Un Beth Din (tribunal rabbinique) sépharade à Montréal

PAR Georges Ohana


Entrevue avec le rabbin Haim Nataf, membre de la communauté de Petah Tikva à Ville Saint-Laurent.

Le Rabbin Haim Nataf est le rabbin et leader spirituel de la synagogue Petah Tikva de Ville-Saint-Laurent depuis 2006. Il y a fondé le Kollel Petah Tikva qu’il dirige depuis 2009. Il est le rabbin cofondateur des Institutions Maor Israël, une école sépharade orthodoxe, à Montréal depuis 2017, qui comprend un CPE et les premières classes primaires pour garçons et filles.

 

Merci de nous tracer le portrait actuel de la communauté juive de Montréal en regard des problématiques halakhiques (de loi juive)?

La communauté juive de Montréal est assez diversifiée. Elle se compose de Sépharades, d’Ashkénazes et de Hassidim. La communauté sépharade est constituée d’une population de pratique traditionnelle et affiliée généralement à une synagogue ainsi que d’une population croissante qui pratique un judaïsme dit orthodoxe. La communauté ashkénaze non hassidique est constituée d’une population qui pratique un judaïsme dit lithuanien et qui habite le quartier de Vimy, d’une population moderne orthodoxe et d’une population moins pratiquante, mais affiliée à des synagogues. Au cours des dix dernières années, la croissance de la communauté sépharade orthodoxe a entraîné une évolution des besoins à plusieurs niveaux :

• Au niveau de la cacherout, les Sépharades aspirent aux standards de cacherout des aliments établis par le Shoulhan Aroukh (le code de loi juive codifié par le Rav Yossef Caro). En effet, le Vaad Ha’ir suit les opinions de l’autorité ashkénaze : le RAMA (Rav Moshe Isserles) et dont l’opinion diverge de celle de Rav Caro sur certains enjeux.

• Au niveau des lois du mariage et du divorce : dans le cas de divorces difficiles, l’approche sépharade est beaucoup plus proactive pour permettre à la femme de se libérer d’un mari récalcitrant à lui donner le Guet (divorce religieux), évitant ainsi les cas de Agounot ( femmes en attente du Guet).

• Au niveau des lois de la pureté familiale.

• Au niveau des litiges commerciaux, de plus en plus de personnes font appel aux tribunaux rabbiniques pour les résoudre.

• Au niveau des conversions avec des enjeux complexes puisque les institutions impliquées ne se reconnaissent pas mutuellement.

Les besoins religieux de la communauté sépharade vont désormais au-delà du dernier devoir avec la confrérie de la Hevra Kadisha. Toutes ces questions sont des parties intégrantes de notre identité juive et sépharade.

Quelle est la singularité d’un Beth Din (tribunal rabbinique) basé sur les orientations des décisionnaires sépharades ou ashkénazes?

Le Beth Din tel qu’il est structuré à Montréal agit sur les enjeux cités précédemment. Un Beth Din sépharade vise à se réapproprier le rôle historique en étant une source d’inspiration pour les leaders communautaires, en s’assurant que les enseignements rigoureux de la Torah soient véhiculés pour tous. Le savoir halakhique ne doit pas rester à l’intérieur des murs de l’institution, mais se démocratiser. Les Dayamins (Juges rabbiniques) qui siègent dans un Beth Din font partie du corps enseignant et transmettent la Halakha (loi juive) directement. Ce rôle s’est perdu. Concrètement, un Beth Din sépharade doit se réapproprier ces compétences et pallier le manque du Vaad Ha’ir pour prendre en considération l’opinion du Rav Yossef Caro. Cela inclut ce qui suit :

• Dans le domaine de la cacherout, la mise en place d’une Hashgaha Halak Bet Yossef (la norme d’abattage rituel tel que la définit le Shulkhan Aroukh). La viande Halak Beth Yossef indique qu’un examen minutieux des poumons a été effectué pour s’assurer de leur aspect parfaitement lisse. D’autres questions se posent aussi autour de la surveillance des produits laitiers, la cuisson des aliments par un Juif et un non juif.  Sur ces questions, la position sépharade est beaucoup plus stricte.

• Au niveau de l’éducation, la communauté sépharade compte désormais ses propres écoles, et ses propres lieux d’études, Beth Midrash et Kollelim. Même si la communauté sépharade n’est plus dans l’ombre de la communauté ashkénaze, elle accuse un retard sur les autres communautés sépharades en Amérique du Nord.  En effet, sa situation financière semble toujours fragile.

Nous avons une tradition extraordinaire en matière de halakha, de transmission, et d’éducation.  Il est temps de mettre cet héritage de l’avant et sans complexe. Notre façon de faire, notre empathie et notre sensibilité permettraient de régler ces questions plus rapidement et de façon plus efficace.

Comment envisagez-vous l’avenir de la communauté sépharade dans la prochaine décennie en regard du droit rabbinique?

Je pense que l’avenir de la communauté repose sur la synergie. La communauté sépharade doit relever le défi de nos institutions scolaires, Beth Midrash, Kollelim et de nos institutions philanthropiques. C’est le point le plus critique! Il faut assurer leur santé financière pour permettre à ces institutions d’avoir les moyens de leurs ambitions. En abordant ce défi de façon concertée et unifiée, on permet à la communauté d’évoluer ensemble et de prendre un nouveau virage pour assurer sa pérennité. La fonction rabbinique ne doit pas devenir une forme de bureaucratie. Le rabbin doit rester proche des gens et des besoins de sa communauté. Les Dayanims doivent reprendre leur rôle d’éducateur pour la communauté et de mentor pour les jeunes rabbins. Toutes ces initiatives ne peuvent être entreprises qu’à l’intérieur d’un Beth Din sépharade. Ce Beth Din sépharade permettrait de devenir une source de revenus pour assurer le financement de ces différentes institutions. Le Beth Din serait le centre de ressources halakhiques et financières pour ces institutions. C’est ce modèle qui est utilisé par le consistoire français, la certification OU aux États-Unis. Un nouveau Beth Din sépharade basé sur la transparence veillera à une meilleure redistribution des profits dans les secteurs les plus sensibles et les plus fragiles, notamment dans l’éducation. Aujourd’hui à Montréal, chaque organisation mène son projet en parallèle : des écoles qui ouvrent, des synagogues qui commencent ici et là et un Beth Din qui fait bande à part. Il serait grand temps de se fédéreravec un discours rassembleur, une vision commune, avec des rabbins sépharades qui pourraient véritablement animer et encadrer nos communautés. Un Beth Din qui pourrait s’autofinancer et investir dans ses structures constituantes.

Pensez-vous que le sépharadisme à Montréal est en perte de repères?

Il faudrait définir ce qu’on inclut dans la notion de sépharadisme. Est-ce seulement le folklore hérité de notre culture andalouse ? Ce folklore s’est progressivement dissipé. Donc oui, les repères ont besoin d’être redéfinis. Aujourd’hui, nous sommes des descendants d’immigrants nord-africains au Canada et nos enfants et nos petits-enfants intègrent la société américaine et canadienne. Cette génération doit être sensibilisée et éduquée quant à cet héritage. Si toute une génération a été soumise à l’influence ashkénaze, c’est parce que son exposition à l’héritage sépharade est restée superficielle et folklorique. Il est temps de lui redonner sa vraie substance et de faire redécouvrir sa richesse à tous. Le sépharadisme n’est pas seulement culturel, c’est aussi une façon d’aborder le monde avec une sensibilité, un patrimoine intellectuel et un bagage de halakhot (lois) et de traditions.

La communauté sépharade a connu des transformations importantes au cours des vingt dernières années, particulièrement en ce qui a trait à la pratique religieuse, les instances dirigeantes de cette communauté ont-elles pris réellement la mesure de ces changements majeurs?

Pas encore, la communauté utilise les mêmes institutions qui ont été fondées pour les juifs d’Europe dans les années 50 avec leur Beth Din ou leur Vaad Ha’ir. Prenons en exemple, les hassidims qui ont connu une croissance fulgurante, ils ont créé leur propre Bet Din et leur propre système scolaire complètement indépendant. Le mouvement moderne orthodoxe s’est aussi distingué avec son propre Beth Din de Guerout (conversion) et ses propres écoles. La communauté sépharade n’a pas encore entrepris ce virage. Cela relève d’un manque de vision pour répondre à tous les besoins de sa jeunesse et de ses familles. Il faut aller au-delà du centre communautaire.

À Montréal, y a-t-il une formation spécialisée de rabbin de communauté ?

À ma connaissance, il n’y a pas d’organisme qui forme des rabbins de façon officielle. Il y a des kollelims (lieux d’études intensifs pour adultes) qui forment les rabbins sur différents sujets de la halakha. Il s’agit d’une formation plus académique, mais tout le reste s’apprend sur le tas une fois en poste. On se retrouve au cœur de différentes situations joyeuses ou tristes, délicates et intimes, mais on n’a pas forcément le bagage nécessaire pour les aborder. Il s’agit là d’une lacune. On pourrait imaginer un modèle de mentorat entre rabbins pour les aider à naviguer à travers les différentes situations.

Sommes-nous à l’aube d’une refonte majeure rabbinique à Montréal?

Je pense que c’est une question de temps. Le besoin est là, reste à voir si le courage pour la mettre en œuvre y est aussi. Montréal est prête pour une refonte majeure de ses institutions pour leur permettre de répondre aux besoins des Sépharades et assurer la pérennité de la communauté au moyen d’un plan de financement ambitieux. Serons-nous capables de travailler tous ensemble pour le réaliser?

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