Sonia Sarah Lipsyc, tous azimuts

PAR Sylvie Halpern


Mais comment est-ce qu’elle fait pour y arriver, cette intellectuelle chevronnée qui depuis 11 ans a fait de Montréal – après Casablanca, Strasbourg, Paris et Jérusalem – sa ville d’adoption? Comment fait-elle pour continuer d’avancer tous azimuts, comme portée sur un tapis volant par sa passion de l’exégèse? Pourtant elle fait, Sonia, énergisée par sa conviction que le judaïsme est si riche qu’une vie n’y suffit pas, et soucieuse de communiquer cette intelligence des textes à ceux qui pourraient l’ignorer.
Son premier secret, c’est qu’elle se lève tôt : pour écrire religieusement – au sens fort du mot – et le shabbat, pour étudier. Chez elle d’ailleurs, guère de place pour les bibelots ou les plantes vertes : il y a des livres partout, qui veillent comme autant de compagnons de route et auxquels elle tient comme aux vrais amis. Pourtant, de meilleur chemin, il n’y en a pas pour Sonia. Mais tant de manières d’être et de faire et de communiquer ce qu’elle croit essentiel par tous les moyens qui semblent bons – le théâtre, la solide vulgarisation, l’enseignement, la recherche, l’écriture… Comme l’a écrit le site français Jewpop en l’inscrivant au panthéon des 50 Juifs marquants de 2019 dans l’espace francophone en général, « elle possède ce talent de réunir » 1.
Sonia Sarah Lipsyc a commencé comme dramaturge : d’ailleurs à Montréal, elle a mis en scène Dibbouk skoun ada au Centre Segal et Sauver un être, sauver un monde – une pièce sur la Shoah qui a été jouée devant des centaines d’étudiants du secondaire. Avec toujours ce besoin de faire réfléchir, on l’avait vue sur la chaîne de télévision de France 2, à une cinquantaine d’émissions du rabbin Josy Eisenberg; et ici, on l’a entendue aborder à Paroles divines sur Radio-Canada, aux côtés d’intervenants chrétiens et musulmans, différents thèmes de société en en donnant la lecture juive.

À l’aise pour rencontrer, écouter, argumenter, elle n’a pas peur de monter au créneau, quel que soit l’auditoire. D’ailleurs si elle a reçu en 2011 le Prix d’excellence en éducation juive du Bronfman Jewish Education Center, le Congrès maghrébin au Québec lui a remis le sien dès 2015. Cette docteure en sociologie est ravie quand elle enseigne à l’Université de Montréal ou est chercheure associée à Concordia, qu’elle peut lancer des questions épineuses devant un large public par l’entremise d’ALEPH – le centre d’études contemporaines pluraliste qu’elle dirige depuis dix ans au sein de la CSUQ – ou tenir en haleine le petit groupe de femmes appliquées qu’elle réunit au sein d’ORA, le groupe qu’elle a personnellement lancé l’an dernier. Mais c’est dans l’écriture et l’étude, quand elle se met à enfourner son béret basque, que Sonia est la plus heureuse. Est-ce aussi parce qu’elle a toujours milité pour l’avancée des droits des femmes au sein du judaïsme? Car c’est un autre chapeau que porte cette chercheuse qui avait codirigé en France Quand les femmes lisent la Bible et a contribué au Québec à l’ouvrage collectif Lettres de femmes d’ici et d’ailleurs. Pour ne pas mentionner, dans la revue Tenoua, son feuilleton littéraire, Yentl is back.

L’autre force de Sonia, c’est qu’elle est un confluent d’eaux mêlées et qu’elle se nourrit de cette double ascendance. Née à Casablanca d’une mère sépharade, mais tout autant façonnée par son père ashkénaze, elle a fait le voyage à Strasbourg l’an dernier pour la pose d’un Stolperstein (une pierre sur laquelle on trébuche) devant la maison de son grand-père qui en a été déporté à Auschwitz… Auteure, pour Arte, de Ne dis pas que tu vas ton dernier chemin (une soirée hématique consacrée à l’insurrection du ghetto de Varsovie), elle est cycliquement habitée par le devoir de témoigner : « Mon côté sépharade m’a donné une certaine vitalité pour aborder tout ça. » Elle entreprend d’ailleurs une vaste recherche sur la « résistance spirituelle, culturelle et religieuse pendant la Shoah : « Il faut le dire, dans les ghettos et dans les camps, les Juifs – ashkénazes comme sépharades – n’ont pas cessé d’être juifs. »

Quant au LVS, Sonia l’a pris en main en 2016 en veillant à sa vocation communautaire tout en le rendant assez inclusif pour que toute notre diversité y apparaisse : « Il faut que chacun puisse s’y retrouver, quelles que soient ses connaissances : je suis attachée à la pluralité dans le judaïsme et au respect qui doit nous unir. Tout comme ALEPH, Le LVS pour moi, c’est aussi le lieu où dire à chaque Juif : Viens prendre ce qui t’appartient! ».

Notes:

  1. 1. https://jewpop.com/ils-sont-partout/50-personnalites-jewpop-2019
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