Bonnes feuilles de Rose de Chaouen
PAR NELLY ROFFÉ
Nelly Roffé est née au Maroc, mais vit à Montréal depuis 1967. Après avoir suivi des études en Littérature comparée à l’Université de Montréal, elle travaille comme traductrice de l’espagnol vers le français. Elle a traduit de nombreux auteurs argentins, mexicains, espagnols ou cubains comme Mercedes Roffé, Rodolfo Häsler, Pura Lopez Colomé, Myriam Moscona, Pedro Enriquez, Graciela Arraoz, Luisa. Elle a également traduit du français vers l’espagnol, des nouvelles de Nadine Ltaif , poète libanaise (« Exil andalou ») et de Louise Warren, poète du Québec (Le poème in situ) pour La Maison de la Poésie de Québec. Nelly Roffé publie également dans des revues littéraires québécoises telles que Exit, Estuaire, et internationales comme Contre-Jour, Galerna (New York), Ficcione (Espagne), Translit (Canada), des poèmes en traduction ainsi que ses propres textes et critiques de livres. Son premier recueil de poésies « Rose de Chaouen » vient de paraître aux Éditions de l’Harmattan. Nous avons le plaisir de publier ci-dessous quelques poesies extraites de cet ouvrage. « N’oublie pas que tu es le noyau d’une rupture » Edmond Jabès 1.
La clé de Chaouen 2
Quitter les lieux
entreprendre le long voyage de retour
à la recherche d’un sens qui encore m’échappe
changer de cap
ou être capturée
par le regard de la méduse
Cette petite boîte sur la table de chevet
renferme la clé donnée par mon père
« tiens, a-t-il dit, c’est la clé de la maison à Chaouen »
à moi d’inventer un destin pour cette clé
désormais au creux de ma main.
Berceuse
Ouvre les tiroirs les plus secrets de ta mémoire
tu baignes dans la langue de ton enfance.
Une voix douce et familière
chantonne cette berceuse sépharade
« En la casa hay una reja
en la reja una ventana
en la ventana una nina »
« Dans la maison il y a une grille
dans la grille une fenêtre
à la fenêtre une petite fille. »
Entre givre et jasmin
Le grand fleuve plonge
Dans le ciel argenté
Autour de moi
Le désert blanc.
Tandis que la nuit lente
s’étire le long du rivage
les saules aux branches frileuses
dansent comme des flammes.
Je lève les yeux
vers la course légère des nuages
un croissant de lune
incise le ciel.
J’aurai vécu sans soleil, sans chaleur
dans le crépuscule des livres
et l’entre-deux d’une langue
de givre et de jasmin.
Tricot-bicyclette
Qu’elle reste là assise,
si pâle
j’ignore quoi faire de son âge
de son souffle si court
j’ai toute ma vie esquivé la sienne
me suis montrée si peu attentive
que ses soupirs, sa peine
sont des voix limites
un son blême que mes oreilles
n’ont su entendre.
Dans les souvenirs de mon pays
j’entends chanter ma mère
et le cliquetis de sa machine à tricoter.
L’homme penché sur ses livres
c’est mon père
j’aime son regard tranquille
nos balades à bicyclette
à la sortie du lycée.
Notes: