MILE END CHAVURAH: UN AUTRE YIDDISHKEIT *
PAR CARINE ELKOUBY
Le Mile-End Chavurah (MEC) est un groupe communautaire né à l’été 2009 de la volonté d’une dizaine d’amis, tous voisins dans le Mile-End 1, qui souhaitaient renouer avec leur judaïsme et tisser des liens avec d’autres Juifs des environs, partageant le même désir. L’idée était d’offrir une alternative aux synagogues traditionnelles ou orthodoxes dans ce quartier considéré comme le plus vibrant de la planète 2. Carine Elkouby est journaliste, réalisatrice de documentaires et scénariste. Elle travaille principalement pour la télévision, sur des sujets de société, notamment liés à la santé et la justice.
En fin de journée, quand la lumière commence à décliner, il règne une ambiance unique à l’intersection des rues Bernard et de l’Esplanade. Il suffit de s’assoir sur le banc du trottoir sud et d’observer. L’homme en noir couvert de son schtreimel 3 demeure concentré sur son appel téléphonique et ne remarque pas les tatouages japonais qui recouvrent pourtant la quasi-totalité des bras et des jambes de cette jeune femme au verbe haut, accrochée au bras de son amie. Son rire interpelle un cycliste qui prend les secondes nécessaires pour l’apprécier, avant de continuer sa route, sacoche en bandoulière et barbe soignée. Les lumières commencent à teinter les fenêtres des appartements de nuances de bleu et d’orange, les transformant en tableaux vivants. De l’une d’entre elles s’échappe l’ombre d’un homme à la guitare et sa voix. Il joue « All I want » de Joni Mitchell 4.
Le Mile-End Chavurah ne possède pas d’espace sur la rue Bernard ni sur l’avenue de l’Esplanade. Et nulle part ailleurs dans le Mile-End. Mais c’est cette atmosphère, nourrie par la diversité de ses membres, que ce groupe véhicule dans chacun des endroits qu’il investit.
Genèse
L’aventure du Mile-End Chavurah naît du besoin d’une poignée de personnes de pratiquer à nouveau leur judaïsme. Amis, collègues, voisins décident, à partir de l’été 2009, de se retrouver les uns chez les autres pour partager des shabbats. Rachel Kronick fait partie de ces pionniers. « Je rêvais d’une communauté qui posséderait un lieu dévolu à la fois à la pratique du judaïsme et à la spiritualité, mais aussi à la culture juive. Un espace qui serait aussi un lieu de débat et d’émulation intellectuelle », se souvient-elle.
Le rêve de Rachel et de ses camarades semble trouver un écho dans le quartier. Après une série de shabbats très inspirants, le groupe décide de célébrer Hanoucca ensemble. Finalement, près d’une centaine de personnes accueille 5770 ensemble. Un succès auquel la bande d’amis ne s’attendait pas. La communauté qu’ils imaginaient semble bel et bien exister. Ils décident donc de lui donner son nom et de la structurer afin de l’aider à grandir. Tout le monde y est le bienvenu, peu importe son degré de judaïsme ou son identité.
Une communauté ouverte et sans limites
Le Mile-End Chavurah, c’est avant tout une communauté de Juifs venant d’horizons très divers, mais qui partagent des valeurs progressistes et d’inclusion ainsi que le désir de prier, d’étudier et de se cultiver ensemble. Le groupe se veut indépendant de tout mouvement et prône un judaïsme équilibré entre tradition et innovation. Pour ce faire, les membres se retrouvent pour des shabbats, à l’occasion des fêtes religieuses, avec des temps forts comme Hanoucca, Kippour et Pessah qui rassemblent jusqu’à 170 personnes, mais aussi lors d’événements à caractère plus social ou culturel.
Par ailleurs, cette communauté n’a pas de rabbin attitré ni de lieu permanent. Ce qui permet à chacun d’accueillir un shabbat chez lui, d’apporter une idée ou sa manière de faire pour une fête ou un événement. Cependant, Rachel Kronick conduit la plupart des shabbats et des cérémonies, parce qu’elle le souhaite et qu’elle en a cultivé le goût et l’expérience lors de camps d’été ou dans des synagogues. « D’une part, j’essaie d’être à l’écoute de la communauté, de ce que les membres désirent et de ce à quoi ils sont prêts. Et d’autre part, j’essaie de m’engager vraiment dans la prière », précise-t-elle.
Aujourd’hui, le Mile-End Chavurah compte environ 300 membres, ce qui représente une centaine de foyers. Mais le rayonnement de cette communauté franchit les limites du Mile-End et rejoint des femmes et des hommes qui se retrouvent dans ses valeurs et apprécient les événements qu’elle propose. Peter Horowitz, le directeur des opérations et seul employé de l’association depuis sa création, fait remarquer que même si les membres sont majoritairement anglophones, il y a toujours eu des francophones au sein du MEC. Et depuis quelques années, leur nombre augmente, notamment à la suite de l’arrivée de familles françaises dans le quartier. Cela enrichit la variété des profils des membres qui travaillent, pour beaucoup, en éducation, en production audiovisuelle ou en santé mentale.
Après bientôt 10 ans d’existence, la petite communauté du Mile-End a donc bien grandi. Depuis septembre dernier, aux activités proposées s’ajoute un programme éducatif pour les enfants du primaire, le J.E.D.I. (Jewish Education Development Initiative 5). Vingt élèves divisés en 2 groupes en fonction de leur âge se retrouvent une fois par semaine pour apprendre les bases du judaïsme, le sens des fêtes, les traditions et des chants. Compte tenu de la demande, le J.E.D.I. devrait proposer une classe supplémentaire pour l’année prochaine avec 30 élèves en tout. Le Mile-End Chavurah continue donc de rêver son avenir en grand. La question d’un lieu permanent revient souvent lors des réunions, mais n’est pas tranchée pour l’heure.
Pour rejoindre le Mile-End Chavurah, recevoir le bulletin hebdomadaire, être tenu informé des activités ou participer : www.mileendchavurah.org. ou sur Facebook : https://www.facebook.com/groups/mileendchavurah/
* Littéralement, en yiddish, le mode de vie juive.
Notes:
- Le Mile-End est un quartier de Montréal qui fait partie de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal. ↩
- Le Mile-End/ Mile ex figure premier au classement des quartiers les plus « cool » au monde, établi en 2016 par le site How I travel. ↩
- Chapeau de fourrure porté notamment par les Juifs hassidiques. ↩
- Joni Mitchell, « All I want », issu de l’album Blue, (1971). ↩
- Initiative de développement et d’éducation juive. ↩