HAIM SHERRF : LE PEINTRE DES SPHÈRES DE LA CRÉATION (Sephirot)*

PAR ANNIE OUSSET-KRIEF

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief  était Maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Sorbonne Nouvelle à Paris. Elle réside maintenant à Montréal.

Haim Sherff vit à Montréal. Il est à la fois rabbin et artiste peintre. Il révèle ici comme il crée en s’inspirant d’ouvrages de la Kabbale, notamment pour le choix des couleurs. Propos rapportés par Annie Ousset Krief.

Haim Sherrf, d’origine sépharade, peint depuis toujours. Ses premières expositions furent réalisées à son adolescence, en Israël, son pays de naissance. C’est après quatre années passées au service de l’aviation israélienne et dans la division de renseignements de l’armée qu’il décide de venir au Canada en 1987, afin de se consacrer entièrement à sa peinture. Et c’est à Montréal que sa vie va être totalement bouleversée par la rencontre quelques mois plus tard avec une famille juive hassidique Loubavitch qui l’emmènera voir le Rebbe Scheerson* à Crown Heights (New York). Le Rebbe le conseillera et le guidera dans son parcours spirituel et l’encouragera à poursuivre son art. Haim Sherrf étudiera dans une yeshiva (école talmudique) de l’État de New York et deviendra rabbin après une dizaine d’années d’études. Après des décennies passées à exercer ses fonctions religieuses (il sera entre autres aumônier des prisons de Québec pendant 27 ans), il ne pratique plus, sauf à titre privé, pour aider et conseiller, et travaille sa peinture. Il est également renommé pour ses ketoubot (écriture et illustration des actes de mariage juifs) et ses délicats boîtiers en argent de mezouzot (parchemins contenant des passages du Deutéronome mis sur les linteaux d’une porte). Il a même créé en 2011 une ligne de T-shirts basée sur les images de la Kabbale, « les Chars célestes ». Il voulait lutter contre une certaine mode macabre, qui produisait des images de violence et de mort : dessins de crânes, de pistolets, slogans tels « l’amour tue lentement »… Ses T-shirts portaient une charge positive, un message de paix et de bonté, et il y voyait la continuation de sa mission en tant que rabbin : transmettre l’amour et la vie, en concordance avec le message divin.

Haim Sherrf étudie la Kabbale quotidiennement, et œuvre à transcrire dans ses toiles le mystère de la Création. Le dessin est délicat, les couleurs somptueuses et intenses. L’ensemble dégage une force spirituelle étonnante. Les peintures ne sont pas que des peintures, mais la mise en image de quelque chose d’inconnu, de concepts abstraits avec lesquels l’artiste veut toucher les autres. « La réaction des gens a été extraordinaire », me dit-il. « Cela les touche profondément, intimement, cela touche le cœur et l’âme. C’était mon but. »

Il s’est lancé dans cette entreprise à partir de l’étude du livre du grand kabbaliste du XVIe siècle, Moïse Cordovero*, Pardes Rimonim (le Jardin des Grenades), ouvrage dans lequel Cordovero analyse notamment la relation entre sephirot et couleurs. Cela lui a permis de mieux comprendre, m’explique Haim Sherrf, comment les couleurs affectent le monde, le sens des couleurs, les relations entre elles. La lumière divine se diffuse à travers les sephirot pour révéler l’infini – cet infini qui réside au cœur d’un monde fini, imparfait, qu’il appartient à l’homme d’améliorer. Chaque action a un impact – comprendre que nous sommes constamment des partenaires dans la Création divine permettra de réparer l’univers et de réaliser le but de Dieu, qui est de faire de ce monde-ci son temple.

La série des peintures représentant les sephirot lui est venue à l’esprit comme une prophétie, dit-il. Toutes les couleurs sont là : le jaune or de Tiferet (beauté), signe de joie et d’équilibre, d’harmonie entre bonté (Hessed) et jugement (Gevourah), le vert de Bina (compréhension), qui suggère le début de la Création, le blanc de Keter (la Couronne), couleur qui reçoit toutes les couleurs et les redonne aux sphères inférieures…

Les 22 lettres de l’alphabet hébraïque apparaissent sur les toiles – façonnées de manière particulière, porteuses d’une valeur numérique qui confère à chacune sa spécificité. Tout comme les sephirot qui servent de canaux à travers lesquels se diffuse l’énergie divine, les lettres sont destinées à transmettre le message de Dieu au monde.

Haim Sherrf a consacré une autre série au Chariot céleste, le Merkava, tel que décrit par Ezechiel dans sa vision prophétique (chapitre 1) : lion, taureau, aigle et homme. L’aigle céleste symbolise la présence divine qui domine la Création. Il est miséricordieux et portera l’Homme vers la Terre Promise au temps de la Rédemption. Le taureau représente le travail, la dévotion. Par le sacrifice du taureau sur l’autel, l’individu est invité à se repentir et ainsi se rapproche de Dieu. Le lion appartient à la tribu de Judée : comme le lion règne sur le royaume animal, le lion céleste symbolise le royaume de Judée. Les deux lions sont peints en miroir l’un de l’autre.

La Kabbale et la Torah sont au cœur de l’œuvre de l’artiste, ses peintures lumineuses nous emmènent dans un univers de beauté et de réflexion. Haim Sherrf a mis son talent au service de sa foi. Tout doit avoir du sens, déclare-t-il. Son souhait? Que son inspiration serve à inspirer les autres, à les amener vers Dieu et la Torah. Quand l’art rejoint le spirituel et l’intemporel…

*Sphères par lesquelles, selon la kabbale, D.ieu créa le monde

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