Le personnage du Juif sépharade dans le cinéma israélien – 2e partie

Serge Ankry, cinéaste israélien, d’origine française né en Tunisie a réalisé notamment deux longs métrages, « Terre brûlante », en 1984 sélection au Festival de Berlin et primé à Turin et « Strangers in the night », en 1993. Il réalise « Le couscous de ma mère », en 1994, document de long métrage primé à Marseille. Parallèlement, il a dirigé l’école de cinéma « Camera Obscura » et a enseigné à l’Université de Tel Aviv.

Nous publions ici, la deuxième partie de son passionnant article, la deuxième paraitra dans le numéro de Pessah.

Les années 1980: le cinéma israélien sépharade, la « nouvelle sensibilité »

Les années 1980 vont voir naître une génération de cinéastes qui, contrairement à leurs aînés, ont étudié le cinéma à l’Université de Tel Aviv (le département d’études cinématographiques ayant été créé en 1972). Ces cinéastes, qu’on regroupe sous le nom de « nouvelle sensibilité », sont forcément plus intellectuels, plus politiques que leurs aînés, et ils vont lutter contre le cinéma borekas jusqu’à le faire disparaître des écrans.

En 1984, « Derrière les barreaux » de Ouri Barabash raconte l’alliance forcée d’un prisonnier sépharade et d’un prisonnier arabe, emprisonnés dans la même prison, contre l’establishment israélien. La critique, à l’époque, a surtout remarqué, dans cette parabole, la bonne volonté du réalisateur à dénoncer un establishment qui réprimait ensemble arabes et orientaux. En fait, on décèle surtout dans ce film la peur du réalisateur ashkénaze de voir les deux ennemis jurés de la société israélienne : l’Arabe, qui la menace militairement de l’extérieur et le Sépharade qui la menace culturellement de l’intérieur, se liguer pour la mener à sa perte. Ouri Barabash obtint un énorme succès avec ce film qui sera nominé aux Oscars américains la même année. Ce qui est navrant est que ce film de qualité qui n’a, à première vue, aucun rapport avec le cinéma borekas, procède, en fait, du même principe : plaire aux Sépharades en prenant pour héros un des leurs (n’oublions pas que les Sépharades représentent, maintenant, la grande majorité des spectateurs), se moquer de cet anti-héros tout au long du film, pour cette fois-ci, et modernité exigeant, le faire à la fin, échouer dans sa mission, les films modernes ne se terminant plus par un happy end hollywoodien.

La même année, je réalisais « Terre Brûlante », qui raconte le destin d’une famille de Juifs tunisiens forcés de quitter leur maison et leur pays, après une expropriation et dont le fils sioniste, une fois en Israël, exproprie lui-même des Arabes quelque 30 ans après. Ce film, dans la lignée des films de Moshé Mizrahi, s’il a obtenu un succès critique en Israël et à l’étranger, n’a pas plu au public sépharade qui a boudé à la fois sa forme et son message, trop gauchiste, à son goût.
En 1988, Haim Bouzaglo réalise « Mariage fictif » qui raconte l’histoire d’un Israélien qui décide de changer d’identité et de vivre la vie d’un travailleur de bâtiment arabe. Le film décrit, entre les lignes et avec beaucoup d’humour, la peur et l’attirance qu’exerce l’Orient sur les bourgeois israéliens de gauche, qui peuvent être à la fois pro-palestinien et anti-sépharade. Haim Buzaglo réalise ensuite, au début des années 2000, une excellente série de télévision sur une prison israélienne dont le directeur a un frère parmi les détenus. Dans un pays où la majorité des délinquants est d’origine orientale, la série devient tout naturellement un film sépharade. Heureusement, l’origine marocaine du réalisateur et de la plupart des acteurs a évité toute sorte de racisme ou même de condescendance dans le traitement du sujet et des personnages. Haim Buzaglo, devenu un des réalisateurs israéliens le plus prolifique et populaire de sa génération à la télévision et au cinéma a évité, par la suite, les sujets trop sépharades, son nom, qui dénonce son origine marocaine, suffisant, d’après lui, à le classer socialement chez le public et les critiques.

Le tournant des années 1990 pour les réalisateurs et comédiens sépharades

Dans les années 1990, le pourcentage de réalisateurs, mais surtout aussi d’acteurs et d’actrices sépharades augmente considérablement et on assiste en réaction à un glissement dans le phénomène commencé avec les films borekas et poursuivi avec les films comme « Derrière les barreaux ». Les réalisateurs ashkénazes continuent d’utiliser des Sépharades comme personnages principaux, mais ils ne cherchent plus à plaire au public sépharade; au contraire ils attaquent de front une culture qu’ils jugent néfaste à la société israélienne. Deux bons films entrent dans cette catégorie : « L’Elu » de Daniel Waksman, s’inspire d’un personnage réel : un faux rabbin sépharade, fils d’un rabbin miraculeux. Il fait de la politique et de la prison, mais à la mort de son père, il s’attribue ses dons et décide de devenir, lui aussi, faiseur de miracles, ayant compris le potentiel financier de cet acte. Ce film, qui se veut une critique de l’exploitation de la croyance aveugle des Sépharades envers leurs rabbins, a déplu au public sépharade qui a perçu, dans son propos, un racisme latent. Dans ce film débutait une actrice très prometteuse et qui fera beaucoup pour le cinéma sépharade : Ronit Elkabetz.

En 1984, « La vie selon Agfa » de Assy Dayan procède du même schéma : une critique des Sépharades à l’aide de portraits réalistes mais féroces de jeunes soldats, militaristes et racistes, qui ont choisi une unité d’élite pour pouvoir tuer le plus possible d’Arabes et qui font, à la fin du film, un véritable carnage dans le bar dans lequel ils sont venus soutenir un des leurs, blessé à la guerre. Assy Dayan, décédé cette année, et fils du général Moshé Dayan, ne cachait pas son antipathie envers les personnages de son film, ni le fait qu’ils étaient sépharades.

Ces films, s’ils sont des cas assez isolés, sont le signe d’une évolution sociologique significative dans le cinéma israélien. En effet, dans les années 2000, les Sépharades sont tout à fait capables de réaliser eux-mêmes des films sur leur communauté. Ils sont assez nombreux et assez talentueux pour pouvoir concurrencer les réalisateurs ashkénazes, pour l’attribution des aides à la production de films. Ils deviennent de ce fait non pas des cas sociaux que l’on peut aider, mais de véritables concurrents que les réalisateurs ashkénazes commencent à redouter, bien qu’alors l’establishement culturel leur était encore favorable.

En 1994, « Shrour » de Shmuel Hasfari et Anna Azoulay fait figure de précurseur, bien que le réalisateur soit d’origine ashkénaze, c’est avant tout le film de sa femme Anna Azoulay qui en a écrit le scénario, en a choisi les acteurs pratiquement tous sépharades, et a joué le rôle principal. Le film, autobiographique, raconte l’enfance d’une jeune Sépharade, sans doute surdouée, qu’on sépare de sa famille et de son milieu culturel pour la placer dans un lycée modèle, dans le but qu’elle s’intègre à la société israélienne. Devenue adulte, elle est déchirée entre une sœur retardée mentale qui représente son passé de primitive et sa fille autiste qui est le résultat des sacrifices affectifs qu’elle a dû consentir pour s’intégrer à la société moderne. Malgré le succès de ce film, Anna Azoulay devra attendre plus de 30 ans pour réaliser son premier film en solo « Les gens couleur cuivrée ». L’histoire est celle d’une grand-mère marocaine qui a pour spécialité de faire un couscous doré. A la fin du film, ses petits-enfants vont découvrir son secret ; durant toute sa vie, elle a réduit en poudre d’or ses bijoux ramenés du Maroc pour la mélanger à son couscous, détruisant ainsi tout son héritage culturel et sentimental, et se vengeant en même temps de ses enfants qui l’avaient abandonné pour s’intégrer à la société israélienne.

Le cinéma féministe et sépharade de Ronit Elkabetz

Le film « Shrour » devait ouvrir la voie à d’autres réalisatrices sépharades. Née de parents égyptiens, Dina Riklis réalise« Les trois Meres » un film sur trois sœurs égyptiennes qui souffrent de vivre en Israël, dans un pays qui leur semble primitif, et qui sont nostalgiques de leur Egypte natale. Juste retournement des choses, les Sépharades, qui ont souffert d’être considérés comme des gens incultes par les Ashkénazes au pouvoir en Israël, osent enfin parler de leur culture sans honte et déclarent la trouver plus riche que celle qui a été imposée à leurs parents. Ronit Elkabetz va aller plus loin dans ses films puisqu’elle se permet de critiquer la culture dont elle est issue, à la façon des Américains tels que Woody Allen ou Martin Scorsese, critiquant leur ethnie, de l’intérieur.

En 2003, l’actrice Ronit Elkabetz réalise avec son frère Shlomi et sur un scénario original, le film « Prendre Femme ». Ronit Elkabetz choisit de parler de la frustration de sa communauté, celle des Juifs d’origine marocaine, parqués dans ces villes de « développement » construites, dans les années 1950, sans grand discernement par des dirigeants sionistes pressés d’y loger les Juifs sépharades, loin des grandes métropoles. Elle dessine le portrait d’une femme frustrée jusqu’à la névrose par un mariage raté avec un homme qui s’abime dans une tradition religieuse, l’empêche de progresser et d’être heureuse. Ce film va devenir le premier d’un triptyque qui suit la vie de la même héroïne jouée magistralement par Ronit elle-même. « Shiva », en 2008, se passe durant la semaine qui suit le décès d’un frère ce qui va donner lieu à un psychodrame familial.

Gett

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Puis, en 2013, « Guet » ou « Le procès de Viviane Amsalem » raconte la lutte de cette femme pour obtenir son divorce face à son mari qui le lui refuse et au tribunal rabbinique impuissant, et sa honte d’être jugée par les autres, dans ces villes où tout le monde se connaît. Ces trois films dont la qualité va en progressant vont faire de Ronit Elkabetz une actrice et une réalisatrice de premier plan, reconnue en Israël ainsi que dans le monde entier. Ils font d’elle aussi un emblème qui proclame tout haut son appartenance au milieu sépharade et sa lutte pour que la femme y soit respectée. Ses films plaisent ainsi aux Sépharades qui sont fiers d’elle et aux Ashkénazes appréciant d’entendre les critiques que les Sépharades portent contre leurs propres coutumes.
Notons que les deux actrices Israéliennes les plus célèbres en dehors de leur pays sont Yael Abecassis et Ronit Elkabetz et qu’elles sont toutes les deux sépharades et militantes.

Le cinéma israélien des années 2000

Parallèlement à ce cinéma militant et féministe, se développe dans les années 2000 un cinéma sépharade non militant qui choisit de montrer ses proches avec amour et humour, sans critiquer l’establishment ashkénaze.

Le chef de file de cette tendance est sans doute Shaby Gabison qui avait déjà révolutionné le cinéma israélien avec son film « Shourou » dans les années 1980, en refusant de parler de politique dans un film de forme post-moderniste. Dans son film « Fou d’amour du Chikoun G » Shaby Gabison décrit de façon réaliste, mais teintée de fantaisie, la vie dans un quartier défavorisé d’une banlieue de Tel Aviv, avec ses anti-héros pathétiques qui essaient de réussir dans les affaires en montant une société de télévision par câble pirate ou de se marier avec des Ashkénazes, mais sans succès. Il est aidé en cela par un formidable acteur Moshe Ibgi qui interprètera pratiquement tous les rôles de Sépharades anti- héros du cinéma israélien moderne.

Dans le même registre, en 1998, « Place des rêves » de Beny Torati raconte une histoire d’amour sur fond de cinéma oriental dans un quartier pauvre de Tel Aviv, surnommé avec dérision « le quartier de l’espérance », dont le réalisateur est lui-même issu. Le film, sorte de « Cinema Paradiso » pour la nostalgie cinématographique, dépeint, avec un charme fellinien, la vie de tous les jours d’une communauté pauvre et frustrée des quartiers défavorisés donc sépharades, où le seul moyen d’échapper à sa situation économique et sociale reste le rêve et le cinéma.

Dans « Mariage tardif » de Dover Kosashvili, Ronit Elkabetz interprète le rôle d’une jeune fille d’origine marocaine que la famille russe de son fiancé refuse d’accepter pour bru; c’est le premier film tourné par un réalisateur d’origine géorgienne sur sa communauté, qui est très importante en Israël, et qui présente la particularité d’être à la fois russe et sépharade.

Shemi Zarhin, réalisateur d’origine yéménite, rentre dans la même catégorie que les précédents avec deux films très réussis et qui sont une sorte de variation sur le même thème. Le premier, « Bonjour monsieur Shlomi » raconte l’histoire d’un enfant sépharade qui sert de domestique à toute sa famille jusqu’à ce qu’on découvre qu’il est un élève surdoué. Cette nouvelle version de Cendrillon eut un gros succès et fut suivie par « Aviva mon amour » dans lequel une femme frustrée, vivant dans une ville de « développement », est découverte par un intellectuel cynique voulant exploiter ses dons d’écriture. Dans les deux films, on retrouve en filigrane le complexe du Sépharade dont on se moque a priori et qui doit, pour réussir, être surdoué (comme acteur, écrivain ou réalisateur), mais ce qui est nouveau, c’est la crainte que son œuvre soit détournée ou plagiée par les Ashkénazes. Dans son dernier film, il raconte la découverte par trois frères israéliens et sépharades que leur père, qu’ils n’ont pas connu, était arabe; comme si Shemi Zarhi n’avait plus peur de revendiquer une appartenance à une culture orientale dont il fallait auparavant avoir honte puisqu’elle était méprisée par les intellectuels israéliens.

La jeune génération des cinéastes israéliens sépharades

Bat Yam NY

Bat Yam NY

La jeune génération de cinéastes sépharades se place dans la même lignée qui refuse tout militantisme (d’ailleurs, il semble bien que le militantisme ait bel et bien disparu avec le décès de Vicky Shiran), mais éprouve un besoin de réhabiliter la culture de ses parents en racontant leur vie d’émigrés et leur lutte pour subsister, sans dérision ou dédain, mais au contraire avec amour et reconnaissance.

Les plus doués de cette génération sont Marco Carmel, David Ofeck et Yossi Madmoni. Les deux derniers, d’origine irakienne, ont réalisé une série de télévision « Bat Yam New York » dans laquelle ils racontent la vie d’une famille typiquement israélienne, mais de toute évidence sépharade sans que cela ne soit jamais mentionné de façon vindicative. Cette série, ayant eu un grand succès, a été suivie par une pléthore de séries de même veine qui n’ont pas ajouté grand-chose à la culture israélienne.

Mais Ofeck et Madmoni réussiront moins bien dans le cinéma que Marco Carmel qui a commencé par un tour de force pour son premier film «Comme son Père» en 2007, en réunissant un casting prestigieux : Gad Elmaleh, Richard Berry et Yael Abecassis, dans une coproduction avec la France. Ce film autobiographique raconte son enfance à Belleville, quartier mal famé de Paris dans les années 1950, dans une famille de Juifs tunisiens dont le père est emprisonné. Dans ce film, aucune critique, aucune rancœur, la famille avait pourtant tenté sa chance en Israël avant d’émigrer en France, ce qui prouve qu’ils n’avaient pas réussi à s’intégrer à la société israélienne. Mais Marco Carmel préfère accuser le caractère de son père pour expliquer cet échec plutôt que les institutions, ce qui montre que la nouvelle génération de Sépharades est moins frustrée ou moins militante que celle de ses aînés.

Marco Carmel va récidiver dans son second film « Ma sœur, mon Amour » en 2010. Ce film raconte l’histoire d’une famille dans une petite ville de « développement » peuplée uniquement de Sépharades, deux sœurs s’adorent en se détestant, l’une aime un Arabe, l’autre est frustrée par une vie de soumission à son mari, à ses enfants et à sa mère un peu sorcière; dans ce film, Marco Carmel s’éloigne du réalisme de son premier film pour laisser libre cours à un mysticisme oriental. Ici aussi l’establishment sioniste n’est pas critiqué puisqu’il n’existe pas, tout se passe en vase clos et si critique il y a, elle s’exerce à l’encontre des coutumes de sa propre communauté, sans amertume, avec un souci de réhabilitation.

Durant les années 2000, nous assistons à un fort développement de l’industrie cinématographique israélienne. Les raisons sont d’abord d’ordre culturel. Depuis 1972 et la création du département de cinéma de l’Université de Tel Aviv, les écoles de cinéma se sont multipliées dans tout le pays; on enseigne le cinéma dans les lycées et on peut choisir l’option cinéma au baccalauréat.

Elles sont ensuite d’ordre économique; une loi a été votée à la Knesset qui subventionne le Cinéma au même titre que les Arts ou le Théâtre. Les fonds d’aide à la production de films croissent ainsi de un à quatre; alors qu’on avait 5 films par an, on en produit 25 à l’heure actuelle, et la télévision passe d’une chaîne étatisée à trois chaines privées et deux chaînes câblées. Le cinéma israélien s’exporte bien; les films israéliens remportent des prix à Cannes, à Venise ou à Berlin et sont nominés aux Oscars. Ils sont distribués avec succès en Europe; ce qui ramène au pays des fonds et des producteurs étrangers.

Phénomène curieux mais prévisible, en 2004 Avi Nesher, réalisateur d’origine ashkénaze, qui a fait ses classes à Hollywood, réalise « Le bout du monde à gauche ». Ce film raconte la vie frustrante, parce que sans espoir, des habitants d’une petite ville de « développement » dans le désert du Néguev. Sans tomber dans la caricature des films borekas, le film n’en est pas moins une accumulation de stéréotypes et de situations écrites pour satisfaire le jeune public sépharade par un réalisateur un peu plus habile et doué que ses prédécesseurs. Ce film a obtenu un énorme succès en Israël, les jeunes générations se moquant de savoir si le réalisateur est ashkénaze ou sépharade.

Mais il y a peu de chance que le succès du film d’Avi Nesher annonce le retour d’un cinéma borekas revisité. Il semble au contraire que la vague de réalisateurs et réalisatrices, d’acteurs et actrices, de producteurs d’origine sépharade (il ne faut pas oublier que presque tous les films israéliens sont coproduits et distribués par les frères Edery, d’origine marocaine, qui possèdent la presque totalité des salles de cinéma en Israël.) soit tellement importante en nombre et en qualité que le mouvement amorcé dans les années 1980 mène, sans éventualité de retour, vers une orientalisation de la culture israélienne, amorcée d’abord dans la chanson puis dans le cinéma populaire. La plupart des enfants israéliens sont nés de mariages mixtes entre Ashkénazes et Sépharades, les Sépharades sont de plus en plus intégrés à la vie politique, rarement à un très haut niveau, certes, mais ils sont plus présents qu’autrefois; on entend de la musique orientale à la radio et sur les plages; les chanteurs orientaux remplissent les stades jadis réservés à l’élite ashkénaze de la chanson israélienne. Les jeunes réalisateurs sépharades ne se sentent pas isolés, minoritaires ou rejetés à cause de leur origine. Par exemple, à la dernière cérémonie de remise des Oscars israéliens, les deux films en compétition pour le prix du meilleur film étaient tous les deux sépharades : « Hamilim Hatovot » de Shemi Zahrin, et celui du réalisateur d’origine iranienne Yuval Delshad, « Baba Joon », racontant l’histoire d’une famille de Juifs iraniens ayant du mal à s’intégrer au kibboutz; ce film, entièrement tourné en langue perse, et joué par des acteurs iraniens, a été choisi comme meilleur film de l’année, et représentera Israël à la prochaine cérémonie des Oscars américains.

En 1960 ans d’existence, le cinéma, comme la société israélienne, a connu plusieurs changements socio-culturels. On est passé d’un cinéma social soviétique dans les années 1950, à un cinéma néo-réaliste et nouvelle-vague dans les années 1960, pour se réfugier dans un cinéma de divertissement après l’euphorie de la guerre des Six Jours en 1967. Après le traumatisme de la guerre de Kippour en 1973, un grand nombre d’auteurs ashkénazes commencent à comprendre que le rêve d’une enclave occidentale au Moyen Orient est une utopie. Ce fait, ajouté à l’augmentation du nombre de Sépharades dans la société, a fortement orienté le développement du cinéma israélien dans le sens d’une orientalisation qui semble inéluctable, même si les rênes de la culture sont encore aux mains d’un establishment ashkénaze revanchard, si on en croit les déclarations racistes de divers acteurs, actrices et directeurs de théâtre ashkénazes à l’annonce de la nomination d’une femme de droite et d’origine tunisienne : Miri Reguev à la tête du ministère de la Culture.

Serge Ankry

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