DE LA FRANCE AU QUÉBEC, UNE IMMIGRATION RÉUSSIE
Noam Krief, natif de Paris, est arrivé au Québec il y a 10 ans, avec ses parents Olivier et Nady et son frère Élie. Après avoir terminé sa maîtrise à l’Université de Montréal en Neurosciences, il a entrepris des études de Droit à l’Université Laval de Québec. Il a choisi de nous raconter, en s’appuyant sur son expérience personnelle, la relation d’un jeune Juif d’origine sépharade à la société québécoise.
J’ai commencé à vraiment m’intéresser à la société québécoise il y a environ cinq ans, lorsque j’ai entrepris les démarches pour devenir citoyen canadien. Comme tout résident permanent, j’ai dû me familiariser avec l’histoire de ce pays, avec sa culture, façonnée par la coexistence de son influence anglo-saxonne et française. Le Québec était alors en pleine effervescence politique due aux élections provinciales, tiraillé entre les valeurs souverainistes du Parti Québécois et le mouvement fédéraliste du Parti libéral. Tous les médias de l’époque n’avaient qu’un sujet très controversé au bout des lèvres : la Charte des valeurs québécoises. Cette fameuse Charte touchait à mon sens à l’un des droits les plus fondamentaux de la Constitution canadienne, le droit à la liberté de religion. Chacun allait de sa propre opinion sur le bienfait de poser par écrit les « valeurs québécoises ». Pour ma part, j’ai grandi en France, un pays dans lequel le modèle d’intégration des minorités culturelles est loin d’être parfait, comme d’ailleurs en ont témoigné les événements de 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo et du supermarché Hyper Cacher. Faisant partie de cette minorité juive en France, mes parents, mon frère et moi avons décidé de venir nous installer ici, car le Canada représentait pour nous un modèle de coexistence et de tolérance à l’égard de ces minorités, de quelques horizons soient-elles. Je me suis donc intéressé de près à ces élections provinciales. En effet, le climat social canadien tire sa richesse de ce mélange de cultures française et anglaise que l’on peut retrouver au sein même de son histoire et de sa population, mais aussi de l’intégration de ses autres minorités culturelles venant des quatre coins du monde.
Au sein de la communauté juive du Québec, l’éventail de culture est lui aussi tout autant inclusif et diversifié. Il suffit par exemple de se rendre un matin de shabbat au Beth Chabad du Rabbin Raskin à Côte-Saint-Luc dans le grand Montréal, pour y trouver une personne aux cheveux grisonnants du Maroc accompagné de son arrière-petit-fils sur le même banc qu’un jeune étudiant d’une yeshiva, école talmudique de New York ne jurant que par le Talmud et les écrits du Baal Shem Tov 1. Cette communauté active et ce sentiment de faire partie d’une grande famille – famille que nous n’avions malheureusement pas au Québec – transcendent les barrières d’âge, de culture ou de géographie. C’est d’ailleurs cette raison qui a fait que notre famille a décidé de s’installer à proximité de cette synagogue, en plein cœur d’un quartier juif de Montréal. Ce sentiment d’appartenance communautaire a été un élément essentiel à la construction de mon identité juive. Le fait d’appartenir à une communauté permet de savoir d’où l’on vient pour mieux comprendre ce que l’on veut pour l’avenir. En tant que jeunes juifs, nous avons en effet la chance d’hériter d’une histoire riche de plusieurs milliers d’années, peu importe notre degré de religion ou nos origines. C’est de cette diversité que notre communauté tire sa force que l’on retrouve d’ailleurs illustrée dans le proverbe « deux juifs, trois opinions ».
Il y a deux ans, la Communauté Sépharade Unifiée du Québec nous a permis à mon frère et moi de participer au programme de « Leadership » des jeunes professionnels. En plus des shabbats forts en émotions et des activités que nous avons organisées tout au long de l’année, plusieurs intervenants de la communauté nous ont ouverts aux enjeux de la communauté juive de demain. Un des ateliers qui m’avait particulièrement touché fut celui où j’ai rencontré Me Azogui. Celle-ci travaillait alors au CIJA, qui est le porte-parole de la communauté juive institutionnelle auprès du gouvernement et des pouvoirs publics. Mon frère et moi nous sommes rendus compte que la possibilité de vivre pleinement son judaïsme au Canada n’est pas simplement un droit, mais plutôt un privilège que l’on devait au travail de centaines de personnes de la Fédération Juive d’hier et d’aujourd’hui. Tandis que mon frère était sur le point de devenir stagiaire à la Cour Suprême d’Israël, on m’a offert la chance d’être le stagiaire à intégrer l’Assemblée nationale du Québec pour une durée de neuf mois afin de représenter la communauté juive auprès des parlementaires de la Coalition Avenir Québec. Ce fut pour moi une opportunité incroyable au cours de laquelle j’ai eu l’occasion de travailler directement avec des députés, mais aussi avec toutes les personnes qui œuvrent en coulisse et font face aux enjeux politiques de notre Province. Moi qui voulais en apprendre davantage sur la culture québécoise, il n’aurait pas été possible de trouver un meilleur moyen pour y arriver. Cette expérience fut réellement l’occasion d’ouvrir mes horizons et de comprendre les défis de notre communauté comme composante intégrante du grand ensemble qu’est la société canadienne. En tant que futurs avocats, aussi bien mon frère que moi ne pouvions rêver de meilleures opportunités pour notre apprentissage et nos débuts dans le monde professionnel. Ces opportunités, nous les devons en grande partie à la communauté juive de Montréal ainsi qu’au Canada, qui nous ont accueillis et nous ont fait grandir depuis maintenant 10 ans.
Notes:
- Fondateur au 18e siècle du mouvement hassidique. ↩