Moïse Amselem(zal), un géant de sa génération

Par Elias Levy 

Elias Levy

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Moïse Amselem a incarné la quintessence du leadership communautaire. Ce bénévole admirable et philanthrope des plus généreux a consacré sa vie au service de sa communauté avec foi et passion. Son parcours communautaire a été des plus marquants.
Il est décédé cet hiver à l’âge de 88 ans. Sa disparition a suscité un profond émoi dans la communauté juive de Montréal et dans le monde sépharade, où ses nombreuses actions communautaires ont laissé des traces indélébiles.
Moïse Amselem a été président de la Communauté sépharade du Québec (CSQ) pendant deux mandats consécutifs, de 1997 à 2001.
Il considérait le bénévolat communautaire comme une cause très noble où l’esprit de fraternité et le sens de la collégialité devaient prédominer avant tout.
« Il avait un très grand respect pour ses interlocuteurs. Il était très proche des gens, peu importe leur statut socio-économique. Il avait une grande qualité qui fait souvent défaut aux leaders communautaires : il déléguait des responsabilités sans hésiter et faisait entièrement confiance à tous ceux et celles qui l’épaulaient dans ses fonctions. Il était réceptif à tous les projets qu’on lui proposait », se rappelle son gendre Robert Abitbol, ancien directeur général de la CSUQ.


Cette proximité avec les membres de sa communauté, il l’a manifestée concrètement lors de son engagement sans faille dans une cause communautaire qui lui tenait grandement à cœur : la Campagne de l’Appel juif unifié (AJU) de la Fédération CJA. Il ne cessait de rappeler que la tsédaka, la charité, collective est l’un des piliers cardinaux du judaïsme. En 2009, à titre de président de la  Campagne sépharade de l’AJU, il s’est rendu dans toutes les synagogues sépharades de Montréal afin de sensibiliser leurs membres à l’importance de contribuer à cette cause communautaire qu’il qualifiait de « vitale ». Il a pris la parole aussi bien devant de larges assistances que devant des petits kahal, communautés, ne dépassant pas le minyan (quorum de dix personnes). À ses yeux, chaque Juif était important.

‘‘Moïse Amselem a été le leader
communautaire le plus pur et le plus
humble que nous ayons connu ’’

– Dr William Dery –

Jacques Saada, président de la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ), gardera de lui le souvenir d’une figure centrale de notre communauté.
« Je ne sais plus quand j’ai rencontré Moïse Amselem pour la première fois, mais ce qui m’avait frappé, c’était son regard doux et bienveillant, son sourire chaleureux, sa voix vraie, sa modestie naturelle. Je ne savais pas alors que je venais de rencontrer un grand parmi les grands. Au gré du temps, nos vies se sont recroisées. Moïse ne changeait pas. Il ne changerait jamais. Après mon élection à la présidence de la CSUQ, je me souviens que, comme dans la tradition ancestrale du père qui bénit ses enfants, il avait posé sa main sur ma tête et prononcé quelques phrases pour invoquer la protection divine dans l’exercice de mes responsabilités au service des nôtres. Puis, en me regardant droit dans les yeux, il m’avait dit toute la confiance qu’il avait en moi. »
L’une des grandes responsabilités communautaires que Moïse Amselem a assumées avec un dévouement infini a été celle de Paquid (membre responsable) de la Hévra Kadisha, la confrérie du dernier devoir de la communauté sépharade.
Le Rabbin Shalom Chriqui, leader spirituel du Centre Chabad de la rue Van Horne et de l’Escale Chabad du Nord, sise dans les Laurentides, se souvient avec émotion de son abnégation totale envers les êtres en fin de vie.
« Son engagement au sein de la Hévra Kadisha a été des plus exemplaires. Il passait des nuits auprès de personnes mourantes et à consoler leur famille. Il lui arrivait souvent de quitter in extremis sa pharmacie pour être présent à un enterrement. Je n’oublierai jamais avec quelle bonté il aidait tous ceux et celles qui avaient besoin de lui. Il disait toujours oui quand on le sollicitait. Il était toujours présent dans les moments difficiles. »
Moïse Amselem a été un pharmacien réputé et des plus respectés.
Son engagement communautaire intense et l’exercice de sa profession de pharmacien étaient étroitement liés, assure sa fille, Joëlle Amselem, qui a travaillé longtemps à ses côtés et lui a succédé à la tête de sa pharmacie il y a quelques années.
Il était très proche de ses patients et aussi des personnes malades qu’il accompagnait en fin de vie à titre de Paquid de Hévra Kadisha, rappelle-t-elle.
« Ses fonctions de pharmacien et à la Hévra Kadisha ont fait qu’il avait une proximité avec la maladie et la mort. Il était tous les jours exposé à la souffrance humaine tangiblement. »
Défrayer le coût des médicaments ou des funérailles d’une personne très nécessiteuse était pour lui une mitzvah (un commandement et une bonne action) fondamentale qu’il accomplissait avec la plus grande discrétion.
Son engagement auprès des jeunes forçait l’admiration, souligne son proche ami, le Rabbin Jacob Levy, leader spirituel de la Congrégation Beth Rambam de Côte-Saint-Luc.
Au début des années 70, alors qu’il assumait la vice-présidence de la communauté israélite de Kénitra, Moïse Amselem a réalisé un travail gigantesque auprès de la jeunesse juive de cette ville du nord-est du Maroc. C’était une époque de grand bouillonnement culturel et de contestations sociales, marquée par le célèbre slogan « Peace and Love ». Pour les jeunes, « il était interdit d’interdire », se remémore le Rabbin Jacob Levy.
« À l’époque, j’avais 17 ans, je n’étais pas religieux. À Kénitra, les jeunes de ma génération n’étaient pas du tout intéressés par l’étude de la Torah, mais l’étaient par les booms et les discothèques. Moïse était déjà un pharmacien réputé et très apprécié, aussi bien par les Juifs que par les musulmans. Il quittait souvent sa pharmacie pour organiser des activités pour les jeunes. Il a eu une influence énorme sur ces derniers. Les dvar Torah, paroles de Torah, de ce jeune pharmacien très éloquent nous captivaient. Il nous a fait découvrir les merveilles enfouies dans les textes toraniques avec une approche moderne et scientifique. Moïse a marqué ma génération. Il a été mon père spirituel. » 

L’éducation était l’une de ses priorités majeures.
Il a soutenu vigoureusement, au moyen de maintes initiatives, les deux écoles sépharades de Montréal, l’École Maïmonide et l’Académie Yéchiva Yavné.
Saadia Elhadad, fondateur et président d’honneur de l’Académie Yéchiva Yavné, évoque avec émotion son engagement admirable en faveur d’une éducation juive de qualité pérennisant les valeurs et les traditions sépharades.
« Moïse Amselem avait un cœur en or. Il ne disait jamais non quand on le sollicitait pour une cause importante. Durant sa merveilleuse vie, il a donné énormément de tsédaka à des œuvres caritatives, éducatives et communautaires. Il a toujours soutenu financièrement très généreusement la Yéchiva Yavné. Plusieurs de ses petits-enfants ont étudié dans notre école. Quand il venait, il avait des larmes aux yeux quand il entendait chanter nos élèves. Il considérait la diffusion des enseignements de notre sainte Torah comme une mitzvah capitale. »
Moïse Amselem était aussi très sensible à l’éducation des jeunes en Israël.
En 2012, il a été l’initiateur, avec le précieux concours de son épouse Gladys, d’un projet éducatif remarquable : l’octroi de bourses d’études à des étudiants sépharades méritants souhaitant poursuivre leur cursus académique dans une université israélienne.
Il a été aussi un grand ambassadeur du séphardisme canadien en Israël et dans la diaspora.
Président de la Fédération sépharade du Canada (FSC) de 2004 à 2018, il a participé à d’importants forums internationaux réunissant les communautés sépharades des quatre coins du monde. Il a aussi pris part tous les ans, à Jérusalem, au présidium de la Fédération sépharade mondiale (FSM) et au Congrès de l’Organisation sioniste mondiale (OSM).
À l’automne 2020, les délégués du 38e Congrès sioniste mondial, qui s’est tenu virtuellement depuis Jérusalem, l’ont élu « membre honoraire » de cette organisation pour « son engagement admirable pendant de nombreuses années dans les institutions du mouvement sioniste et sa grande contribution à la diffusion des idéaux sionistes ». C’était la première fois qu’un tel honneur échoyait à un leader de la communauté sépharade du Canada.
Durant sa présidence, la FSC a soutenu financièrement de nombreux projets sociaux et éducatifs en Israël, notamment celui initié par un ex-Montréalais, le Rabbin Yamin Levy, fondateur et président du Maimonides Heritage Center de Tibériade : servir quotidiennement des petits-déjeuners gratuits aux élèves pauvres dans les écoles de plusieurs villes du sud d’Israël. Moïse Amselem a contribué très généreusement de ses propres deniers à ces projets.
L’identité sépharade n’était pas pour lui une obsession, mais une richesse infinie que les Sépharades se doivent de maintenir vivace en perpétuant leurs traditions ancestrales : les rites religieux, la liturgie, la musique, la gastronomie. Il a soutenu des projets valorisant la liturgie sépharade, notamment les concerts de piyoutim, poèmes liturgiques, de bakashot, prières, et autres cantiques de la tradition sépharade.
« Moise Amselem représentait fidèlement le judaïsme sépharade tolérant et inclusif qui embrasse tous les Juifs, quels que soient leur degré de piété ou leurs pratiques rituelles. Dans sa vocation séculaire, Moïse était un guérisseur, un véritable pharmacien qui pratiquait indirectement la science. Cependant, dans son moi religieux, Moïse était le Juif dévot qui considérait son adhésion à la Hévra Kadisha comme l’expression ultime du hessed shel emet (acte de bonté désintéressé) qui n’entrait pas en conflit avec sa vocation séculaire. En cela, il était un véritable maïmonidien qui incarnait la philosophie de la cohabitation de la foi et de la raison », dit Avraham Elarar, président de la FSC.
Pour honorer sa mémoire et transmettre son legs communautaire, le Dr William Dery, ancien président de la CSQ, a été l’initiateur d’un projet remarquable : la création de la Fondation Moïse Amselem. Les usufruits générés par cette fondation serviront à primer annuellement les élèves des écoles juives de Montréal qui se distingueront particulièrement dans leurs actions de Hessed.
« Moïse Amselem a été le leader communautaire le plus pur et le plus humble que nous ayons connu. Homme de peu de mots, le Hessed était son discours le plus éloquent, son mode de vie de tous les jours sans jamais abdiquer une seconde. Son immense fierté d’exercer sa foi profonde dans nos plus fidèles traditions sépharades, sa générosité, sa gentillesse légendaire, sa bonté, son immense compassion pour autrui, son dévouement et ses engagements dans de multiples causes caritatives font de lui un de ces êtres d’exception, élus d’Hashem pour être les grands serviteurs de son peuple. Nul ne pourra combler le vide abyssal que nous a laissé le « Moïse » de notre génération », dit le Dr William Dery.

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