ENTREVUE AVEC FRANÇOIS LEGAULT, CHEF DU PARTI COALITION AVENIR QUÉBEC (CAQ)

PAR ELIAS LEVY

Elias Levy
François Legault, fondateur et chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), a accordé une entrevue à La Voix sépharade. Entretien à bâtons rompus avec une figure incontournable de la scène politique québécoise dont la formation politique est sur les chapeaux de roues ces jours-ci. C’est le premier des entretiens avec les chefs de principaux partis politique du Québec. Cette nouvelle rubrique Vie juive canadienne interrogera régulièrement des femmes et des hommes engagés dans la vie politique et civile, en les interrogeant sur leurs priorités et leurs liens avec la communauté juive. Et il s’est entretenu avec le journaliste Elias Levy.
D’après les résultats d’un récent sondage (réalisé pour le journal Le Devoir par la firme Léger entre le 23 et le 25 octobre derniers), la CAQ a le vent en poupe. Ce coup de sonde place votre parti en tête en engrangeant 34 % des intentions de vote. Un résultat qui vous permet même d’espérer une majorité à l’Assemblée nationale du Québec. On suppose que vous exultez ?
Les sondages, qui sont aléatoires, me rendent dubitatif. La prudence est de mise, surtout quand on sait que les prochaines élections générales n’auront lieu que dans onze mois. Cependant, je pense que les résultats de ce dernier sondage envoient un message explicite au gouvernement libéral de Philippe Couillard et au Parti Québécois (PQ). J’interprète ces résultats comme un signe d’appréciation de la part de la population du Québec du travail accompli par la CAQ, et aussi comme une sanction à l’endroit du gouvernement libéral et du PQ. Le gouvernement libéral au pouvoir depuis quatorze ans, à l’exception d’une parenthèse de dix-huit mois, est vraiment usé. Dix-sept ministres du gouvernement Couillard faisaient déjà partie du gouvernement de Jean Charest. Du côté du PQ, quand j’étais membre de ce parti, je suis arrivé à la conclusion que les Québécois ne souhaitent pas la souveraineté du Québec. Le problème du PQ, c’est vraiment l’article 1 de son programme, qui préconise ardemment la souveraineté du Québec. Nous, à la CAQ, l’article 1 que nous avons adopté est très clair : jamais un gouvernement élu de la CAQ ne tiendra un référendum sur la souveraineté du Québec. Je pense que c’est ce que souhaitent aujourd’hui la grande majorité des Québécois. Notre seule priorité doit être de mieux faire en économie, en éducation et en santé. Je pense que les Québécois apprécient nos propositions dans ces trois domaines fondamentaux.
Ce sont donc vos trois grandes priorités.
Absolument. Nous devons tabler sur l’économie, pour remettre plus d’argent dans le portefeuille des familles, l’éducation, on veut instaurer des maternelles 4 ans gratuites, et la santé, en permettant à chacun des 8,3 millions de Québécois d’avoir accès à un médecin de famille qui sera disponible lorsqu’ils seront malades.
Que propose concrètement la CAQ pour attaquer de front les problèmes qui sévissent dans notre système de santé ?
La mesure la plus importante que la CAQ a proposée depuis sa fondation, il y a six ans, pour régler les problèmes récurrents du réseau de la santé est une remise en question de la place et de la responsabilité professionnelle des médecins de famille. 80 % des problèmes dans notre système de santé proviennent du rôle déficient de ces derniers. Actuellement, environ 25 % des Québécois n’ont pas un médecin de famille. Et, parmi les 75 % qui en ont un, beaucoup n’ont pas accès à celui-ci, dans un court délai, lorsqu’ils sont malades. Il faut absolument revoir l’organisation de ce qu’on appelle la première ligne. Il est impératif que les médecins de famille travaillent au sein de groupes de médecine familiale (GMS) et qu’ils délèguent davantage d’actes médicaux aux infirmières pour éviter la situation critique qui prévaut actuellement dans les urgences des hôpitaux : 40 % des patients sont des cas légers qui auraient dû être traités préalablement par leur médecin de famille. Pour atteindre cet objectif, il faut modifier le mode de rémunération des médecins de famille. À la CAQ, nous sommes résolument convaincus qu’ils doivent être rémunérés annuellement par patient et non par acte médical. Cette mesure incitative favorisera certainement une véritable prise en charge en première ligne, qui permettra d’éviter que les patients qui auraient pu être examinés par leur médecin de famille n’engorgent les urgences.
La CAQ a annoncé que si elle accède au pouvoir, elle abrogera la loi 62 sur la neutralité religieuse, promulguée récemment par le gouvernement libéral de Philippe Couillard, et adoptera une « véritable Charte de la laïcité ». Pourquoi êtes-vous farouchement opposé à la loi 62 ?
Notre position sur cette question sensible est très claire : le port de signes religieux doit être interdit aux employés de l’État en position d’autorité coercitive. Dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, aucune exception ne doit leur être accordée pour des motifs religieux. C’est la mesure, incontournable à nos yeux, qu’appliquera un gouvernement dirigé par la CAQ. La loi 62 adoptée par le gouvernement Couillard est broche à foin et crée énormément de confusion. À la CAQ, on pense que pour des raisons d’identification, il faut absolument que le visage ne soit pas couvert entièrement lorsqu’on reçoit des services, mais une fois qu’une personne se sera identifiée, par exemple dans un autobus, ça devrait être suffisant, elle pourra donc se recouvrir le visage.
Quelles sont les priorités de la CAQ en matière d’immigration ?
Le Québec a des défis énormes au chapitre de l’intégration des nouveaux arrivants. C’est inacceptable que le taux de chômage chez ces derniers soit de 15 %, c’est-à-dire environ le triple de la moyenne au Québec. Des efforts considérables doivent être faits pour mieux intégrer à l’emploi les nouveaux arrivants. Évidemment, des efforts soutenus doivent être réalisés aussi en ce qui a trait aux cours de français et de citoyenneté que les nouveaux immigrants devront suivre. À la CAQ, on préfère l’action plutôt que de faire, comme Philippe Couillard, de la petite politique. Je ne comprends pas que les libéraux, après quatorze années au pouvoir, soient encore en train de consulter pour savoir ce qu’ils doivent faire. Il n’y a pas de panacée miracle pour s’attaquer à ce problème. Il faut tabler sur l’emploi, l’enseignement du français aux nouveaux immigrants, leur adhésion aux valeurs québécoises, ainsi que sur des ressources supplémentaires pour mieux les accompagner dans leur processus d’intégration socioprofessionnelle.
Au chapitre de l’éducation, un gouvernement élu de la CAQ mettrait-il fin, comme le préconise le PQ, au financement du réseau des écoles privées confessionnelles ?
Dans ce dossier, la CAQ propose le statu quo, c’est-à-dire aucun changement dans le financement du réseau des écoles privées québécoises. J’ai été ministre de l’Éducation pendant trois ans. J’ai eu alors l’opportunité de visiter plusieurs écoles de la communauté juive et de rencontrer souvent des leaders et des membres de celle-ci. J’ai été très impressionné par l’École Yaldei, une institution scolaire qui accueille des enfants handicapés ou ayant des besoins particuliers. Cette école accomplit un travail admirable. Pour moi, les écoles juives constituent un modèle qui devrait être une référence pour toutes les autres écoles du Québec. Le taux de diplomation des écoles juives, qui est de l’ordre de 99 %, est fantastique. C’est à faire rêver n’importe quel ministre de l’éducation. Ce modèle éducatif très fructueux est la résultante de la grande valorisation de l’éducation par les membres de la communauté juive. L’éducation a toujours occupé une place centrale dans le peuple juif. On ne change pas une formule gagnante. Et, dans le cas des écoles juives du Québec, on peut dire, sans le moindre doute, qu’on a là une formule gagnante, qui fonctionne à merveille. Celle-ci devrait servir de modèle à l’ensemble des écoles du Québec.
La CAQ a-t-elle des relations avec la communauté juive ?
Oui. Nous rencontrons souvent le CIJA (Centre consultatif des relations juives et israéliennes). Je connais aussi assez bien Ziv Nevo Kulman, consul général d’Israël à Montréal. L’année dernière, il nous a invités, mon épouse Isabelle et moi, à un souper à l’occasion de la célébration de la pâque juive. Nous avons grandement apprécié cette soirée. Ziv, tout comme mon épouse, est un grand amateur de peinture et d’art. Un député de la CAQ, Benoit Charette, est très proche de la communauté juive. Par son intermédiaire, j’ai eu l’occasion de rencontrer des membres de votre communauté. J’ai aussi rencontré des membres de la dynamique communauté sépharade francophone. Nous avons eu des échanges chaleureux et des plus intéressants.
Quelle est la position de la CAQ face à la campagne BDS, qui prône le boycott économique d’Israël ?
La CAQ condamne et dénonce vigoureusement la campagne BDS. Nous sommes en profond désaccord avec ce regroupement qui préconise des mesures punitives contre Israël.
Sous la gouverne de Philippe Couillard, les relations entre le Québec et Israël ont connu un essor important. Si vous êtes élu premier ministre du Québec, continuerez-vous à œuvrer au renforcement de ces relations ?
Absolument, surtout au chapitre économique. Je vous ai dit tantôt que j’ai trois grandes priorités : l’économie, la santé et l’éducation. Celle qui me passionne le plus, c’est l’économie. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’excellent livre Start-up Nation. The story of Israel’s Economic Miracle de Dan Senor et Saul Singer. Israël est le pays qui compte le plus de start-ups (entreprises en démarrage) et celui qui a le taux mondial de brevets le plus élevé pour mille habitants. En l’espace de soixante-neuf ans, Israël a bâti une économie très performante dont le moteur principal est la haute technologie. Au Québec, nous avons des difficultés dans le domaine de l’innovation, et surtout au chapitre de l’enregistrement des brevets. Les Québécois ont beaucoup à apprendre du modèle économique israélien. Ce que je souhaite, c’est qu’on diversifie nos échanges économiques, car ils sont actuellement très concentrés sur les États-Unis. Il faudrait accroître davantage nos échanges commerciaux avec Israël, et aussi avec certains pays d’Europe.
Avez-vous un message à transmettre aux membres de la communauté juive à l’aube d’une année électorale ?
Je tiens à leur dire que j’ai beaucoup de respect et d’admiration pour la communauté juive. Celle-ci a toujours contribué d’une manière remarquable au développement économique, social et culturel du Québec. Comme je vous l’ai dit, deux de mes grandes priorités sont l’éducation et l’économie. Durant ma carrière professionnelle dans le monde des affaires, j’ai eu l’occasion de travailler souvent avec des membres de la communauté juive. J’ai côtoyé des hommes et des femmes d’affaires qui excellent dans leur créneau professionnel ainsi que des entrepreneurs visionnaires qui se soucient d’efficacité. Ces derniers ont été pour moi une source d’inspiration. La communauté juive valorise beaucoup l’éducation. Ça transparaît dans le travail que les parents accomplissent quotidiennement auprès de leurs enfants à la maison. Le travail et l’éducation sont des valeurs cardinales auxquelles j’adhère entièrement.