit de vote aux Palestiniens (qui risquent de devenir majoritaires), ou mettre en place un véritable système d’apartheid. Dans les deux cas de figure, ce sera la fin d’Israël en tant qu’État juif et démocratique.

Gadi Taub est un personnage iconoclaste, au franc-parler, mais bien emblématique du virage à droite (ou au centre) de nombreux israéliens. S’il est critique de l’occupation et de la colonisation juive en Cisjordanie, il a néanmoins perdu ses illusions concernant les Palestiniens. Ce n’est pas un euphémisme que de dire que la gauche israélienne a été terrassée par l’échec du processus de paix. Pour se réinventer, il lui faudra faire preuve de résilience et cesser de lier son destin à celui de la paix pour se reconcentrer sur les impératifs d’ordre socioéconomique. Après tout, un accord de paix n’est pas nécessaire pour rediriger l’argent investi dans les colonies juives vers les programmes sociaux israéliens qui sont parmi les moins bien financés des pays de l’OCDE. Cela ne la ramènera pas au pouvoir de sitôt. Mais le nihilisme qui la guette risque bien de lui être fatal.

 

Entretien avec Yossi Alpher : ancien espion et stratège militaire

Tout observateur de la scène politique israélienne sait que depuis quelques années déjà, les relations entre l’establishment militaire et le premier ministre Benyamin Netanyahu sont pour le moins tendues. Certes, en tant que démocratie, l’État d’Israël exige que son armée reste neutre politiquement et qu’elle se soumette aux décisions de l’exécutif. Or, depuis quelques années déjà, un schéma récurrent se répète : la quasi-totalité des généraux qui gardent le silence pendant qu’ils sont en exercice prennent la parole le moment de la retraite arrivé. C’est que l’élite militaire israélienne estime que le statu quo ne peut plus durer, et que l’annexion rampante de la Cisjordanie par Israël mène le pays à sa perte. Selon eux, si Israël ne se sépare pas le plus rapidement possible de la Cisjordanie, les Juifs deviendront bientôt minoritaires et deux scénarios se pointeront à l’horizon:

1) Israël accordera le droit de vote aux Palestiniens et deviendra un État binational dans lequel les Juifs seront réduits au rang de minorité 2.

2) Israël refusera d’accorder à la majorité palestinienne le droit de vote et le pays deviendra véritablement un État d’apartheid, à l’instar de l’ancienne Afrique du Sud où la minorité blanche refusait le droit de vote à la majorité noire.

Ainsi, environ 85 % des généraux à la retraite et des officiers supérieurs des services de sécurité (Mossad et Shabak) réclament la séparation entre Israéliens et Palestiniens à travers le démantèlement des colonies juives et la démarcation d’une frontière claire et définitive entre Israël et les Palestiniens. Bref, ils veulent qu’Israël renonce à ses prétentions sur la quasi-totalité de la Cisjordanie.

Il est important de préciser ici qu’ils n’insistent pas tant sur la signature d’un accord de paix accompagné d’un retrait immédiat des forces armées israéliennes stationnées en Cisjordanie que sur le démantèlement des colonies juives. S’ils ne réclament pas le retrait immédiat des troupes israéliennes, c’est que contrairement à plusieurs caciques de la gauche israélienne qui croient que la paix est à portée de main, ils ne sont pas convaincus de la volonté de l’Autorité palestinienne de négocier un accord débouchant sur la constitution de deux États pour deux peuples, elle qui a déjà rejeté trois plans de paix qui lui auraient permis de récupérer la quasi-totalité de la Cisjordanie (en 2001, 2008  et 2014).

Parmi ceux qui adhèrent à ce programme, on retrouve l’ancien haut gradé du Mossad, Yossi Alpher, qui dirigea également le plus grand institut militaire d’Israël, le Jaffee Center for Strategic Studies (rebaptisé en 2006 Institute for National and Strategic Studies – INSS) de 1981 à 1995. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il fut le premier à envisager l’idée d’un échange de territoires entre Israël et les Palestiniens, de manière à ce qu’Israël puisse conserver certaines colonies juives dans le cadre d’un accord de paix sans pénaliser les Palestiniens. Alpher a également dessiné les cartes géographiques présentées par l’ancien premier ministre Ehud Barak au sommet de Camp David en 2000. De plus, il s’est impliqué pendant de longues années dans le dialogue entre Israéliens et Palestiniens au moyen du site internet Bittlerlemons.net. L’expertise d’Alpher dans le domaine militaire n’est donc plus à démontrer. C’est pour cela que nous avons tenu à l’interviewer.

Pourquoi pensez-vous que les Israéliens appuient encore Netanyahu alors que la plupart des démographes affirment que si Israël ne se sépare pas de la Cisjordanie d’une façon ou d’une autre, Israël perdra sa majorité juive.

La perception générale est que Netanyahu a apporté la sécurité et la prospérité aux Israéliens. Il a subtilement persuadé les électeurs qu’Israël peut demeurer un État juif et démographique tout en accaparant de plus en plus de territoires. La plupart des électeurs ne sont pas troublés à l’idée que les Palestiniens deviennent des citoyens de seconde zone. Ils ne sont pas non plus au fait des précédents historiques (l’Afrique du Sud par exemple) où une telle situation a débouché sur une situation désastreuse. Aussi les électeurs prennent note du fait que sous Netanyahu, le monde arabe se désintéresse des Palestiniens et se montre davantage enclin à accepter une collaboration stratégique avec Israël. Les électeurs remarquent également que Netanyahu est soutenu par Trump, un président qui nous est amical. Enfin, Netanyahu (et les électeurs) n’ont devant eux aucun leader convaincant dans l’opposition.

Comment se fait-il que Netanyahu ait réussi à préserver sa réputation de « Monsieur sécurité » alors que l’establishment sécuritaire s’oppose à ses politiques : 85 % des généraux retraités et des anciens hauts gradés des services de sécurité répètent incessamment que la colonisation en Cisjordanie met en péril l’existence même de l’État d’Israël?

Netanyahu et le nouveau courant ultranationaliste majoritaire ont réussi à discréditer les leaders sécuritaires. Il faut remarquer toutefois que l’establishment sécuritaire n’a pas réussi à produire un leader qui pourrait remporter une élection avec un message différent. Les leaders sécuritaires ne constituent plus une élite en Israël.

L’ancien premier ministre Ehud Barak et l’ancien chef d’état-major Gabi Ashkenazi ont tous les deux défendu l’idée d’un retrait unilatéral de la majeure partie de la Cisjordanie. Ils affirment cependant qu’Israël devrait conserver une présence militaire dans la vallée du Jourdain afin d’empêcher que le Hamas et les autres organisations extrémistes palestiniennes de faire passer clandestinement des armes comme ils l’ont fait à Gaza à la suite du retrait de l’armée israélienne en 2005. Cependant, malgré le fait que ni Barak ni Ashkenazi ne parlent d’un retrait total de la Cisjordanie, l’unilatéralisme a acquis une mauvaise réputation en Israël après ce que plusieurs qualifient d’échec du retrait de Gaza en raison de l’augmentation des tirs de roquette à la suite du retrait israélien de ce territoire.

Pensez-vous que les Israéliens reviendront à la solution d’un retrait unilatéral dans un futur rapproché?

C’est envisageable. Si la situation en Cisjordanie se détériore gravement, un leader pourrait défendre de façon convaincante l’idée qu’un retrait [partiel] qui laisserait l’armée sur place tout en retirant les colons, ce qui réduirait les accrochages ainsi que le nombre de victimes, donnerait de meilleurs résultats que le retrait de Gaza.

Des figures très en vue de la droite israélienne telles que l’ancien ambassadeur à Washington Yoram Ettinger, la journaliste Caroline Glick, l’ancien ministre de l’Éducation Naftali Bennett, et plusieurs autres contestent les prédictions démographiques de la plupart des démographes israéliens qui affirment qu’Israël perdra sa majorité juive si elle maintient son emprise sur la Cisjordanie. Est-il vrai que l’Autorité palestinienne falsifie ses statistiques de façon à faire croire aux Israéliens qu’il est impératif pour eux de restituer la Cisjordanie?

Je ne sais pas si cette affirmation est véridique. Je respecte et crois les démographes professionnels. Ils connaissent les démographes palestiniens et les croient. De plus, même si la droite a raison, est-ce qu’un Israël comprenant 45 % d’Arabes s’en sortirait mieux qu’un Israël où 51 % de la population est arabe? La droite n’a pas de réponse outre cette forme subtile d’apartheid qui bénéficie de l’indifférence arabe et américaine.

Un nombre croissant de gens au sein de la droite israélienne réclament l’annexion de la Cisjordanie (pas de Gaza). Ils affirment qu’octroyer la citoyenneté israélienne aux Palestiniens de Cisjordanie ne mettrait pas en péril le caractère juif d’Israël. Est-ce vrai? Aussi, d’un point de vue sécuritaire, est-il viable d’inclure des millions de Palestiniens au sein de l’État d’Israël? Si c’est faisable, pourquoi Netanyahu n’a-t-il pas déjà annexé la Cisjordanie?

Voyez ma réponse à la question précédente. Que les Palestiniens soient inclus en Israël avec une citoyenneté pleine, partielle ou sans citoyenneté du tout, cela débouchera sur  la perspective peu attrayante d’une entité binationale et violente.

Israël semble avoir fait des gains diplomatiques notables au cours des dernières années (la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par un nombre grandissant de pays, ses relations avec les paysans africains, asiatiques et latino-américains se sont améliorées, etc.). N’est-ce pas la preuve qu’Israël est plus fort que jamais, et que ceux qui affirment que l’occupation de la Cisjordanie ferait d’Israël un État paria sont dans l’erreur? Aussi, pensez-vous que le statu quo est viable?

Je ne peux me prononcer en ce qui concerne le statu quo régional et international. Qui sait? Mais je suis certain qu’Israël dérive vers une réalité à un seul État [car il sera bientôt impossible de séparer la Cisjordanie d’Israël]. Il ne s’agit pas d’un statu quo et cette réalité s’avèrera désastreuse pour Israël et les Juifs en diaspora; même si le reste du monde est indifférent (ou heureux) de voir cette réalité prendre forme.

Un nombre grandissant de gens défendent l’idée d’une confédération israélo-palestinienne pour remplacer le statu quo ainsi que le paradigme de deux États qui trouve de moins en moins preneur. Cette idée est-elle viable d’un point de vue sécuritaire?

Non. Je ne crois à aucune forme de binationalisme comme solution viable.

Dans votre dernier livre, No End of Conflict, vous affirmez clairement que l’Autorité palestinienne n’est pas intéressée à un accord de paix avec Israël qui ne comprendrait pas de droit au retour pour les réfugiés palestiniens [ce qui est incompatible avec l’existence d’Israël]. Pourtant, nombreux sont ceux qui au sein de la gauche sioniste (Haaretz, le parti Meretz, Yossi Beilin, Peter Beinart, Charles Enderlin, etc.) affirment que les Palestiniens ne recherchent qu’un « droit au retour symbolique », mais ils savent très bien que le retour des réfugiés est irréaliste. Que leur répondez-vous?

Qu’ils ignorent sciemment l’immense gouffre entre les récits des deux parties en ce qui a trait à la question des réfugiés et celle du Mont du temple. Ils les balaient sous le tapis. Cela fait partie de leur réticence à analyser sérieusement l’échec du processus d’Oslo. Je ne connais que très peu de Palestiniens qui ne considèrent pas qu’Israël soit né dans péché, et qui ne réclame pas qu’Israël le reconnaisse dans le cadre d’une solution. Cela équivaut à exiger qu’Israël se délégitime afin de parvenir à un accord de paix.

Étant donné les lois controversées votées par la Knesset comme la loi sur l’État-nation, les tentatives d’affaiblir la Cour suprême et ainsi de suite, pensez-vous qu’Israël se dirige vers l’autoritarisme?

Israël se dirige vers une domination ultranationaliste qui limitera la démocratie et les droits de la personne en Israël ainsi que pour les Palestiniens.

Êtes-vous d’accord avec ceux qui affirment qu’étant donné le fait que les Palestiniens vivent sous occupation israélienne sans bénéficier du droit de vote aux élections israéliennes, Israël est devenu de facto un État d’apartheid?

Pas encore. Il existe encore des différences importantes entre le statut de l’Autorité palestinienne et celui des Bantoustans en Afrique du Sud. Cela dit, on se dirige dans cette direction.

Comment voyez-vous Israël dans une dizaine d’années (guerre civile, apartheid, impasse permanente, paix)?

Nous serons probablement toujours en train de dériver [vers la solution à un seul État]. Cela se poursuivra jusqu’à ce qu’un évènement lourd de conséquences sur le plan stratégique ait lieu (guerre, catastrophe naturelle, immense intifada, etc.). Cela aurait des conséquences dramatiques et redistribuera les cartes. Pour le mieux? Pour le pire? Impossible de prédire.

 

Notes:

  1. Voir  https://lvsmagazine.com/2018/03/entretien-avec-peter-beinart-le-porte-voix-des-jeunes-juifs-americains/
  2. Selon le démographe israélien, Sergio Della Pergola, entre la Méditerranée et le Jourdain, il y a maintenant 6,9 millions de Juifs et 6,5 millions d’Arabes. L’Écart est amené à se résorber au cours des 15 à 20 prochaines années https://lphinfo.com/demographie-et-identite-sergio-della-pergola/
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