UN ENSEIGNANT DE KABBALE EN FRANÇAIS À MONTRÉAL, ENTRETIEN AVEC LE RABBIN DANIEL COHEN

PAR SONIA SARAH LIPSYC

Rabbin Daniel Cohen

Dr Sonia Sarah Lipsyc

Sonia Sarah Lipsyc

Natif de France d’origine ashkénaze et sépharade, le rabbin Daniel Cohen a immigré au Québec en 2004; il vit depuis à Montréal avec sa femme et ses neuf enfants. Il a eu l’occasion d’enseigner à ALEPH – le Centre d’Études Juives Contemporaines de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec, une introduction aux principes fondamentaux de la kabbale et poursuit cet enseignement notamment à la Congrégation montréalaise de la Spanish and Portuguese ainsi que dans des cercles privés ou par des cours sur YouTube 1. Le rabbin Cohen a accepté de répondre à nos questions portant sur son itinéraire et l’enseignement d’aujourd’hui de la kabbale. Dr Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice en chef du LVS et directrice de Aleph – Centre d’études juives contemporaines.

Comment avez-vous découvert l’univers de la Kabbale 

J’ai découvert l’univers de la Kabbale assez jeune. Lorsque j’ai fait techouva, que je suis revenu à l’étude et à la pratique du judaïsme, et suis entré à la yeshiva (école talmudique), en plus du Talmud, j’étudiais plus ou moins secrètement le Zohar* 2. Je me rappelle que mes camarades me surnommaient « le kabbaliste ». La Kabbale, plus que maintenant, souffrait encore des vieux aprioris suspicieux : « C’est dangereux, il faut être marié, avoir quarante ans, connaître tout le Talmud… » Il est vrai que la Kabbale, étant une Sagesse très profonde, cela appelle quelques précautions, un certain sérieux. Cependant, les plus grands kabbalistes étaient parfois jeunes et même encore célibataires et pourtant déjà auteurs d’ouvrages profonds sur le sujet. On peut citer Moche Haim Luzatto, dit le Ramhal* (kabbaliste italien du 18e siècle) qui avait déjà écrit plusieurs ouvrages dans le langage du Zohar à l’âge de vingt ans. Les Maîtres du courant hassidique Habad ou de Komarna, encore adolescents, étaient de grands érudits dans le domaine. Le Gaon de Vilna (18e siècle) lui-même grand kabbaliste, insiste sur le fait de commencer l’étude la Kabbale dès la bar mitsva, la majorité religieuse. Dans le courant hassidique Habad* ou Loubavitch, les enfants apprennent très jeunes les rudiments du Tanya 3, œuvre majeure de la doctrine hassidique, basée principalement sur les grands ouvrages de la Kabbale.

Où enseignez-vous à Montréal? À qui s’adressent vos cours? Sont-ils mixtes (hommes et femmes)? Sont-ils ouverts aux non Juifs?

À Montréal, j’enseigne dans plusieurs endroits : à la Yeshiva Yavné où je suis responsable de la synagogue le Shabbat, au Centre Breslev 4, au Centre Habad de Côte-Saint-Luc (Montréal). Un certain nombre de cours se passent chez moi ou chez des personnes privées. Je donne régulièrement des sessions de conférences en français à la synagogue Spanish and Portuguese ouvertes à un public mixte (hommes et femmes), Juif et non Juif. Nous sommes dans un temps de diffusion et d’ouverture des « portes de la Sagesse ».

Vous définiriez-vous comme un Kabbaliste? Si oui dans quel sens?

Le mot « kabbaliste » est un grand mot qui possède toutes sortes de connotations, comme faiseur de miracles par exemple. À mon sens, un kabbaliste doit porter ce titre s’il se rattache à un groupe d’études ésotériques des ouvrages profonds de la doctrine kabbaliste, enseignement qui possède, de surcroît, un véritable rattachement initiatique à la chaîne de transmission de cette connaissance sacrée. J’ai eu la chance de m’attacher depuis une quinzaine d’années à l’un des plus grands Maîtres de notre génération dans le domaine, le Rav Yitshak Meir Morgenstern de Jérusalem. À vous de voir comment vous voulez m’appeler. Mais, modestement, j’essaye déjà d’être un hassid et de suivre les enseignements du Rabbi de Loubavitch, Menahem Mendel Shnersohn (1902-1994). Cela ne m’empêche pas d’étudier d’autres auteurs.

Comment expliquez-vous l’intérêt croissant pour la Kabbale dans le monde juif et non juif? 

Il s’agit de bien plus qu’une mode. Les prophéties anciennes du Tanakh (Bible hébraïque) promettent que l’ère messianique sera un temps où la connaissance de Dieu sera répandue dans le monde 5. Le Zohar dit que vers la fin du sixième millénaire (nous sommes en l’an 5778 du calendrier hébraïque), les portes du ciel doivent s’ouvrir pour faire descendre la lumière de la Connaissance des secrets 6. Ce sont d’ailleurs les « résidus » de cette connaissance qui permet aux êtres humains de découvrir les mystères du monde et de développer les sciences et les technologies. Lors d’une ascension céleste, il a été révélé au Baal Shem Tov (1698-1760), le fondateur du hassidisme, que le Mashiah (Messie) se dévoilera lorsque les sources hassidiques seront répandues à l’extérieur.. Et le dernier Rabbi de Loubavitch de rajouter : « À l’extérieur de l’extérieur », autrement dit au monde entier, Juifs et non Juifs. La Kabbale est la Sagesse profonde et secrète du peuple juif, mais comme le reste de la Torah, elle possède un message universel, absolument nécessaire dans le monde troublé actuel.

Quels conseils donnerez-vous à quelqu’un qui souhaiterait s’initier à la Kabbale? Y a-t-il un âge minimum?

Comme je le mentionnais, il n’y a pas d’âge minimum. Mais il faut rejoindre de bons groupes et trouver de véritables Maîtres. Sur Internet, il n’y a pas que des gens sérieux. Dans le courant hassidique, la Kabbale est surtout enseignée à l’intérieur des discours et écrits qui parlent de hassidout, c’est-à-dire la pensée hassidique. C’est très clair dans le courant Habad où l’étude approfondie permet d’intégrer peu à peu la doctrine kabbalistique. Il en est de même pour les grands textes de la hassidout comme la pensée hassidique Breslev 7. Aussi, je ne saurais trop que conseiller d’approcher dans un premier temps la Kabbale, par l’étude de ces fondamentaux de la pensée hassidique. Et pour cela, on ne manque pas aujourd’hui de ressources, y compris sur le net.

Vous enseignez également aux Bnei Noah ou Noahides? Pouvez nous dire quelques mots sur ce groupe et votre enseignement?

Le mouvement des Bnei Noah est l’une des choses les plus importantes qui concerne le judaïsme actuel. De par le monde, des groupes, des cours et des publications ne cessent de voir le jour. Lorsqu’il y a une quarantaine d’années, le dernier Rabbi de Loubavitch a promu l’importance d’enseigner aux nations les sept mitsvot, commandements 8, auxquelles elles sont tenues au regard de la tradition juive, peu dans le monde rabbinique ont emprunté le pas. Depuis quand enseigne-t-on la Torah aux non Juifs? Ne faut-il pas s’intéresser en priorité aux « Enfants d’Israël », c’est-à-dire au peuple juif? Mais le Rabbi de Loubavitch, en lisant Maimonide (12e siècle), montrait que c’était de notre responsabilité de faire rayonner la Torah comme un phare pour l’Humanité. Pourquoi cela n’avait-il jamais été encore fait? Parce qu’en exil, ce n’était tout simplement pas possible. Les Églises, comme l’Islam, l’auraient-elles toléré? Aujourd’hui, les choses ont bien changé et le Peuple Juif sort chaque jour un peu plus de l’exil et trouve enfin sa place de « Frère aîné » parmi les peuples. Tout n’est pas encore joué et beaucoup de travail et de combats restent à venir, mais l’enjeu est de taille. Le Judaïsme doit répondre aux grandes interrogations et au besoin de spiritualité d’une Humanité en demande. Personnellement, j’anime depuis près de cinq ans des cours dans le cadre de l’association des Noahides de Montréal. Je peux vous dire que le public y est de qualité et réceptif à un enseignement en profondeur.

 

* Voir notre lexique sur la Kabbale comme tous les termes ou noms suivis d’un astérisque

Notes:

  1. Voir sur YouTube sous l’entrée de « Rav Daniel Cohen » https://www.youtube.com/channel/UCqxXiMOjvj7ilw2eP6rWU0g/ ou sur le site Atikyomin.com
  2. Se cf à notre lexique de la Kabbale comme pour tous les termes suivis d’un astérisque.
  3. Le Tanya est l’œuvre de base de la pensée hassidique du courant Habad et a été écrit par son fondateur le Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi (1745-1812).
  4. Du nom d’un autre courant du hassidisme fondé par Rabbi Nahman de Braslav (1772-1810)
  5. Voir les livres des prophètes Isaïe chapitre 9 et Habakuk 2:14
  6. Se cf au Zohar sur la parasha (lection) Noah
  7. Voir les ouvrages « Likoutey Moharan » ou « Likoutey Halakhot ».
  8. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_noahides et https://fr.wikipedia.org/wiki/Nohaisme
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