« LA COMPTABILITÉ DE L’ÂME »
avant, pendant et après les fêtes du Nouvel An hébraïque et du Grand Pardon
Le rabbin Avi Finegold est le créateur du Jewish Learning Lab (Centre d’éducation juive à Montréal) et directeur général du Conseil Rabbinique de Montréal.
J’ai vu un jour un tee-shirt qui arborait le slogan : « Les rabbins aiment Cheshvan »1Mois hébraïque, tombant généralement en octobre/novembre et qui succède au mois de Tichri durant lequel se déroulent les grandes fêtes solennelles vers septembre/octobre (ndr).. J’y pense chaque année à la même période, car c’est une phrase qui décrit bien notre réalité professionnelle…
Nous sommes, nous les rabbins, souvent exténués après un mois épuisant rempli d’offices religieux, de sermons et de rencontres avec une multitude de personnes.La plupart d’entre elles se présentent rarement pendant l’année, mais font l’effort de venir pendant les fêtes que ce soit par sens du devoir ou par sentiment de culpabilité. Les rabbins aiment donc Cheshvan, le mois qui suit celui où se célèbrent Rosh Hashana (Nouvel An), Yom Kippour (Grand pardon) et Souccot (fête des cabanes) un mois sans aucune fête notable ce qui leur permet de respirer, de reprendre leur souffle et de se remettre du déluge du travail qu’ils viennent de vivre.
Dans ma vie professionnelle, je cumule deux responsabilités, directeur général pour le Conseil Rabbinique de Montréal, où j’épaule mes confrères rabbins afin de les aider à mieux gérer leur vie professionnelle, et enseignant principal pour le Jewish Learning Lab2http://jewishlearninglab.com/, un institut de formation en études juives pour adultes, où la majeure partie de mes étudiants sont souvent laïcs et n’assistent qu’aux fêtes principales. À l’approche de ces fêtes, j’ai pensé à eux et à la manière dont ils arrivent à cette période de l’année. Ce que j’entends régulièrement de leur part est que les responsables des Congrégations ne sont conscients ni de leur faible niveau de connaissances religieuses ni de leur difficulté à assister à un office religieux qui les rejoint très peu ou pas du tout. La majorité de ces personnes se sentent, en général, ignorantes par rapport au savoir des représentants de la Congrégation, ce qui crée un fossé entre la chaire et l’assistance. Cependant, les gens devraient se sentir autorisés à discuter de ce point avec leur rabbin et à combler ce fossé. Quels seraient donc les enseignements pour se préparer aux fêtes dont pourraient bénéficier la majorité des personnes de la part de rabbins et que serait-il possible d’apprendre les uns des autres ? Premièrement, la période des grandes fêtes juives est semblable à la saison la plus achalandée de plusieurs professions. Les comptables et la période des impôts, les enseignants et la rentrée scolaire : tout le monde sait que cette période occupée de l’année requiert davantage de travail, mais peut être très gratifiante. D’ailleurs, les professionnels savent à quoi s’en tenir en s’engageant dans ces carrières et doivent planifier en conséquence. En fait, si nous leur posons la question, ils répondront que le succès ou l’échec de la pleine saison dépend de la planification. De la même manière, les rabbins ont Eloul, le mois avant les fêtes principales du mois de Tishri pour réfléchir et planifier la saison à venir. Plusieurs rabbins que je connais ont, à cet effet, un dossier intitulé « sermons » sur leur disque dur qu’ils mettent à jour régulièrement avant Rosh Hashana.
Eloul est un moment privilégié pour les rabbins, non seulement pour planifier l’ensemble du matériel de chaque office religieux, mais pour faire l’étude ou la « comptabilité de son âme », cheshbon hanefesh3Cette expression est généralement traduite par examen de conscience ou littéralement le compte de son âme, ici comptabilité en résonnance avec la métaphore utilisée par l’auteur (ndr)., en hébreu, tout comme le comptable demande à son client d’amener l’ensemble de ses reçus et factures en préparation de sa déclaration fiscale. Cheshbon hanefesh est une période propice à la remise en cause de nos pensées, de nos entêtements ou caprices afin de nous réconcilier avec nous-mêmes et de commencer sereinement les fêtes. Reprenons la même image : vous ne souhaitez probablement pas paraïtre désorganisé devant votre comptable en lui apportant un ensemble de factures pêle-mêle, quevous empilerez sur son bureau tout comme les rabbins ne veulent pas commencer Rosh Hashana avec un lourd bagage émotionnel à « empiler » sur Le Livre de la Vie4 Little, Brown and Company, 2003. !
Est-ce que les laïques peuvent s’identifier à tout cela ? Bien sûr. Tout particulièrement, une fois qu’ils ont conscience qu’il n’est point nécessaire d’avoir une formation particulière. Les laïques n’ont pas de discours ou d’offices religieux à préparer ou à donner, mais, en tant que participants, ils tireraient avantage à relire les livres de prières avant de se présenter à la synagogue pour Rosh Hashana ou Yom Kippour.
En agissant ainsi, ils se familiariseraient avec le texte et sa traduction. Aussi je les encourage à relever tout passage intéressant ou pertinent, ne serait-ce que deux ou trois pages. Les rabbins passent plusieurs heures avant de trouver un article ou une parole significative pour leur sermon. Les laïques pourraient faire de même afin de trouver leur ancrage dans leurs livres de prières. De surcroît, il faut reconnaître que le livre des prières est un texte difficile d’approche, même pour les rabbins ! Plusieurs autres sources adaptées à vos besoins (baladodiffusion, vidéos, etc.) sont disponibles sur Internet et constituent un bon complément d’apprentissage.
Il reste que cette préparation peut paraître intimidante pour la personne laïque. Il y a plusieurs années, un livre sur les fêtes juives est paru sous le titre « This is real and you are completely unprepared » (« C’est une réalité à laquelle vous n’êtes pas préparée »)5Dans la tradition juive, l’un des livres ouvert devant D’ au moment du jugement de Rosh Hashana et sur lequel chacun(e) espère être inscrit pour l’année à venir (ndr).. Son auteur, le rabbin Alan Lew fait remarquer qu’il n’existe pas de préparation idéale pour ces fêtes, des solennités bien trop impressionnantes et grandioses pour y être suffisamment préparés. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire ! On doit s’y préparer le plus possible tout en faisant confiance à son processus d’apprentissage. Chaque année, je relis entièrement le livre du rabbin Alan Lew et pense à son message principal.
Nous pouvons maintenant ajouter une nouvelle signification au slogan du tee-shirt mentionné plus haut, Cheshvan n’est pas seulement une pause après la période achalandée de l’année, c’est la ligne d’arrivée après un marathon ! Un moment pour prendre un verre et réfléchir à l’accomplissement d’un objectif majeur avec un état d’esprit amélioré. La préparation d’Eloul est un entraînement personnel pour l’âme en préparation de cette la ligne d’arrivée. Espérons qu’il n’y aura pas que les rabbins qui aimeront Cheshvan.
Traduction : Lily Serreau
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