Réfugiés Yezidis – Exilés – Damnés dans une Europe ébranlée. Tentative de témoignage par le théâtre
– – – – – – – – – – – – – – – – – –
J’ai le bout des doigts brûlés
C’est bien
Comme cela ils ne reprendront pas mes empreintes
De toute façon
Ils n’en auront plus besoin
Un de moins
Les rangs se vident
Ils pourraient me féliciter
Une place de plus pour un réfugié
Je rentre
Au pays
Ils viennent de me l’annoncer
Dimanche, la police viendra me chercher
Ils m’escorteront jusqu’au port
Là nous prendrons le ferry ensemble pour Athènes
Sous haute protection
Là-bas je passerai quelques jours en prison
C’est le circuit normal
Bien entendu dans une cellule
Sans moyen de communication
Puis ce sera l’avion pour la Turquie
Et enfin Erbil
Je suis de retour
Au pays…
Mais seul
Tout seul
Ici ils n’ont plus besoin de moi
Mais là-bas je pourrai encore aider
Achever mes études
Lutter
Il me faudra exceller
Je n’ai pas le choix
Il en va de ma survie
Et qui sait
Dans cinq ans
Je serai peut-être de retour en Europe
A Duhok
Il n’y a rien à craindre
Enfin
Pour l’instant
Je ne repars pas pour mourir
Mais ici, dans l’enfermement
Ma vie n’a plus de sens
Je ne sais pas comment leur dire
J’essaie de m’étouffer en fumant
Ce sera plus simple que d’avoir à les affronter
Oui
Je les abandonne
J’ai mal au ventre
Mal aux yeux
Je les laisse
Sans frère
Sans fils
Sans professeur
Sans interprète
Sans protecteur
Je les abandonne à la réclusion
Peut-être qu’il n’y a rien à dire
Que le silence pourra œuvrer sans moi
M’éclipser sans les avertir
Ils me connaissent
Ils pressentent
Ils savent qu’ils ne pourront me retenir
Je pensais les mener jusqu’en Allemagne
La route fut plus courte
Bien plus courte
J’espère que les révoltes dans le camp
Ne seront pas violentes
Que personne ne les accusera
Qu’ils ne seront pas inquiétés jusqu’à leur départ
Les doubles barbelés sont sensés les protéger
Ils sont ghettoïsés au sein même de la carcéralité
Qu’ont-ils à craindre
Sur l’île des damnés ?