Hommage à René Elfassy

 


DÉCÈS

Chef René

David Bensoussan et René Elfassy

Qu’il me soit permis de rendre hommage à toute une génération de chefs scouts par la personne de René Elfassy décédé le 27 novembre à Paris. Toute une génération d’éducateurs de talent nous ont quittés : Jo Bengio, James Dahan, Loulou Elmaleh, Élie Abitbol, Simon Busbib, Maurice Garzon et maintenant René.

Nous avons traversé ensemble les forêts majestueuses de l’Atlas, connu les coassements stridents des crapauds lors de la traversée des dayas, apprécié les aurores embuées de rosée matinale, baignés dans l’amour des mélodies d’antan lancinantes et virevoltantes dans les airs dans une farandole ininterrompue : unisson, duos, canons. La détermination de braver les escarpements, les marécages et les intempéries tout comme la sensation que l’avenir, la nature et la vie nous sont servis pour être croqués ne nous quittaient pas. Les feux de camp ravivaient notre désir du toujours prêt pour le mieux et les principes de l’éclaireur constituaient notre loi et forgeaient nos espoirs en des lendemains ensoleillés.

 

René était la définition même de la fidélité. Scrupuleusement honnête et pointilleux à l’extrême tant dans ses propos que dans ses actions. Son parler était lent et réfléchi, ponctué de soupirs rieurs simulant la fatalité. Il prenait à cœur tout problème qu’on lui exposait.

René était mon mentor au mouvement scout. Nous avions passé des jours et des jours ensemble à discuter, planifier et exécuter des activités. Nos samedis soir se déroulaient ensemble et en groupe. Nous partagions la tente lors de nos sorties scoutes, participions ensemble aux offices du vendredi soir rue Moinier, nous nous rencontrions durant la récréation au Lycée Lyautey à l’arbre des É.I. (Éclaireurs israélites). De fait, nos activités scoutes tissaient notre quotidien et l’école était accessoire. Bien que plus âgé que moi, nous étions dans la même classe et nous recommencions encore et encore nos exercices de physique. Nous étions amis et partagions les mêmes vues sur un grand nombre de sujets.

René était mon modèle en tout si ce n’est qu’il se figeait à la vue d’un drapeau français pour se mettre au garde-à-vous. Il vibrait à la corde française. Pour nous, citoyens juifs marocains fraîchement sortis du ghetto, nous nous identifions en tant que Marocains – c’était le cas d’une minorité – ou Français – c’était le cas d’une toute petite minorité – ou en tant qu’Israéliens qui étaient sur le point de finir une cure de vacances de quelques millénaires pour rentrer chez eux. Notre culture était à la fois française et judéomarocaine. Les événements eurent leur propre effet d’entraînement et nous portèrent à trancher entre Israël et Maroc, voire même nous orienter vers la France ou le Canada.

René était fier de ses accomplissements, de ses talents d’éducateur et trouvait son dévouement tout naturel.

Lors d’une grande compétition à Pont Blondin, nous avions décidé de construire un radeau à partir de poteaux télégraphiques, de tonneaux vides et de cordages. Nous sciions, attachions, consolidions tout en essayant de faire la corrélation entre notre ouvrage et le principe d’Archimède. Le jour venu, notre radeau fut prêt avec un pont et un bastingage de cordes et un fier mât avec fanion. Ce que nous étions fiers de notre œuvre!

Muscles bandés, nous fîmes lentement glisser notre radeau dans l’eau sous les regards admiratifs des autres troupiers qui tiraient la langue devant cette grande œuvre. Le radeau fut hissé en tenant compte de la hauteur de ses flotteurs et il se laissa glisser lentement. Quelqu’un venait à la nage dans la rivière avec l’intention de nous aider. Au moment où la structure du radeau se trouvait soumise à des pressions quasi-disloquantes, le nageur s’accrocha, accentuant ainsi l’état de distorsion dans lequel se trouvait le radeau. Ce dernier se mit à émettre des sons craquants. Un ami et moi tentâmes d’empêcher cette déformation. Impossible. Le radeau prit la forme d’un losange à demi-émergé qu’il était impossible de ramener à l’horizontale, et qui, têtu, refusait de plier à nos efforts. Il nous fallut nous résigner, car le moment d’inspection approchait. Le premier prix alla à une magnifique tour de plusieurs étages construite par la troupe Geismar, tandis que nous de la troupe Fleg avions eu droit à un prix de consolation. L’oriflamme de notre fierté fit place à la retraite de la Bérézina. Mais il y avait pis encore. Cet épisode venait ébranler un autre rêve.

René se renferma pendant un temps. Les parents des chefs scouts s’étaient réunis pour se plaindre de ce que leurs enfants négligeaient leurs études et leur avenir pour se consacrer au scoutisme. Tout comme un joueur de foot ne sent rien lorsqu’il cogne de la tête la balle qui va marquer son but, mais ressent par contre de la douleur s’il manque sa cible, cet échec fut tel un violent coup de semonce envers notre ego. René passa par certaines périodes de méditation au sujet de l’intensité de son implication.

Il resta fidèle à ses engagements.

Il est toujours mon chef scout.

David Bensoussan

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