RENCONTRE : GARDER LA FOI !

PAR CARINE ELKOUBY

Carine Elkouby

« Chaque pot a son couvercle ». C’est ainsi que ma grand-mère voyait les choses. Pourtant, force est de constater qu’il est de plus en plus difficile de rencontrer l’âme sœur de nos jours. Dans la grande région de Montréal, près de 13 000 juifs vivent seuls 1.

Carine Elkouby est journaliste, réalisatrice de documentaires et scénariste. Elle travaille principalement pour la télévision, sur des sujets de société, notamment liés à la santé et la justice.

 

L’histoire est jolie. Et c’est Sonia Sarah Lipsyc, notre rédactrice en chef, qui la raconte. Fièrement. Elle se déroule sur une période de six mois, en 2012, au sein d’Aleph, le Centre d’études juives contemporaines qu’elle a fondé trois ans auparavant.

Jérémy, la cinquantaine, fréquente Aleph et il assiste à des cycles d’étude ou des conférences. Amicalement, un jour, il confie à Sonia Sarah qu’il souhaite aider son frère, qui habite en Israël et qui est célibataire, à rencontrer sa future épouse. Les shidourim (mise en relation en vue d’un mariage) ne sont pas vraiment sa spécialité, mais Sonia Sarah ne rejette pas sa demande. D’une part, parce qu’elle connaît ce frère, avec qui elle a elle-même étudié des années auparavant à l’institut Mayanot de Jérusalem, sous l’égide du rabbin Léon Asknénazi (1922-1996). D’autre part, parce qu’elle a observé qu’à Mayanot, des couples pouvaient se former durant l’année d’études. Alors, grâce à Aleph… pourquoi pas?

Sans y réfléchir formellement, un mois plus tard, une idée lui vient presque comme une évidence : elle pense à une femme, Rébecca, Israélienne installée à Montréal, qui fréquente le centre Aleph occasionnellement. Sonia Sarah lui décrit le tableau : le profil humain de la personne, un professeur d’université, la cinquantaine, installé à Jérusalem, avec de la famille à Montréal. Rébecca est attentive et quand Sonia lui révèle le nom de cet homme, elle reste interdite. Et elle s’explique. Une dizaine d’années auparavant, alors qu’elle habitait encore en Israël, sa sœur l’avait contactée à l’issue d’un cours qu’elle suivait à l’Université, pour lui dire qu’elle était convaincue que le professeur qui donnait le cours qu’elle venait de suivre était fait pour elle. En résumé, l’âme sœur de sa sœur! Déconcertante situation. À l’époque, Rébecca n’avait pas donné suite, mais là, elle accepte le shidour que lui propose Sonia Sarah.

La rencontre se passe à Montréal. Lors d’un shabbat que Jérémy et Sonia Sarah organisent chez des amis en l’honneur de son frère Daniel qui a fait le voyage. Pour ce dernier, aucun doute. Dès qu’il voit Rébecca, il sait intimement qu’elle est sa moitié.

Pour Rébecca, les choses sont moins évidentes. Il y a la question de la différence d’âge et surtout son nouveau travail et l’immigration au Québec qu’elle vient d’accomplir, et que cette union remettrait en question. Mais Daniel ne lâche pas. Il revient à Montréal. Rébecca se rend également en Israël. Et au bout de trois allers-retours et divers échanges, la connexion se fait. Le mariage a lieu en Israël quelques mois plus tard. Sonia Sarah y assiste. Et une forte émotion s’empare d’elle quand elle évoque la naissance, peu après, d’un enfant dans le couple. « Le mérite de cette rencontre revient d’abord à Jérémy qui est venu vers moi pour aider son frère. Mais il y a une intuition, une sorte d’étincelle que je n’explique pas quand j’ai pensé à Rébecca. Toute inspiration doit être d’origine divine. C’est à la naissance de leur enfant que j’ai mesuré le chemin entre cette intuition et ses conséquences », précise-t-elle, reconnaissante de ne pas avoir écarté l’idée qui s’imposa alors à son esprit.

Mal de cœur

Des histoires comme celle-ci ont le don d’injecter de l’espoir dans les cœurs écornés par de trop nombreuses désillusions. Il faut les chérir et les transmettre à une époque qui a la peau dure et les laisse rarement percer. Car le mariage n’a pas la cote. Et la communauté juive de Montréal n’échappe pas à cette réalité.

En 2016, au Québec, seulement 21 950 mariages ont été célébrés, selon les données provisoires de l’Institut de la statistique du Québec. Un chiffre qui ne cesse de rétrécir comme peau de chagrin, d’année en année. Trois décennies de baisse continue! Si l’on se réfère aux chiffres du dernier recensement 2, 41,9 % des Juifs de la grande région de Montréal sont célibataires ou n’ont jamais été mariés. Cette proportion est d’autant plus vertigineuse qu’il y a peu de couples hors mariage dans la communauté, seulement 3,9 %.

Cette tendance, Yisroel Bernath, le rabbin de la communauté Chabad de Notre-Dame-de-Grâce, la constate tous les jours. Depuis son installation à Montréal en 2005 et la fondation de sa communauté en 2008, il est connu sous le nom de « rabbin de l’amour ». Tous les jours, il rencontre des jeunes pour les conseiller. « Je reçois des membres de la communauté juive qui viennent d‘horizons très divers. Ce qu’ils partagent quand je les vois, c’est une forme de découragement. Ils ont besoin de parler parce qu’ils traversent souvent des moments difficiles dans leur recherche de l’âme sœur. Le problème c’est que les jeunes veulent de moins en moins se marier », explique-t-il. Un de ses objectifs c’est de les inspirer à nouveau, d’offrir des repères à ces jeunes qui n’ont pas eu souvent de modèle de mariage réussi autour d’eux. « Parfois, ils sont issus de familles divorcées, parfois il y a pu y avoir des conflits à la maison, des ruptures traumatisantes. Chacun a son histoire qui justifie une peur de s’engager. Je ne juge pas. Moi, je tente de leur expliquer que le mariage, c’est avant tout un projet de vie commun et de leur en donner le goût », précise-t-il.

Pour la vie ou pour une nuit?

Pour les célibataires de Montréal, le problème majeur, c’est de rencontrer une personne avec qui ça colle et qui veuille s’engager dans une relation à long terme. « La communauté est très fragmentée et dispersée. C’est un phénomène que j’observe à Montréal et que je ne comprends pas : les groupes ne se mélangent pas et les jeunes ont du mal à sortir de leur zone de confort. Ce n’est pas en restant chez soi, dans son lit, la tête sous les couvertures qu’on peut faire une rencontre. Il faut sortir et pas toujours avec les mêmes amis, participer à des activités communautaires, mais pas toujours au même endroit! Il n’y a pas de secret! », souligne le rabbin Bernath.

L’autre constat qu’il fait, c’est que les jeunes sont à la recherche du plaisir immédiat et ne savent plus se rencontrer. Et pour cela notre société les a outillés : sites Internet qui proposent de trouver son « mazal », littéralement son étoile ou sa chance, c’est-à-dire la personne qui vous est destinée, en trois clics et un prélèvement automatique sur votre carte de crédit, applications qui réduisent les individus à des profils, parfois agrémentés de photos, qu’on balaye de l’index pour occuper ses soirées, depuis son canapé, jusqu’à s’en provoquer une tendinite. « Il n’y a rien là qui puisse favoriser une rencontre qui débouchera sur une relation sérieuse et durable », selon le rabbin Bernath.

Ces sites et applications, Gaëlle les a pratiquement tous essayés et à la manière dont cette célibataire de bientôt 40 ans lève les yeux au ciel, il semble clair qu’elle n’a plus d’espoir ou ne veut plus en avoir. « Soit, tu rencontres des gars qui ne ressemblent absolument pas à leur description et tu regrettes de t’être déplacée. Soit, tu tombes sur un type qui te plaît… mais lui, il n’est pas là pour une rencontre sérieuse et parfois ils te le disent clairement. C’est décourageant », s’indigne-t-elle!

À trois, c’est mieux!

En 2010, le rabbin Yisroël Bernath a donc décidé de créer un site Internet, Jmontreal 3, pour aider les couples à se former. Ici, pas de photos, pas de profils à consulter. Le rabbin fait les choses à l’ancienne. Il se voit comme un intermédiaire même s’il refuse l’étiquette de shadkhan (marieur). Pour lui, il y a une recette et la première étape, c’est d’apprendre à se connaître et à cibler le bon partenaire. « Il faut déjà savoir qui on est parce qu’on cherche son complément », précise-t-il. Quand le rabbin estime qu’il y a des points communs entre deux personnes qu’il connaît, il les met en contact pour un rendez-vous : « je leur donne très peu d’information, parce qu’on ne rencontre pas une photo, une idée. » Sur son compte Instagram, le rabbin Bernath affiche ses succès : 58 mariages depuis la création de Jmontreal. Pour lui, ce qui fait la différence, c’est une approche personnalisée et humaine.

Le rabbin Éphraïm Cremisi, de la synagogue Beit Yossef Meir à Côte-Saint-Luc, prône une approche semblable. Pour lui, l’erreur que font les jeunes, c’est de se plonger dans une relation, de laisser les sentiments s’installer avant de connaître vraiment la personne. « Les sentiments faussent notre jugement », souligne-t-il. Il y a donc une nécessité de préparer les rencontres en amont, par l’entremise d’une tierce personne, neutre. Discret, il assure à « ses jeunes », comme il les appelle, des mises en relation en vue de mariage et surtout, il les accompagne : « On fait un bilan après chaque rencontre, mais on ne va jamais intervenir pour pousser ou forcer. La décision appartient aux jeunes ». Pivot de sa communauté, il vit sa position comme une vocation et non comme un métier. D’ailleurs, il ne se fait pas payer, comme le font certains marieurs professionnels : « il ne faut pas qu’une personne ait un intérêt à marier des gens. On doit rester dans le domaine du hessed (bonté ou générosité). Parce qu’en réalité, on ne fait rien. Dieu nous donne une idée et on la met en place. »

 

 

 

 

Notes:

  1. Charles Shahar, Randal Schnoor, « Enquête nationale auprès des ménages de la communauté juive de Montréal, basée sur les chiffres du recensement de 2011 (janvier 2015) ». https://www.federationcja.org/fr/la-vie-juive-a-montreal/donnees-demographiques/
  2. Ibidem
  3. https://www.jmontreal.com/
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