Quel avenir pour l’Islam au Québec ?
PAR AZIZ FARÈS
Aziz Farès est né à Alger et vit à Montréal. Auteur, journaliste, producteur pour la radio et la télévision, il a travaillé pour Radio Canada International et la Radio Télévision Algérienne. Il collabore actuellement avec le quotidien Le Soir d’Algérie. Passionné de spiritualité vivante et d’études soufies, il est l’auteur de deux ouvrages parus en Algérie en 2009, La tangente impossible et j’ai failli égarer Dieu. Son dernier ouvrage publié au Québec, « L’encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs », est paru cette année aux éditions XYZ. Depuis 2011, il produit l’émission Au cœur du monde sur Radio VM (ex-Radio Ville-Marie).
Évoquer l’avenir de l’Islam implique, pour beaucoup, de faire d’abord un voyage à rebours pour retrouver le fil conducteur d’une religion née, il y a quinze siècles dans le désert d’Arabie. Mais ce voyage comporte le risque de renouer avec un passé fantasmé qui entretient l’illusion d’une histoire mythique. Comme le faisait remarquer l’écrivain marocain Driss Chraïbi : « Aurons-nous un jour un autre avenir que notre passé ? » 1
Que savons-nous, réellement, de cette histoire aujourd’hui sublimée ?
Quels témoignages avons-nous conservés des premiers moments de la révélation coranique? Des objets, des vestiges archéologiques ? Même la maison du Prophète à La Mecque a été rasée; des textes ?
Oui ! Un texte, Le Coran, qui faut-il le rappeler n’a jamais été rédigé tel que nous le connaissons du vivant du Prophète.
C’est donc à la lueur de nos modestes connaissances que nous devons tenter de retrouver l’empreinte d’une religion ubiquitaire, mais dont, curieusement, nous n’avons aucune trace historique.
Il nous faut chercher à comprendre comment l’islam qui a su et pu conquérir d’immenses territoires, créer des empires et une brillante civilisation est devenu aujourd’hui une ombre menaçante ?
De nombreux croyants affirment avec justesse que Islam (racine sémitique slm) signifie aussi paix. Que s’est-il donc passé pour que cette religion ait dérivé au point où elle représente, tant pour le monde musulman que pour le reste du monde, un danger ? Les musulmans ne sont-ils pas les premières victimes d’un islamisme aveugle ?
La paix, prônée par des musulmans sincères ne peut, malheureusement, faire face à la violence qui entache cette noble religion.
Nombreux sont ceux qui affirmeront, arme favorite, « Il n’y a pas de contrainte en religion » 2. Ce verset, particulièrement ambigu, permet de prétendre que rien ne peut être imposé à l’individu… même à celui qui impose sa propre loi. Ce mouvement de plaques tectoniques a généré un tsunami qui déferle sur la planète, emportant tout sur son passage et le monde musulman oscille entre un passé merveilleux qui l’empêche de se projeter dans le futur et un présent embarrassant.
Il nous faut donc nous extirper d’une image virtuelle qui tente de nous faire croire que la paix « tombera du ciel » car « il en est ainsi ! »
La paix se construit ! Or nous assistons à une destruction systématique de tout référent au passé, à une sorte de castration symbolique de la mémoire.
La mémoire du logiciel qui fait fonctionner l’Islam est vacillante et sa mémoire vive est constamment effacée. Ce qui n’était pas le cas au moment de la révélation coranique ni des premiers siècles qui ont suivi la disparition du Prophète.
Cette mémoire irriguait en permanence la pensée d’un monde qui avait pressenti qu’il lui fallait sortir de l’ignorance. C’est en repoussant ses frontières que l’Islam s’est épanoui en s’enrichissant des cultures rencontrées.
« LIS ! » C’est la première injonction adressée à Mahomet. Lis pour apprendre, pour comprendre, pour te cultiver.
Le Coran est avant tout une parole vivante qui a été confinée dans un carcan qui ne lui laisse aucune liberté. N’est-ce pas Platon qui disait : « L’écriture est parricide ». J’entends déjà les voix stridulantes qui crient au blasphème. Le Coran est « la parole de Dieu ! » Indiscutable ! Aussi je discuterai, sans l’imprimatur des gardiens du temple, de ce que chacun croit comprendre. Ce qui par contre serait blasphématoire, c’est de croire que le Coran se lit comme un roman policier. Le Coran ne se lit pas; « On ne s’y promène pas, on le gravit. Et le gravir requiert, dans un premier temps, d’être guidé » écrit Mahmoud Hussein 3.
Mais ces « guides » qui prétendent diriger viennent de Suisse, du Maroc ou du Pakistan… avec un agenda exclusivement politique sans faire l’effort de connaître et encore moins de comprendre la nature profonde de la société québécoise. Des individus affublés du titre ambivalent d’imam ont élevé la voix pour proclamer une nouvelle révélation qui leur conférerait le droit absolu de « guider les âmes perdues » avec pour credo une litanie d’interdits dont la source, souvent apocryphe, est sujette à une interprétation exégétique absconse.
Le Prophète ne disait-il pas qu’il fallait aller chercher le savoir même en Chine ? C’est ce qu’ont fait ses successeurs, développant les sciences, l’astronomie, les mathématiques, la littérature, la médecine… Encyclopédistes, savants, écrivains… ont bâti une brillante civilisation à travers un empire qui s’étendait de l’Atlantique aux confins de l’Asie.
En Andalousie, la pensée résolument moderne d’Averroes 4 a influencé le monde médiéval qui a su s’emparer de textes philosophiques qui ont conduit l’Europe aux portes des Lumières. Il existe d’ailleurs un averroïsme latin. Cette transfusion des connaissances a paradoxalement tari la source qui nourrissait la pensée musulmane et quinze siècles de conquêtes et de découvertes ont été réduits à leur plus simple expression donnant de l’Islam le visage d’une religion anachronique de sociétés arriérées.
Cette triste réalité est chaque jour confirmée par des actes barbares et inhumains; assassinats sauvages diffusés dans des mises en scène macabres qui visent à frapper les imaginations, destruction des Bouddhas de Bâmiyan, Palmyre…
Nous sommes devant une énigme.
Même l’âge d’or de l’Islam, de Grenade, de la culture et du raffinement ne remporte plus les suffrages de groupuscules qui ont fait main basse sur la religion musulmane brandie comme un trophée sanglant et la période de la révélation coranique est devenue la pierre d’achoppement d’une idéologie autoritaire qui pratique la politique du vide.
La spiritualité a disparu de la pensée musulmane et la théologie a été kidnappée par des docteurs dont la foi suspecte et les connaissances théologiques imparfaites bloquent toute velléité sinon de lectures du moins de relecture du texte coranique.
Cette relecture s’est pourtant faite durant les vingt années de l’apostolat du Prophète et certains versets, s’ils peuvent paraitre contradictoires au profane, mettent en lumière l’actualisation permanente d’une pensée alors vivante qui suivait l’évolution de la société. « En vérité, Allah ne change pas l’état d’un peuple tant que celui-ci ne change pas ce qui est en lui-même. 5 »
Tout le problème semble se situer à ce niveau. D’une part une idéologie, l’islamisme qui veut imposer un diktat à des peuples tous plus différents les uns que les autres et d’autre part un monde occidental qui prétend apporter la démocratie au nom de la « liberté ».
Les exemples irakiens, libyens, syriens et afghans sont assez éloquents pour que nous soyons autorisés à douter de ces deux options. Par ailleurs, des régimes autocratiques, bailleurs de fonds de l’islamisme sont liés, par une étrange invraisemblance, au monde occidental.
Le Québec et le Canada, en promouvant leur philosophie multiculturelle et communautariste, se sont éloignés des réalités nouvelles du monde musulman qui considère la démocratie, la liberté des femmes, la laïcité contraires à l’Islam.
La laïcité est frappée de l’anathème d’athéisme et ne trouve que peu d’arguments face au « sacré » de la religion.
Le Québec, qui s’est affranchi pacifiquement de la tutelle de l’église en faisant une révolution tranquille qui l’a propulsé dans la modernité sans pour autant renier le fond culturel de la religion, se voit confronté de nouveau à une croyance qui, cette fois, n’est pas celle de la société.
Par un assèchement de la pensée, l’Islam s’est recroquevillé dans une bulle idéologique qui lui fait croire qu’il peut prêcher dans ce Québec qui n’est pas un désert, mais qui pense, qui construit, qui tolère, qui existe par une volonté citoyenne.
L’Islam doit avoir une conviction qui transcende la foi et dépasser un dogme qui se résume à un rituel mécanique. Au-delà d’une croyance religieuse, les musulmans doivent croire en eux et accepter de relire le seul texte à leur disposition, Le Coran, à la lumière des connaissances actuelles.
Il n’est pas question, cela serait utopique de le penser, de réécrire le texte révélé ou les hadiths du Prophète. Quand bien même nous le voudrions, cela serait impossible.
Ce que l’Islam et tous les musulmans sincères, et ils sont nombreux, doivent et ils peuvent le faire, c’est retrouver le sens et l’essence du texte coranique en ne se laissant rien imposer comme une fatalité.
D’ailleurs il est dit : « Dieu ne vous impose rien que vous ne puissiez supporter » 6 .
L’avenir de l’Islam au Québec est encore imprécis, car il se positionne en termes d’affrontement. Les exemples, loin d’être anecdotiques, du voile, du niqab, des accommodements raisonnables témoignent d’une incompréhension, d’une ignorance des préceptes religieux et de la culture islamique tant dans la société québécoise que dans les sociétés musulmanes issues d’Afghanistan, d’Irak, d’Algérie, du Pakistan, d’Indonésie… autrement dit de cultures, de traditions et de langues différentes.
Le danger est de promouvoir le faux semblant d’une religion unie, uniforme qui serait la même partout en entretenant le mythe d’une société idéale.
Pour envisager le futur, l’Islam doit se réconcilier avec son passé, vivre pleinement l’instant présent dans la spiritualité, et au lieu de se lancer dans un djihad juridique à coups de fatwas improvisées, faire avec le Québec un effort fondé sur la réflexion pour enfin vivre ensemble dans la paix et le respect tout en ayant la foi… en l’avenir.
Notes:
- Dans son livre Vu, lu, entendu, Denoël, 1998, p18 ↩
- Coran, Sourate 2 verset 256 ↩
- Mahmoud Hussein, Ce que le Coran ne dit pas, Grasset 2013 ↩
- Célèbre philosophe, théologien, juriste et médecin musulman né à Cordoue en Andalousie (Espagne) en 1126 et mort à Marrakech en 1198. ↩
- Coran, Sourate 13 verset 11 ↩
- Coran, Sourate 2 verset 286 ↩