DES LETTRES ET DE LA KABBALE
ENTRETIEN AVEC RIVKA CREMISI PAR SONIA SARAH LIPSYC
Rivka Cremisi vit en France et enseigne le Qi Gong et le Tai Ji Quan 1 ainsi que la symbolique des lettres hébraïques. Son livre, merveilleusement mis en page, « Splendeur des lettres. Splendeur de l’être. Corps, Kabbale et médecine énergétique », Éditions Dangles, 2016 avec une peinture-calligraphie « Shalom, paix » de Shinta Zenker, est le fruit d’années d’étude, de recherches et d’enseignement aussi bien dans la tradition juive ésotérique que dans la médecine énergétique chinoise 2. Elle partage avec nous son itinéraire singulier, érudit et ouvert en tant que femme inscrite dans l’initiation de l’apprentissage et l’enseignement de la Kabbale. Dr Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice en chef du LVS et directrice de Aleph – Centre d’études juives contemporaines.
Ce livre, original et d’une rare érudition, est une véritable somme de travail, comment vous-même le définiriez-vous?
Mon livre est un hymne à la beauté de la vie. Il parle de l’origine de la création, du parcours de l’âme depuis le plan du non manifesté jusqu’à son incarnation dans un corps humain. Il traite de l’importance d’accomplir son projet de vie, car nous venons tous sur terre pour le réaliser.
Il invite le lecteur à prendre conscience de la force lumineuse et de la splendeur divine qui habite chacune des parcelles de notre corps en relation avec l’univers tout entier. Et de l’importance de nourrir, de préserver, de véhiculer cette lumière comme un joyau inestimable.
C’est pourquoi j’ai intitulé mon livre « Splendeur des lettres, splendeur de l’être » mettant en analogie la puissance de la lumière des lettres hébraïques avec la beauté du corps humain.
Le mot « splendeur » est un clin d’œil par rapport au titre du plus grand livre de Kabbale, le Zohar, signifiant splendeur.
Mon livre est l’aboutissement de plus de trente ans de recherches dans la Kabbale, la médecine énergétique chinoise et les approches thérapeutiques alliant le souffle et la libération de l’énergie.
Vous êtes juive d’origine tunisienne, plus précisément de Souk-el-Arba. Comment ces racines vous ont-elles aidé dans votre quête spirituelle?
Je suis Française, juive de Tunisie et j’ai quitté ce pays quand j’avais trois ans. Cette migration vers la France fut vécue comme une grande brisure pleine de souffrance pour mes parents et donc, par ricochet pour moi-même. J’ai vécu mon enfance et mon adolescence dans cette atmosphère difficile.
J’avais la nostalgie des paysages arides et ensoleillés, du désert s’étendant à l’infini, des fraternités et des rires méditerranéens et surtout j’avais soif du sens des fêtes juives que nous célébrions à la maison. Je posais beaucoup de questions à mes parents sur le symbole des rituels, en vain…
Aussi, jeune adulte, poussée par mon travail thérapeutique, je suis allée faire un voyage-pèlerinage sur ma terre natale, car j’espérais qu’il me reconnecterait à mes trois premières années. Ce voyage fut d’une importance fondamentale dans ma vie puisqu’il me permit de me relier à la terre de mes ancêtres et à la mémoire de la sagesse hébraïque à travers mes grands-parents maternels que je n’avais jamais connus. La visite de leurs tombes au vieux cimetière juif de Souk-el-Arba fut un grand choc émotionnel et visuel, car je vis leurs noms gravés sur la pierre en hébreu…
À l’époque, j’étais bien loin de l’hébreu et pourtant à mon retour en France, je fis une succession de songes où un homme m’enseignait le sens symbolique de certaines lettres hébraïques! Ce fut le début de ma recherche qui n’a jamais cessé jusqu’à ce jour et qui m’a ouvert les portes de la Kabbale.
Aujourd’hui, je dis merci, merci pour ce chemin parcouru et je dis merci « à la brisure »! Rentrant profondément à l’intérieur de cette brèche, j’ai pu faire le retournement, me reconnecter à mes racines et me relier à la joie!
Les maîtres talmudistes nous expliquent bien que toute la tradition hébraïque est basée sur la nécessité de multiples brisures. Brisures des vases, des tables, du texte, etc. Ces brisures permettent de faire évoluer l’homme vers une conscience profonde, personnelle et collective.
Comment avez-vous étudié la Kabbale? Le fait d’être une femme a-t-il été un obstacle ou non dans cet apprentissage?
La portée profonde de ces rêves m’obligea donc à commencer des recherches dans les livres, les bibliothèques, à apprendre l’hébreu moderne et biblique, le Talmud notamment avec le Rabbin Philippe Haddad qui fut un maître pour moi, avec le Rabbin Gilles Bernheim, avec le Rabbin Marc-Alain Ouaknin, Georges Lahy et également avec Charles Mopsik. Les écrits des maîtres Kabbalistes du passé tels que les rabbins Abraham Aboulafia, Hayyim Vital, Isaac Louria, Nachman de Braslav et le Baal Shem Tov sont des enseignements de lumière très précieux.
Cette étude m’apporta une base notoire non négligeable, mais la Kabbale est avant tout une expérience intérieure, celle-ci n’est pas que livresque, puisque le mot kabbalah, en hébreu vient du mot qibel, qui signifie recevoir; recevoir la voix, qol, dans le cœur, lev 3. Recevoir la voix divine dans notre cœur!
Les lettres hébraïques sont mes amies, des messagères de lumière. Je les chante pour ressentir leurs vibrations et par la méditation, je me fais vide et silencieuse pour capter leurs tonalités divines.
En tant que femme, j’ai pu étudier le Talmud avec les rabbins que j’ai cités. Mais aujourd’hui en France, je rencontre des obstacles et les portes des institutions ou des associations juives se ferment souvent parce que je suis une femme qui ose enseigner la symbolique des lettres hébraïques dans un monde réservé aux hommes! En parallèle, je suis bien accueillie dans le monde spirituel, interreligieux et thérapeutique.
Vous pratiquez des disciplines orientales comme le Tai chi, le Chi Gong et avez été formée à la médecine énergétique chinoise. Comment conciliez-vous voire conjuguez-vous ces connaissances avec l’apprentissage de la Kabbale ?
Je suis convaincue qu’un réel changement intérieur ne peut se vivre que par un profond travail thérapeutique alliant le corps, le travail du souffle, la libération émotionnelle et le travail de l’esprit.
C’est pourquoi après avoir fait une thérapie de pratique néo-reichienne 4 pendant plusieurs années, je me suis orientée, puis formée à la médecine énergétique chinoise, au Qi Gong et au Tai Ji Quan. Par ma pratique énergétique, j’ai taillé mon corps sans relâche afin qu’il soit pénétré de souffle comme les lettres hébraïques sont pénétrées de souffle divin. De plus, je pratique au quotidien, la méditation afin de nourrir le calme intérieur. Le souffle nous relie à la source d’eau vive!
Après environ huit ans d’immersion dans la symbolique hébraïque ainsi que dans le travail énergétique, j’ai réalisé intérieurement, et ce fut une révélation, que la Kabbale et la pratique du Qi Gong et du Tai Ji Quan sont en résonance. Par exemple, dans ces approches énergétiques, nous apprenons à être debout et non pas à tenir debout. Nous relions peu à peu, les deux bouts que sont le coccyx et la fontanelle, la terre et le ciel, de Malkhout à Keter, (la première et la dixième séphirah de l’Arbre de vie).
Centrés, nous devenons peu à peu l’être de la voie moyenne comme le préconise Maïmonide, ou l’homme du juste milieu selon la tradition daoiste 5. Ce juste milieu fonde l’essentiel de l’enseignement de la Torah. C’est à partir du centrage et de l’ouverture du cœur qu’un projet de vie peut s’accomplir.
Le Kabbaliste et l’énergéticien creusent des sillons vers le souffle primordial, siège de la lumière divine. Sans ce travail d’éclaircissement du corps, je pense que je n’aurais jamais pu entrer avec autant de profondeur dans la symbolique des mots et des textes hébraïques.
Votre livre présente les concepts clefs de la Kabbale et met particulièrement l’accent sur toutes les parties du corps humain. Pouvez-vous nous expliquer ce choix?
Le corps humain est un livre à déchiffrer et à défricher. La pratique énergétique donne des clés de lecture aux textes fondamentaux parce que le corps et le cerveau, nourris de souffle peuvent résonner avec le souffle du texte.
Toute ma recherche est axée sur le lien entre le texte et le corps. Ma pratique énergétique m’a permis d’intégrer jusque dans mes cellules combien le corps humain est un joyau de lumière, habité de silence divin.
En parallèle, j’ai découvert que les mots hébreux qui parlaient du foie, des reins, de l’œil, du cœur, etc. portaient la même puissance de lumière divine avec un éclairage différent. La tradition chinoise se révèle par la connaissance du corps tandis que la tradition hébraïque s’exprime à travers la lettre, l’écriture et le texte. Toutes deux sont porteuses de sagesse universelle.
Vous définiriez-vous comme une Kabbaliste? Avez-vous l’intention de donner des séminaires au Québec?
Le Kabbaliste, meqoubel, est celui qui a la possibilité de recevoir. Il reçoit, par son inspiration, la mémoire du souffle originel descendant dans le monde d’en bas. Il y a, alors, une adéquation entre le souffle divin et le souffle humain.
Par son alignement intérieur, il perçoit la voix divine dans son cœur. Il est en contact avec la vibration primordiale qui touche sa propre essence.
La voix l’invite à cheminer dans sa propre voie.
Dans la mesure où « Kabbale » signifie recevoir la voix divine dans le cœur, je m’inscris dans ce chemin de conscience et d’ouverture.
Qibel signifie aussi transmettre et j’ai à cœur de transmettre et de partager les fruits de ce chemin évolutif et singulier, porteur de joie profonde.
Dans cet esprit, poussée par le mouvement de la vie, je suis prête à enseigner là où il y a appel, résonance et écho avec ce qui m’engage corps et âme.
Oui, je me sens femme Kabbaliste, nourrie des enseignements des maîtres du passé, je m’inscris dans leur lignée par mon propre questionnement et ma recherche.
J’ai depuis plusieurs années envie d’enseigner là-bas, chez vous au Québec. Pure intuition
Là-bas, se dit Sham en hébreu. Il n’y a qu’un pas entre Sham, et Shem, Dieu.
Les deux mots s’écrivent de la même façon tout en se prononçant différemment. La magie de la langue hébraïque nous mène à de multiples interprétations qui creusent notre intériorité. Le fait de traverser les eaux de l’Atlantique, m’offrirait-il un nouveau sens dans ma quête vers Adonaï?
Je suis ouverte et curieuse de nature, j’aime vraiment découvrir de nouveaux pays et rencontrer de nouveaux peuples. Et je sens une attirance et une résonance avec le Québec et les Québécois.
Il y a un certain nombre d’années, j’ai eu l’occasion de voyager au Québec, à deux reprises et je m’y sentais bien. J’ai ressenti que je pouvais y vivre!
J’étais très surprise de voir que la juive d’Afrique du Nord que j’étais se sente si à l’aise dans cette terre contrastée, vibrante et magnétique.
J’ai aimé la légèreté et la spontanéité des Québécois ; il me semble qu’ils sont moins alourdis par le poids des conventions que nous en France.
J’ai l’intuition que mon enseignement Kabbalistique et des approches énergétiques peuvent y trouver un écho favorable.
Alors oui, je serais ravie de donner des séminaires au Québec et d’y rencontrer toutes les personnes en chemin, juives ou non, en quête d’évolution.
Notes:
- Le Qi Gong ou Chi Kong (maîtrise du souffle en chinois) et le Tai Ji Quan ou Taï Chi Kong (frapper du poing et aller au sommet), sont des approches énergétiques chinoises. ↩
- Pour en savoir plus voir www.rivka-cremisi.com et http://www.zenker.fr ↩
- Jeux de mots à partir de trois des quatre lettres de ce terme en hébreu. ↩
- Wilhelm Reich, (1898-1957) est le premier médecin psychanalyste à avoir introduit dans le travail analytique avec ses patients, la libération émotionnelle par des respirations. Un courant néo-reichien est né dans le monde et a fait apparaître de nouvelles pratiques thérapeutiques comme la bioénergie, le rebirth, le cri primal… ↩
- Le Daoisme ou taoïsme, de Dao en chinois, la voie est une philosophie fondée sur les textes du grand sage, Lao Zi, (604-531 av. J.-C.) qui développa l’importance pour l’homme d’être au centre afin de vivre en harmonie avec l’univers, avec simplicité et sans rapport de force. ↩