ÉTAT DES LIEUX DE L’ANTISÉMITISME AU CANADA EN 2018

PAR DAVID OUELLETTE

David Oullette
David Ouellette, Directeur, recherche et affaires publiques au Centre consultatif des relations juives et israéliennes-Québec (CIJA-Québec). Le CIJA est l’agent de représentation de la Fédération CJA à Montréal et des Fédérations juives du Canada.
Tout état des lieux de l’antisémitisme au Canada en 2018 doit reconnaître qu’à la différence de plusieurs autres pays occidentaux, notre pays est largement épargné par la montée d’importants mouvements populistes de gauche et de droite et par l’antisémitisme qu’ils alimentent.
Notre classe politique demeure prompte à condamner les discours haineux et l’extrémisme violent, y compris l’antisémitisme. L’attentat antisémite de Pittsburgh 1 fut l’occasion de le reconfirmer. Ainsi, lors de la vigile organisée par la Fédération CJA en partenariat avec le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) en hommage aux victimes de l’attentat, la vice-première ministre du Québec Geneviève Guilbault a démontré la ferme résolution du gouvernement québécois à combattre la haine des Juifs : « Ce soir, à titre de vice-première ministre du Québec, je souhaite lancer un message clair d’unité et de solidarité envers la communauté juive de Montréal, de partout au Québec, et de partout dans le monde. Nous devons absolument demeurer unis, nous devons ensemble poursuivre nos efforts pour combattre la haine, la violence, et l’antisémitisme. »
De même, quelques jours après Pittsburgh, le premier ministre Justin Trudeau a présenté les excuses du gouvernement du Canada pour le refus d’accorder l’asile aux réfugiés juifs à bord du MS Saint Louis 2 en 1939, une demande articulée par le CIJA. Soutenues par les partis d’opposition, les excuses du premier ministre ne se sont pas bornées à l’antisémitisme historique, mais ont également ciblé les expressions contemporaines d’antisémitisme, notant en référence au mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) et la remise en cause de l’existence d’Israël.
Bien que soutenue par la classe politique et nos concitoyens, notre communauté s’inquiète à juste titre de plusieurs tendances persistantes. En 2018, le rapport annuel de Statistique Canada sur les crimes haineux a confirmé que les Juifs canadiens demeurent la minorité la plus souvent ciblée au pays. Il faut toutefois noter que la plupart de ces crimes sont des infractions sans violence contre les biens, comme le vandalisme et autres méfaits.
L’année 2018 a aussi reconfirmé la nature protéiforme de l’antisémitisme au Canada.
À l’extrême droite, la plus importante publication haineuse au Canada aujourd’hui est Your Ward News. À la suite de la campagne du CIJA et d’autres acteurs de la société civile, le gouvernement fédéral a mis fin à sa livraison par Postes Canada et en janvier 2019 la justice ontarienne a jugé les responsables de la publication coupables de promotion de la haine envers les juifs et les femmes.
Aussi, quelques jours avant Pittsburgh, un Montréalais a été rapidement arrêté par la police et accusé de harcèlement et d’incitation à la haine et à la violence après avoir menacé sur Facebook de tuer des écolières juives. Le CIJA est rapidement intervenu pour que soit ajoutée à ses conditions de mise en liberté l’interdiction de se trouver à proximité d’institutions juives. Nous continuons de surveiller les poursuites judiciaires contre le suspect et de préconiser une peine à la mesure de la gravité de l’incident.
À l’extrême gauche, le mouvement BDS accumule les défaites sur les campus, grâce notamment aux formations de leadership qu’offre le CIJA aux étudiants pour développer leur capacité à s’opposer stratégiquement aux initiatives anti-Israël. De fait, au cours des deux dernières années les offensives du BDS ont connu un taux d’échec de 85 % sur les campus.
Cependant, à mesure que le BDS décline, sa rhétorique se radicalise. Par exemple, des propos négationnistes ont été prononcés lors d’une activité du BDS à Montréal et le président de la principale organisation pro-BDS du pays a provoqué une vive condamnation de la part des chefs de tous les grands partis politiques fédéraux après avoir accusé deux députés juifs d’être plus loyaux envers Israël qu’envers le Canada.
La rhétorique antisémite dans certaines publications arabophones et dans certaines mosquées demeure une source d’inquiétude. Toutefois, grâce à nos relations avec des dirigeants musulmans, le CIJA a pu prévenir la présentation de certains prédicateurs antisémites étrangers et compte pouvoir travailler avec les communautés musulmanes afin d’endiguer la diffusion de l’antisémitisme en leur sein.
Conscient que l’antisémitisme est à la fois un signe précoce de radicalisation et une prédisposition à l’extrémisme politique et politico-religieux, le CIJA continue de collaborer avec les programmes et les unités de contre-radicalisation afin d’assurer que leurs intervenants soient bien outillés, tant dans leurs efforts de prévention que de réhabilitation.
En 2019, le CIJA continuera de faire campagne en faveur de politiques qui renforceront la lutte contre l’antisémitisme. Alors que les discours haineux et l’incitation à la violence en ligne continuent de croître à l’échelle mondiale, le CIJA continuera de réclamer l’élaboration d’une stratégie nationale pour contrer la haine en ligne — notamment en demandant à Ottawa d’inciter les fournisseurs de plateformes numériques à faire davantage contre les appels à la violence en ligne.
Le CIJA préconise cette année l’adoption de la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH) par les services de police, les autorités responsables des droits de la personne et d’autres organismes gouvernementaux pertinents, pour mieux appréhender les incidents et crimes antisémites.
Cette définition, adoptée par une trentaine de pays, dont le ministère des Affaires étrangères du Canada, englobe toutes les manifestations contemporaines de l’antisémitisme 3.
Enfin, compte tenu des coûts importants liés à la sécurité encourus par nos institutions, le CIJA continuera d’exhorter cette année tous les paliers gouvernementaux à financer la formation en sécurité et à subventionner les coûts liés à l’embauche du personnel de sécurité.
Notes:
- Le samedi 27 octobre 2018, pendant l’office matinal de Chabbat, un tueur a fait irruption dans la synagogue Tree of Life de Pittsburgh faisant 11 morts et 6 blessés. ↩
- En mai 1939, le MS St. Louis, un paquebot transportant des Juifs européens fuyant l’Allemagne nazie et cherchant refuge, arriva à Cuba. Malgré le danger imminent en Allemagne, plus de 900 de ses passagers se sont vu refuser l’admission à Cuba et aux États-Unis. Ignorant les appels à la compassion, le gouvernement du Canada a refusé d’admettre un seul passager. Le navire est retourné en Europe. Des centaines de personnes ont par la suite été assassinées lors de l’Holocauste. ↩
- Voir https://ep-wgas.eu/ihra-definition/french/. ↩