LA KABBALE EN QUELQUES LETTRES ET CHIFFRES

PAR MARC ZILBERT AVEC LA CONTRIBUTION DE DAVID BENSOUSSAN

Marc Zilbert

Ce lexique propose une présentation succincte des œuvres fondamentales, des principaux maîtres présentés de façon chronologique et de quelques thèmes principaux de la Kabbale en lien avec les articles de notre dossier. Nous renvoyons d’ailleurs à ceux-ci lorsque l’un de ses éléments y est particulièrement développé. Il ne s’agit ici que d’une modeste boussole afin de vous orienter quelque peu dans ce domaine si vaste de la mystique juive. Avocat et traducteur,  Marc Zilbert collabore actuellement comme enseignant et recherchiste à Aleph – Centre d’études juives contemporaines de la CSUQ

Le Livre de la Création (Sefer Yetsira), attribué au patriarche Abraham et rédigé durant les premiers siècles de l’ère courante, consiste en un exposé de la formation primordiale du monde à partir des 22 lettres de l’alphabet hébraïque, ainsi qu’en une exposition du système des émanations ou sphères divines (sefirot ou séphirot).

Le Livre de la Clarté (Sefer Ha Bahir), attribué à un sage de l’époque talmudique, Nehounia ben Haqana, (1er siècle) a été compilé en Provence (France) à la fin du 12e siècle de l’ère courante et constitue une réinterprétation du Sefer Yetsira. Ce livre développe un système de mystique juive appuyé sur la mystique des lettres, le système des séphirot, ainsi qu’une méditation sur la Création du monde et les mystères du Char céleste (Merkabah) (Voir ci-dessous la définition du Char Céleste).

Aboulafia, Abraham (1240-1291), kabbaliste espagnol de renom. Voir dans notre dossier : Annie Ousset-Krief, « Audi Gozlan : une alliance surprenante entre Kabbale et yoga » et Sonia Sarah Lipsyc, « Entretien avec Georges Lahy. Un traducteur et scrutateur de la Kabbale aujourd’hui ».

Le Zohar ou « le Livre de la Splendeur », œuvre maîtresse de la tradition kabbalistique, est un livre qui date de la fin du 13e siècle. D’après la tradition juive, le Zohar est attribué à Rabbi Shimon bar Yohaï dit Rashby, sage de l’époque talmudique ayant vécu au 2e siècle de l’ère courante dont les enseignements sont rapportés dans ce corpus. Selon les chercheurs académiques, le Zohar fut rédigé en Espagne entre 1270 et 1280 par Moïse ben Shem Tov de León (1240-1305) ou par des membres de son cercle, possiblement sur la base de traditions plus anciennes qui leur auraient été transmises oralement. D’un point de vue formel, le Zohar se présente comme un  exégèse de la Torah, rédigée en judéo-araméen à la manière des commentaires rabbiniques de la fin de l’Antiquité, sous forme d’homélies, ou de discussions entre sages. Du point de vue de son contenu doctrinal, le Zohar reprend certaines notions centrales développées dans la littérature qui l’a précédé, notamment la centralité, dans le processus de création, des lettres hébraïques et des sefirot, bien que celles-ci ne soient nommées que de façon allusive.

Safed. Suite à l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, de nombreux érudits de la kabbale ont trouvé refuge à Safed, ville située dans les collines de la Galilée, en terre d’Israël, qui, de ce fait, devint un centre réputé d’étude kabbalistique. Certaines des plus grandes œuvres de la kabbale ont été rédigées au 16e siècle à Safed.

Le Jardin des grenades (Pardes Rimonim) fut rédigé au 16e siècle à Safed par Moïse Cordovero (1522-1570) en se basant sur les notes qu’il a prises en étudiant le Zohar. Il s’agit d’une somme kabbalistique visant à élucider et à proposer un exposé cohérent de l’ensemble des préceptes du Zohar, notamment le système des sefirot et la centralité de l’alphabet. Le Pardes Rimonim a été l’œuvre kabbalistique la plus influente de son époque, jusqu’à la diffusion de la kabbale lourianique (voir ci-dessous).

L’ouvrage Etz Haïm a été composé au 16e siècle à Safed à partir des notes prises par Haïm Vital alors qu’il suivait les cours de kabbale de son maître Isaac ben Solomon Louria Askenazi (1534 – 1572), dit l’Ari, l’Arizal ou l’Ari HaKadosh, dont l’enseignement appelé kabbale lourianique, aurait été essentiellement oral. Il s’agit de l’interprétation et de l’exposé synthétique principal de cet enseignement du Arizal qui comprend notamment les doctrines de la Rétraction (tsimsum), de la Brisure des vases (chevirat ha-kelim) et de la Réparation (tikoun). Sur ces derniers thèmes voir : Marc Zilbert,    « La place du Zohar au sein de la communauté séfarade marocaine de Montréal ».

Sefiro ou Séphirot. Emantations ou sphères divines. Suite à la Rétraction divine qui précéda l’acte de la Création du monde, ce qui restait de la lumière infinie divine (Or Ein Sof) fut contenu dans une série hiérarchique de vases solides (kelim), à savoir les dix sefirot (attributs divins). Or, c’est par l’entremise de cette émanation lumineuse, contenue dans les canaux séfirotiques, qu’eut lieu la Création. Le système séfirotique renferme trois sefirot « supérieures », à savoir Couronne (Keter), Sagesse (Hokhma) et Compréhension (Bina) et sept sefirot « inférieures », à savoir Miséricorde (Hesed), Force (Gevoura), Beauté (Tiferet), Éternité (Netzah), Splendeur (Hod), Fondation (Yesod) et Royaume (Malkhout). En principe, les sefirot ne seraient que des métaphores exprimant les attributs au moyen desquels Dieu, en soi Infini (Ein Sof) et inconnaissable, manifeste son Existence.

Char céleste ou Maasse Merkabah. La Maasse Merkabah est la mystique du char divin qui vise la connaissance, au moyen d’une ascèse mystique visionnaire, des mystères des mondes supérieurs ou célestes, et ce, sur le modèle de la vision du char divin rapportée dans le chapitre 1 du livre du prophète Ezekiel. Elle s’opère aussi à partir de la la vision du trône divin que rapporte le livre du prophète Isaïe 6;1. Le trône divin se situe au sommet d’une série hiérarchisée de quatre mondes, à savoir le monde divin de l’Émanation (olam ha-Atzilout), le monde de la Création (olam ha-Beryah), le monde de la Formation (olam ha-Yetzirah) et le monde de l’Action (olam ha-Asiah).

Arbre de vie (Etz Haïm). Expression qui dénote la représentation schématique de la cosmogonie kabbalistique, y compris les quatre mondes (Émanation, Création, Formation, Action) faisant l’objet de la mystique du char divin (ma’asse merkabah), les dix sphères divines (sefirot), et les vingt-deux sentiers de la sagesse, allusion aux vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque.

 

Lettres de l’alphabet hébraïque

Selon la Genèse, la parole créatrice est à l’origine du monde. Ainsi, l’arrangement des lettres hébraïques dans le texte biblique cacherait des vérités insoupçonnées à premier abord, arrangement qui expliquerait le monde et la Création. Le Zohar décrit une cosmogonie complète basée sur la combinaison de 10 chiffres (allusion aux 10 sefirot ou émanations divines) et de 22 lettres (allusion aux 22 sentiers de l’Arbre de vie) : 3 lettres mères (qui apparaissent dans le nom divin), 7 lettres doubles (correspondant aux 7 jours de la semaine et aux 7 planètes que l’on désignait alors 7 sphères et 12 lettres élémentaires (correspondant aux mois de l’année et aux signes du zodiaque).

Citons le Zohar (I, 2014a) : « Quand le Saint Béni-Soit-Il créa le monde, Il le fit à l’aide du pouvoir mystérieux des lettres. Celles-ci se déroulèrent devant Lui et Il créa le monde en dessinant le Nom Saint. Elles se présentèrent devant Lui, en ordres divers et sous des figures variées, pour participer à cette création du monde, à sa manifestation et à sa mise en œuvre. »

L’apprentissage des lettres hébraïques, de leur symbolique, de leur graphisme ainsi que leurs combinaisons, est essentiel au travail du kabbaliste dans sa tentative de déchiffrer les mystères de la Création. Du point de vue de la kabbale, la Création porterait en elle l’empreinte du Créateur. C’est cette empreinte que la kabbale cherche à chiffrer et à déchiffrer, et ce, en prêtant une attention toute particulière aux premiers chapitres de la Genèse 1.

Moïse Haïm Luzzato (1707-1746), connu sous l’acronyme de son nom Ramhal, kabbaliste italien de renom.

Au 18e siècle apparut le hassidisme, mouvement fondé en Ukraine par Israël ben Eliezer (1700-1760), surnommé le Baal Shem Tov (Maître du Bon Nom), qui fut une réaction contre le judaïsme de son époque dominé par les académies religieuses (yeshivot) vouées principalement à l’étude du Talmud et rejetant toute exaltation mystique. Le Baal Shem Tov réclama un retour à la mystique et insista pour que celle-ci soit rendue accessible à la masse des fidèles. Il s’oppose à l’intellectualisme, encourageant au contraire de se rapprocher de Dieu, voire d’atteindre l’union mystique avec Dieu (dveikout) au moyen de la ferveur émotionnelle et du recours à un guide spirituel (le rebbe).

Haïm Ben Attar (1696-1743), mieux connu sous le nom d’Or Hahayim (Lumière de la vie), titre de son commentaire de la Torah (Pentateuque), fut l’un des grands kabbalistes du monde séfarade 2.

Azoulaï, Haïm Yossef David (1724-1807), connu sous l’acronyme de son nom Hida, né à Jérusalem, disciple de l’Or Hahayim, l’un des éditeurs de l’ouvrage Hok LéIsraël.

Hok LéIsraël, voir une description de cet ouvrage dans Marc Zilbert, article op cité.

Au fil du temps le mouvement hassidique se développa, il engendra des approches philosophiques distinctes dont l’isolement mystique et la joie en toutes circonstances de Nahman de Breslev (1772-1810), auteur du Likouté Moharan ou le retour à l’intellectualisme de Shneour Zalman de Liadi (1745-1812), fondateur du mouvement hassidique habad-Loubavitch et auteur du Tanya (1797), œuvre qui puise notamment au corpus des textes de la kabbale en rendant accessible à chacun ses thèmes majeurs au prisme de la pensée hassidique habad.

Menahem Mendel Schneerson (1902-1994), septième rabbi et leader du mouvement hassidique habad-Loubavitch, de 1950 à 1994, a encouragé et agi pour la diffusion de l’enseignement du hassidisme de Loubavitch en établissant un réseau international d’institutions d’études juives, à savoir les Centres Habad.

En 1921, le kabbaliste Yéhouda Leib Ha-Levi Ashlag (1885-1954) quitta sa Pologne natale pour immigrer en terre d’Israël sous mandat britannique où il se lia d’amitié avec le kabbaliste et Grand-Rabbin du yichouv (communauté juive avant la création de l’État d’Israël), Abraham Isaac Kook (1865-1935). Le rabbin Ashlag mérita son surnom de Ba’al HaSoulam (le maître de l’Échelle) en traduisant de l’araméen à l’hébreu le Zohar et en rédigeant un commentaire intitulée l’Échelle (HaSoulam), titre qui évoque l’ascension du mekoubal (kabbaliste) vers une connaissance de plus en plus approfondie de doctrines ésotériques 3.

Gershom Scholem (1897-1982), historien et philosophe, spécialiste de la kabbale et de la mystique juive. Originaire d’Allemagne, il introduisit l’étude de la kabbale dans le champ académique à l’Université hébraïque de Jérusalem où il enseigna durant des années.

Meshulim Feish (Ferencz) Lowy (1921-2015), 4e grand rabbin de la dynastie hassidique de Tosh, mouvance qui vit le jour au 19e siècle en Hongrie et dont le centre actuel se situe dans la ville de Boisbriand, en banlieue de la métropole québécoise de Montréal, au Canada.

Charles Mopsik (1956-2003), chercheur français, spécialiste de la kabbale et de la mystique juive. Il a traduit notamment français des textes du Zohar et produit d’autres études fondamentales sur le sujet

Hiloula  Coutume qui consiste à visiter les tombeaux des tsaddikim (les justes) le jour anniversaire de leur décès, et à commémorer ce jour au moyen d’une cérémonie au cours de laquelle les pèlerins lisent notamment des Psaumes et certains passages du Zohar.

 

 

Notes:

  1. Ce paragraphe sur les lettres hébraïques a été rédigé par David Bensoussan
  2. Pour d’autres noms de kabbalistes sépharades se cf à l’article de Marc ZIlbert op cité et à l’enquête de Annie Ousset-Krief et Sonia Sarah Lipsyc, « L’étude de la kabbale à Montréal ».
  3. La première traduction du Zohar en hébreu est cependant l’œuvre du rabbin montréalais Yehouda Yudel Rosenberg (1859-1935) , Voir l’article de Annie Ousset Krief et Sonia Sarah Lipsyc op cité
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