COMMENT S’INITIER À LA KABBALE?
PAR SONIA SARAH LIPSYC

Dr Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice en chef du LVS et directrice de Aleph – Centre d’études juives contemporaines.
L’intérêt pour la Kabbale va en augmentant ces dernières décades et tout particulièrement depuis le début du 21e siècle. On se souvient du bracelet rouge de la chanteuse Madonna porté comme un signe protecteur, symbole contre « le mauvais œil », ou comme une promesse de bénédictions ainsi que des cours qu’elle suivit auprès du rabbin Philippe Berg (1927-2013) dans son Centre de Kabbale1Ce centre fréquenté par des célébrités d’Hollywood reste controversé. On a reproché au rabbin Berg de dispenser un enseignement grand public et « déjudaïsé », l’aspect hyper commercial de ses centres (vente de fils rouges et d’eau bénite à des prix exorbitants) a été aussi stigmatisé. Certains ont même porté des accusations de comportement de sectes à l’encontre de son association et de ses centres. Il reste que le rabbin Berg a étudié avec le rabbin Yehouda Brandwein qui fut l’un de disciples du rabbin Yehouda Ashlag (1896-1954), l’un des plus grands experts en Kabbale de l’époque contemporaine.. Certains relèveront que c’est une mode laissant à des charlatans de tout poil l’occasion de sévir. Mais sans écarter ce risque, une mode, loin d’être anodine, ne vient-elle pas révéler un manque, une crainte ou une aspiration? Ici le fait de trouver un sens à sa vie et à sa quête spirituelle en puisant dans les eaux profondes de la mystique juive mise aujourd’hui à la portée de tout un chacun? C’est pourquoi d’autres se réjouiront de cette soif de Kabbale, y voyant l’un des signes des temps prémessianiques tels qu’enseigné ou interprété dans les sources de la tradition juive : « Car la terre sera pleine de la connaissance de Dieu » (Isaïe 11 ; 9)2Voir Maimonide, « De la conversion à Dieu », chap 9 ; 2 dans Le Livre de la connaissance, édition PUF, p 422. Voir aussi « Lois sur les rois et leurs guerres » chap 12 ; 4 et 5 dans Miché Torah (en hébreu) cité dans David Banon, Le messianisme, Que Sais-je, Paris, p 34. Dans l’esprit de Maimonide (13e siècle), cette soif de connaissance propre aux temps messianiques s’applique aux différents versants de l’étude et pas seulement la mystique. Elle s’accompagne aussi de la pratique des commandements de la Torah.. Enfin, les derniers s’en offenseront arguant du fait que la mystique juive doit rester cachée. Et s’intéresser à la Kabbale pour eux serait comme vouloir faire un doctorat en physique nucléaire sans même avoir terminé son Cegep!
Il reste que l’attrait pour la Kabbale est réel. En témoignent, à notre échelle, les appels fréquents de Juifs et non-Juifs à ALEPH, le centre d’études juives de la Communauté Sépharade du Québec, qui a eu l’occasion d’offrir au long des années quelques cours à ce sujet3Depuis 2009, il y eut des séminaires ou cycles de cours, des journées thématiques et des conférences sur ces sujets avec notamment les rabbins Daniel Cohen, Raphaël Affilalo, Avi Feingold, Mordechay Chriqui, etc. La prochaine journée thématique autour de ce numéro sur la kabbale se tiendra entre avril et juin 2018.. La Kabbale attire, intrigue, intéresse, fascine… passionne. Il y a de plus en plus de livres à ce sujet (traduction des textes fondamentaux, livres universitaires ou de vulgarisation), des conférences sur YouTube, des cours en ligne ou au sein d’instituts, donnés en anglais, en hébreu, mais aussi en français ou dans d’autres langues.
Alors comment s’initier à cette connaissance et s’y retrouver dans cette effervescence? Je vais tenter de donner quelques pistes en lien avec l’enseignement traditionnel de la kabbale, d’autres rivées au domaine académique, et les dernières orientées vers un grand public. Mais il ne s’agit ici que d’une esquisse.
Les cours avec un maître en chair et en os ou par Internet
Commençons par le plus difficile… La kabbale est une initiation. Il faut donc se trouver un maître, un homme ou une femme (voir l’article de Sylvie Halpern dans le présent numéro). L’idéal reste le cursus oral, l’enseignement en direct avec la possibilité d’avoir accès aux textes, d’écouter et de poser des questions. Nous avons relaté dans notre article « L’étude de la Kabbale à Montréal » ainsi que dans l’article de Marc Zilbert sur « La place du Zohar au sein de la communauté juive marocaine de Montréal », les possibilités de s’initier à cette discipline au Québec. Les possibilités existent même si elles ne sont pas légion et nous avons rapporté à la note 3 du présent article les enseignements qui se tiennent à ALEPH.
Mais les nouvelles technologies et Internet ouvrent des horizons infinis, y compris en français. Contentons-nous d’en mentionner quelques-uns. Il y a les cours, ou les enseignements parfois de quelques minutes, que le rabbin montréalais, Daniel Cohen, envoie par WhatsApp ou ceux du rabbin Mordechay Chriqui, fondateur ici de l’institut Ramhal* que l’on peut trouver sur YouTube. Comme l’on peut retrouver sur YouTube par son site Internet des vidéos de Georges Lahy dont nous publions un entretien, sur des sujets les plus divers de la kabbale inspirés notamment par l’enseignement de Aboulafia* (13e siècle)4Voir http://editions-lahy.e-monsite.com/videos/videos-francaises/. Michaël Sebban, qui a fondé le centre Beth Zohar à Paris adresse, une fois par semaine par courriel des passages du Zohar éclairant sous cet angle le passage de la Torah lu le shabbat à la synagogue5Se référer à https://beithazohar.com/member/michael-sebban/ et voir également l’entretien que nous avions eu avec lui pour le LVS, « Du surf au Zohar », Pessah 2016.. Tout comme le rabbin Michaël Laitman, fondateur de l’Institut Bnei Baruch de recherche et d’étude de la kabbale qui propose des envois hebdomadaires sur la kabbale6http://www.kabbalah.info. Eric Daniel El-Baze, lui, sur Facebook, affiche des pages entières de ses livres d’initiation à la Kabbale et l’on peut s’abonner à sa page ou son mur.
Le campus numérique incontournable d’Akadem met en ligne des cours, conférences et colloques sur la kabbale. En faire la liste serait fastidieux : tapez sur leur moteur de recherche « kabbale » et vous verrez 214 résultats qui s’affichent… Toutes les vidéos y sont présentées séquencées, minutées avec des titres pour chaque séquence. Les documents auxquels fait référence le conférencier apparaissent à l’écran et il est possible de l’imprimer ainsi que d’avoir accès à une bibliographie.
Il est difficile de trouver un cours académique au Québec sur la kabbale. Le Dr Steven Lapidus et le Professeur Ira Robinson en ont donné dans les années précédentes, le premier à l’UDM en français, le second en anglais à l’Université Concordia, mais il semblerait qu’il n’ait rien de prévu pour l’instant dans notre belle Province. À moins de se tourner vers le professeur Justin Jaron Levy à l’Université du Manitoba ou vers les États-Unis.
En France, de grandes figures ont marqué et poursuivent l’enseignement de la kabbale et nous en présentons ici quelques-uns par ordre alphabétique : Paul Fenton, orientaliste hébraïsant et arabisant, professeur au Département d’Études arabes et hébraïques de l’Université de la Sorbonne, qui a notamment traduit et présenté le Sefer Yesirah ou le Livre de la Création*. Exposé de cosmogonie hébraïque ancienne, Éd. Rivages, 20027L’autre texte fondamental de la Kabbale, Le Bahir. Le livre de la clarté, a été traduit de l’hébreu et de l’araméen et présenté par Josepf Gottfarstein, collection les « Dix paroles », Verdier, 1983.. Roland Goetschel à la tête durant des années du département d’études hébraïques et juives de l’Université de Strasbourg est l’auteur de la Kabbale dans la collection de vulgarisation Que Sais-Je? ainsi que d’autres études plus académiques sur la Kabbale espagnole. Gérard Nahon (1931-2018), spécialiste de l’histoire juive, a écrit un petit ouvrage éclairant sur La Terre sainte au temps des kabbalistes : 1492-1592, A. Michel, 1997. Georges Vajda (1908-1981), directeur d’études de la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études à Paris, spécialiste de la pensée juive médiéviale et certains de ses élèves comme Colette Sirat ont écrit de nombreux articles sur la philosophie juive et la kabbale. Haim Zafrani (1922-2004) qui dirigea le Département de langue hébraïque et de civilisation juive à l’Université de Paris VIII rédigea des livres, véritable somme de travail, sur la mystique juive au Maroc8Voir notamment Kabbale, vie mystique et magie : judaïsme d’Occident musulman, Maisonneuve et Larose, 1986, Éthique et mystique, Judaïsme en terre d’Islam : le commentaire kabbalistique du « Traité des Pères », Maisonneuve et Larose, 1991.
Florilège de livres sur la Kabbale en français
Restons dans le domaine des livres académiques, mais accessibles. D’abord ceux de Gershom Sholem (1897-1982) qui introduisit l’enseignement de la kabbale à l’Université hébraïque de Jérusalem et lui donna ainsi ses lettres de noblesse dans l’enceinte académique. Les grands courants de la mystique juive est régulièrement réédité chez Payot, et il y a aussi comme livre de base : La Kabbale : Une introduction. Origines, thèmes et biographies, 2003 en poche. L’un de ses élèves, Moché Idel, renouvelle les recherches du maître avec par exemple La Cabale : nouvelles perspectives, Le Cerf, Paris, 1998. Et il y a, bien sûr, le regretté Charles Mopsik (1956-2003) qui marqua le paysage francophone en la matière. Il entreprit la traduction du Zohar en français – œuvre pour l’instant inachevée et qui remplace la traduction parfois contestée de Jean de Paulhy au début du 20e siècle. Son implication fut remarquable, ses traductions et écrits nombreux. On peut citer Les grands textes de la cabale : les rites qui font Dieu, Verdier, 1993. Cabale et cabalistes, Paris, Bayard, Albin Michel, 2003, Le Sexe des âmes. Aléas de la différence sexuelle dans la cabale, Paris-Tel Aviv, L’Éclat, 2003. Il publia essentiellement aux éditions Verdier où il créa la collection « Les Dix Paroles » et aux éditions de l’Éclat, qui a également publié le texte personnel et érudit, « La poétique du Zohar » d’Eliane Amado Valensi Levy (1919-2006). Citons également le livre un peu pointu du biologiste Henri Atlan, Les étincelles du hasard, Seuil et enfin, L’esprit de la kabbale de Julien Darmon, personnalité montante dans le monde francophone de la recherche en kabbale avec qui Elias Levy s’est entretenu pour notre magazine du LVS. Bien qu’il ne se situe pas dans le domaine académique, rappelons les ouvrages de Georges Lahy dont l’œuvre de traduction et de commentaires est impressionnante avec comme référence de prédilection ses travaux sur le kabbaliste Aboulafia (13e siècle)*, mais aussi Gikatilla (13e siècle) comme Les portes de la lumière.
Le mouvement hassidique a sa propre production qui s’inspire largement de la kabbale et le site http://fr.chabad.org propose de nombreux articles. Il existe par exemple des traductions du Tanya* du fondateur du mouvement Loubavitch* ainsi que des traductions partielles du Likouté Moharan* de la pensée hassidique braslav.
Mais la Kabbale est, comme nous l’avons vu, loin d’être l’apanage du mouvement hassidique et il y a un livre remarquable du rabbin Hayyim de Volozhyn, ₋ élève du Gaon de Vilna (1720-1797) qui s’éleva contre le hassidisme, mais fut lui-même un grand kabbaliste ₋ : « L’âme de vie », Verdier, 1986, présenté, traduit et commenté par Benjamin Gross, mon ancien directeur de l’École juive Aquiba, décédé en 2015. C’est personnellement l’un des livres d’études juives qui m’a le plus marqué.
Pour le grand public, Les mystères de la kabbale, éd. Assouline, de l’infatigable et créatif Marc-Alain Ouaknine qui a écrit plusieurs livres inspirés notamment par la kabbale. En ce qui concerne la symbolique des lettres hébraïques, importante dans l’investigation de la mystique juive, il y a, bien sûr, le splendide livre, Splendeur des lettres Splendeur de l’être, Dangles 2017 de Rivka Cremisi dont nous avons publié un entretien en ligne. Mais aussi les livres de Franck Lalou comme Les 22 clés de l’alphabet hébraïque. Les connaître pour mieux se connaître, DDB, 2016 avec un beau visuel. Ou celui de l’érudite Catherine Chalier qui a écrit un court ouvrage profond et instructif, Les lettres de la Création. L’alphabet hébraïque chez Arfuyen, 2007. Nous avons déjà cité dans notre autre article de ce numéro les ouvrages de l’ancien montréalais Raphaël Affilalo. Il y a également les deux tomes de Sagesse de la Kabbale, chez Stock du Grand Rabbin Alexandre Safran, qui présente une compilation de textes choisis de la littérature mystique juive. Terminons par l’étonnant Arye Kaplan (1934-1983), qui, en peu de temps écrivit de nombreux ouvrages dont La Méditation et la Bible qui vient d’être réédité en poche chez Albin Michel. Et dans cette même collection, La Rose au treize pétales qui est une très bonne introduction à la kabbale par le remarquable rabbin Adin Steinsaltz. Et pour encore bénéficier de l’érudition et de l’esprit de vulgarisation de ce grand maître, on lira avec profit la transcription de ses échanges télévisés sur ce sujet avec le rabbin Josy Eisenberg, récemment disparu9Comme <em>L’Alphabet Sacré</em>, Fayard.. Enfin, terminons par les ouvrages de celui qui est le maître de quelques-unes et quelques-uns d’entre nous ici à Montréal, en Israël et en France, le rabbin Léon Yehouda Askénazi (1922-1996), comme La Parole et l’Écrit. Penser la tradition juive aujourd’hui, Albin Michel, dont toute l’œuvre est traversée par les enseignements de la kabbale. Bref de quoi de ne pas chômer dans les chaumières et comme dans tout chemin spirituel – il suffit de commencer et avec sérieux pour que d’autres portes s’ouvrent.