NOS « SHKEUNS » À NOUS*
PAR SYLVIE HALPERN
Sylvie Halpern a été toute sa vie journaliste en presse magazine, notamment pendant 20 ans à l’« Actualité ». Elle a récemment créé Mémoire vive, une entreprise de rédaction d’histoires de vie : à la demande des familles, elle rédige des livres en publication privée racontant la trajectoire de leurs parents.
Logiquement, ils seraient plus gefilte fish que dafina. Pourtant à Montréal, ils sont plusieurs « autres Juifs » qui s’activent à dynamiser la CSUQ. Mini-portrait de quelques transfuges ashkénazes.
Cherchez la femme ! Il y a seulement deux ans que le producteur Michel Zgarka a rejoint la CSUQ, mais il s’y implique de plus en plus. « C’est vrai que je suis ashkénaze, mais avant tout, je suis francophone » dit ce parisien de naissance qui a suivi enfant ses parents au Québec. Jusque-là, le producteur n’avait jamais songé à s’engager sur le plan communautaire, mais quand on lui a demandé de participer au relancement du Festival du cinéma israélien de Montréal, étant du métier, il a tout de suite accepté. « Et puis ma femme est sépharade : j’adore sa culture, sa cuisine, et surtout ma femme ! » Aujourd’hui observateur au conseil d’administration de la CSUQ, responsable aussi de la sélection cinéma du Festival Sefarad, Michel n’a pas l’intention de s’arrêter là, surtout sous la nouvelle présidence de Jacques Saada : « J’ai toujours perçu, malgré les intermariages, deux mondes juifs différents, sinon opposés : l’un cartésien et tout en logique, l’autre soucieux de bien vivre… Mais nous sommes si peu, nous avons besoin les uns des autres ! » Et même s’il a pu entendre des propos inamicaux – du genre « Ce n’est pas encore un Ashkénaze qui va nous montrer quoi faire ! » – il s’y retrouve pleinement dans cet autre monde juif.
Un train peut en cacher un autre ! C’est aussi par son épouse sépharade que le juriste Alain Klotz a connu la communauté et y est devenu très actif, avant même que celle-ci ne soit unifiée : comme secrétaire général, président des élections, membre du conseil d’administration, chroniqueur juridique du LVS, représentant au sein du comité Canada-Israël et même, en 2006, au congrès des juges de la Cour du Québec… Un engagement multiple et sans faille., Arrivé de France en passant par Israël en 1981, il se souvient qu’au début, son nom très Europe centrale en a fait tiquer plus d’un. Pourtant, c’est dans le rite sépharade que son grand-père alsacien (mais dont les origines remontaient au Maroc et à l’Algérie), celui qui a le plus compté pour lui, l’a élevé. Alors, renouant avec ses racines, il dit avoir trouvé « une vraie famille » dans la communauté de Montréal : « C’est là, en français et selon mes traditions, que je me suis senti d’emblée chez moi. »
Question qui taraude : Qu’est-ce qu’une Lipsyc comme notre rédactrice en chef est venue faire dans cette « galère » sépharade 1? D’autant plus qu’au sein de la CSUQ, Sonia Sarah Lipsyc ne se contente pas de diriger le LVS : elle a créé le centre d’études juives contemporaines Aleph, enseigne, organise des conférences, s’implique dans toutes sortes d’évènements communautaires depuis près de dix ans qu’elle a quitté Strasbourg pour Montréal. « J’ai la chance d’être née à Casablanca, d’un père ashkénaze et d’une mère sépharade et d’avoir eu ces deux héritages. Au fond, yiddish ou ladino, gefilte fish ou chakchouka, ce sont des variations d’interprétation : la partition reste la même ! » Mais si en France, Sonia s’est surtout occupée de son côté ashkénaze (son premier livre portait d’ailleurs notamment sur le théâtre yiddish), c’est à Montréal qu’elle a davantage exploré plusieurs versants de la culture sépharade : « Et c’est beaucoup grâce à cette communauté qui m’a vraiment accueillie et pour laquelle je me donne à fond. Du coup, toutes mes différences ont joué en ma faveur… même ma rigueur ashkénaze ! »
Et bien sûr, il y a la langue ! Quand Edmond Silber a débarqué de France au Québec en 1959 et qu’il s’est mis à vendre des trousseaux de mariée à travers la province, il ne parlait pas un mot d’anglais. Alors il a naturellement cherché des Juifs francophones et… il a découvert les sépharades : « Avant, pour moi, un Juif c’était un Juif, point. D’ailleurs quand je me suis marié, ça n’a pas été avec une sépharade, c’était avec une Juive qui parlait français ! » Edmond retrouvait rituellement ses amis chez Vito ou au café Carmel, il a suivi de très près la création de l’Association sépharade francophone, siégé lui aussi sur le conseil de la CSUQ. Mais c’est avec la première intifada que son sang juif n’a fait qu’un tour et qu’il a commencé à s’impliquer publiquement pour défendre Israël : à bombarder Radio-Canada ou La Presse de milliers de lettres, à organiser des contre-manifestations, à créer le site reinfomontreal.com pour combattre la désinformation. « Des remarques sur mes origines ? Jamais. Mais sur les Ashkénazes en général, souvent ! Et comme eux en sortent probablement autant, tout le monde est quitte ! »
Quant à moi, je n’ai pas non plus poussé sur une branche d’olivier. Mon arbre a tenu bon dans les frimas d’Odessa et le monde d’hier de Vienne. En France où je suis née parce que mes parents s’y sont réfugiés, nous étions tellement occupés à nous compter qu’il ne m’est jamais venu à l’esprit de faire de distinction : nous étions Juifs et nous étions toujours là… C’est à Montréal que j’ai compris à quel point les pays traversés, les nourritures, les musiques – jusqu’à l’Histoire – nous ont façonnés et différenciés. Et si je sais toujours très bien d’où je viens, je dois aussi tout à la culture francophone et j’écris avec bonheur dans une revue juive qui la sert. Citoyenne du monde dans un Québec qui l’a à cœur !
* « shkeuns », expression sépharade pour désigner les Ashkénazes.↩
Notes:
- L’auteure de ces lignes a emprunté le terme à Molière dans les Fourberies de Scapin (ndr). ↩
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