La tragédie de Méron

PAR Eric Yaakov Debroise

Éric Yaakov Debroise

 

  

 

 

 

 

Le vendredi 30 avril 2021 dans le nord de la Galilée au Mont Méron se déroule la fête de Lag Baomer au lieu de pèlerinage du tombeau de Rabbi Shimon Bar Yochaï. Cette célébration annuelle vivante et joyeuse se transforme dans la soirée en une tragédie. À la suite de bousculades, 45 personnes qui sont tombées perdent la vie malheureusement étouffées par leurs semblables.

La fête de Lag Baomer

Le Lag Baomer est une fête durant le compte du Omer entre Pessah (fête de la Pâque juive) et Shavouot (fête du don de la Torah). Elle est l’occasion de célébrer et commémorer la mémoire vivante du célèbre Rabbi Shimon Bar Yochaï (2e siècle) à qui on attribue la rédaction du Zohar, ouvrage d’importance de la mystique juive.
À cette occasion, à Méron, les participants effectuent un pèlerinage sur le tombeau de Bar Yochaï et d’immenses feux de joie sont allumés sur les flancs de la montagne. Pour ceux qui ont eu l’occasion d’y participer, ils vous feront état d’une ambiance toute particulière. Une chaleur humaine puissante, une joie transcendante et des chants qui déchirent les Cieux.
En 2020, cette fête a été annulée en raison de la pandémie de COVID-19. Avec la vague de vaccination lancée en Israël dès le début de l’année 2021, cette célébration était attendue avec impatience dans les milieux religieux.

Une tragédie nationale

Les causes de cette tragédie sont complexes et non encore élucidées.
Il semblerait que les autorités avaient initialement permis la présence d’un maximum de 10 000 personnes dans l’enceinte du tombeau de Rabbi Shimon Bar Yochaï. Nous savons aujourd’hui que ce nombre a été largement dépassé. Plus de 100 000 personnes se sont déplacées pour l’événement sans être stoppées notamment à cause de la pression de différents partis de la coalition du gouvernement israélien alors dirigé par Benaymin Nathanayou.
De plus la présence policière d’environ 5 000 intervenants n’était pas assez nombreuse pour maîtriser la foule et les risques de débordement. Et la situation devint vite confuse.
Les sauveteurs ont eu la plus grande des misères à intervenir et à évacuer les blessés en raison de la forte densité des participants sur le site.
En 2016, un rapport du commandant de police Ilan Mor mettait déjà en garde les autorités gouvernementales. Il s’inquiétait du trop grand nombre de participants et de l’incapacité des infrastructures à garantir la sécurité des pèlerins. Il recommandait entre autres qu’une seule autorité rabbinique soit responsable de la gestion du site contrairement à ce qui se fait aujourd’hui, chaque cour rabbinique et hassidique administrant son propre espace.
Cette tragédie interpelle. Entre impératif sanitaire et religieux, certaines tensions sont apparues dans la société israélienne depuis le début de la pandémie. La tragédie de Méron risquait d’être une blessure supplémentaire entre la société séculière et une partie du monde religieux israélien.
Monde religieux qui ne manque pas également de s’interroger sur son propre fonctionnement 1.
Mais dès le lendemain de cette catastrophe, on a assisté à une mobilisation entre Juifs, Arabes, Druzes, et entre religieux et non-religieux pour venir en aide aux pèlerins, aux rescapés et aux endeuillés.
De nombreuses initiatives de solidarité dans tout le pays ont été relayées dans les médias ou certains sites. Le site Torah Box, par exemple, en mentionne quelques-unes : dons de sang, soutien en terme de logements, de denrées alimentaires, de finances, de prières, etc 2.
Ainsi le principe talmudique « Kol Israël arévim zé bazé », à savoir « tout un chacun en Israël est responsable l’un envers l’autre » s’est concrétisé à cette occasion 3.
Enfin, pour que les festivités ne se transforment plus en tragédie et que des familles soient endeuillées lors de ces événements, le nouveau gouvernement israélien a dernièrement donné le feu vert pour la mise en place d’une commission d’enquête d’État sur la bousculade à Méron et ses implications. 

Montréal en deuil

Montréal s’est aussi retrouvée dans le deuil. Parmi les victimes, deux Montréalais sont décédés : Shraga Gestetner (zal) et Dovi Steinmetz (zal).
Shraga Gestetner, dans la trentaine, était un chanteur reconnu et père de famille de six enfants. Il avait grandi à Outremont, puis déménagé à New York après son mariage. Au-delà de la musique et du chant qu’il affectionnait, il était aussi une âme charitable. Il se consacrait à aider les plus vulnérables dans la communauté et aux études religieuses.
Quant à Dovi Steinmetz (21 ans), il a grandi dans le quartier Côte-des-Neiges. Il était apprécié de sa famille, de son entourage et de ses amis. Bon vivant, joyeux! Selon l’adage, un sourire enrichit celui qui le reçoit sans appauvrir celui qui le donne. Il était arrivé en Israël depuis quelques mois pour étudier dans la prestigieuse Yechiva de Mir.
Cette tragédie n’a pas laissé indifférents les politiques montréalais et canadiens qui ont exprimé leur soutien aux familles affectées. Lionel Perez (chef de l’opposition officielle à la mairie de Montréal) a fait part de son affection aux familles, la mairesse Valérie Plante quant à elle a fait part de son plus profond soutien, le premier ministre quant à lui a partagé sa plus grande tristesse.

Notes:

  1. A titre d’exemple, le journaliste haredi, Moshe Glassner de Kol Barama a déclaré: « il est temps que toutes les communautés (ultra-orthodoxes) comprennent le message, les règles de sécurité, comme les règles de santé, ne sont pas un « complot sioniste » contre la religion, et d’ajouter que « cette façon de penser […] nous a coûté des vies lors de la pandémie, à Méron, et à nouveau à Shavuot (Où il y eut deux décès et 60 blessés lors de l’effondrement des gradins dans une synagogue hassidique de Givat Zeev le dimanche 16 mai 2021 (ndr) ». Voir https://fr.timesofisrael.com/catastrophe-du-mont-mer-on-pourquoi-les-partis-haredi-bloquent-ils-lenquete/
  2. https://www.torah-box.com/news/actualite-juive/meron-la-solidarite-s-organise-dans-tout-le-pays_31293.html
  3.  Traité Shevou’ot 39a du Talmud de Babylone.
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