MOT DU PRÉSIDENT : DÉCEMBRE 2017
Le 25 du mois hébraïque de Kislev commence la fête de Hanouca. Outre le miracle de la petite fiole qui illumina 8 jours durant plutôt qu’un seul jour dans le Temple de Jérusalem la ménora (candélabre), Hanouca évoque aussi pour moi la sauvegarde du monothéisme, de l’influence néfaste de l’occupation helléniste et de sa force assimilatrice. Nous vivons perpétuellement cette menace. Hanouca évoque également à mes yeux la perpétuelle crise identitaire.
À cette époque, au second siècle avant l’Ère courante, les références identitaires traditionnelles étaient confrontées au courant hellénisant avec son mode de vie, ses cultes, ses croyances… Fallait-il être « à la mode » et suivre ce courant ou alors demeurer attaché à nos points d’ancrage, qui constituent notre héritage, nos croyances, nos valeurs, qui font de nous ce que nous sommes et qui nous lient à travers une chaîne qui remonte à nos ancêtres ?
Chaque époque, chaque génération a présenté un défi identitaire au peuple juif. En raison des conversions forcées, des persécutions, des pogromes, des différents courants d’influences et d’assimilation, bien des membres des communautés juives ont disparu. L’expression hébraïque de « Shéérit Israel » est le nom de certaines synagogues et signifie : ce qui reste du peuple juif, autrement dit le restant d’Israël. La dernière étude PEW 1 indique qu’aux É.-U., par exemple, près de 60 % de mariages sont mixtes et 30 % des enfants issus de ces mariages ne sont pas élevés comme juifs.
À travers la diaspora, ce restant s’est toujours constitué en communauté. Pourquoi ? Une des raisons fondamentales de la mise en place d’une structure communautaire est de rassembler tous les points de repère, tous les points d’attache qui nous relient à notre identité. Que ce soit par des synagogues, le respect des lois alimentaires de la cacherout, des écoles juives, de l’étude, de l’aide aux plus démunis, ou de notre patrimoine cultuel et culturel. À ces éléments s’ajoutent toutes les activités sociales et récréatives qui ont pour but de rassembler nos gens ayant des intérêts communs.
Notre identité est d’abord juive… Nous étions tous, au regard de la tradition juive, présents aux pieds du mont Sinaï pour recevoir la Thora. Ensemble nous étions exilés à Babylone où nos illustres maîtres ont écrit le Talmud qui est devenu le livre de référence du judaïsme de par le monde en restant fidèle à la Thora :
– « lo yamoush mipikha », que ces paroles ne tarissent de ta bouche, Is.20-21
– « ve limadtem otam et benekhem », et tu les enseigneras à tes enfants, Deut.11.19
- « lemaan yirbou yemekem » – afin que tu existes pour l’éternité. Deut.11.21
Et si nous nous retournons vers Sion dans nos prières, c’est pour que cette terre reste gravée à jamais dans notre ADN. La Thora, dans son étude et sa pratique, et Sion, voilà déjà deux points d’ancrage du peuple juif. Ils ne sont pas exhaustifs et la conjugaison entre modernité et tradition est possible.
D’un exil à un autre, d’une civilisation à une autre, nous tenons à ce que nos ancrages demeurent solides; en bâtissant des synagogues, en célébrant le shabbat, les fêtes, les évènements heureux, en suivant l’enseignement de nos rabbins, et en participant à la vie et au bien-être du pays d’accueil. Ces points de référence ne sont que quelques têtes de chapitres qui décrivent le pourquoi d’une communauté juive que nous voulons inclusive. Toutes ses institutions et activités doivent converger vers leur raison d‘être qui est la préservation de notre identité à court, moyen, long et très long terme.
Quels sont les points de repère, les points d’ancrage aujourd’hui ? Les programmes comme celui de « Birthright » qui propose un voyage en Israël ? « The march of the living », visite de Auschwitz-Birkanau,la mémoire de la Shoah ? « Tikoun olam », la réparation du monde ? L’Appel juif unifié, la jeune chambre de commerce ? Les voyages identitaires, Espagne-Portugal-Maroc-Israël ? Faut-il se réinventer continuellement pour intéresser tous les groupes, tous les âges ? Qu’est-ce qui doit demeurer constant et que retenir des us et coutumes de notre époque pour garder une communauté vibrante ?
Il y a quelque chose de remarquable dans notre communauté sépharade à Montréal aujourd’hui : on compte plus d’une trentaine de synagogues de tradition marocaine, qui sont relativement bien fréquentées et pour la plupart en mode expansion. Même les courants hassidiques Lubavitch et Braslev, commencent à offrir des services selon les coutumes sépharades.
Autre réalité, les enfants sépharades représentent parfois la majorité des effectifs des écoles ashkénazes offrant un programme d’études juives orthodoxes. Ce sont ces élèves qui assurent la survie de ces écoles.
De nature complexe, « l’entreprise » communautaire nécessite une réflexion continuelle, une préservation du constant, des points d’ancrage et de repère, qui doivent être renforcés continuellement tout en maintenant une communauté avec toutes ses tendances etses particularités en harmonie, dans un esprit d’inclusion basé sur le respect de l’autre.
Je crois fortement dans une communauté inclusive et je réitère mon invitation à tous ceux et celles qui veulent contribuer à l’édification de ce beau projet communautaire, qui est en constante évolution, de se joindre à nous. C’est avec plaisir que je recevrai vos idées que nous mettrons ensemble en chantier.
Je suis convaincu qu’à travers la diaspora bien des communautés sépharades doivent se poser les mêmes questions et rencontrer les mêmes défis. Nous avons donc décidé de faire un recensement des organismes, institutions, et communautés sépharades à travers le monde dans le but de créer un réseau actif et interactif afin d’échanger sur nos défis respectifs, les éléments de solution à y apporter, et encore plus important de nous entraider et nous sustenter mutuellement.
Le concept de réseau a eu bonne écoute de la part de Dany Amar, fils d’un de nos grands leaders juifs, David Amar (z’l) 2, à qui la communauté a rendu hommage au cours du Festival Sefarad 2016. Depuis, cette idée d’un réseau mondial a fait son chemin. Sous le parrainage et le leadership de Dany Amar, une rencontre se tient à Jérusalem le 7 et 8 novembre au Centre mondial du judaïsme d’Afrique du Nord David Amar. Elle rassemblera des représentants de communautés, d’organismes et d’intellectuels sépharades de plusieurs pays.
La communauté sépharade du Québec est l’initiateur de ce projet et « Kol Hakavod », félicitations à David Bensoussan qui est l’organisateur en chef de cet évènement.
Henri Elbaz,
Président, CSUQ
Notes:
- Pew Research Center, spécialisé sur les questions religieuses. Voir http://www.pewresearch.org/topics/jews-and-judaism/ ↩
- Abréviation de l’expression hébraïque « zikhono liveracha », littéralement que sa mémoire soit une bénédiction. ↩