De l’importance de la définition de l’antisémitisme adoptée par le gouvernement fédéral

PAR Shimon K. Fogel

Shimon K. Fogel est le président-directeur général du Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), l’agence de représentation des Fédérations juives du Canada.

 

Depuis le massacre de la synagogue de Pittsburgh en octobre dernier, la montée de l’antisémitisme a fait couler beaucoup d’encre. À juste titre, car il ne fait aucun doute que la plus vieille haine de l’histoire connaît une inquiétante recrudescence.

Les attentats contre les Juifs et leurs institutions en Europe et aux États-Unis nous rappellent que l’antisémitisme, poussé à l’extrême, est mortel. Il serait illusoire de croire que les Juifs canadiens sont à l’abri de la montée de la violence antisémite à l’échelle mondiale. Bien que nous vivions dans l’un des pays les plus sûrs pour les minorités, il n’en demeure pas moins que le rapport annuel de Statistique Canada sur les crimes motivés par la haine révèle régulièrement que les Juifs constituent le groupe le plus souvent ciblé.

L’antisémitisme se décline sous plusieurs formes. Dans son incar-nation la plus meurtrière, l’antisémitisme islamiste et suprémaciste blanc menace la vie des Juifs. Sous ses formes les plus insidieuses, notamment au sein d’une certaine gauche et de l’extrême gauche, il vise à marginaliser socialement les Juifs sous prétexte d’opposition à Israël. Et dans sa forme la plus fantasmagorique, commune à tous les courants antisémites, la haine des Juifs repose sur des théories du complot qui prétendent exposer le Juif comme la source de tout malheur, fournissant aux « initiés » une fausse grille analytique des bouleversements de l’histoire. Du reste, les antisémites ont toujours invoqué, souvent avec une sincérité délirante, des fins nobles pour jus-tifier leurs actes et visées les plus sinistres, et hier comme aujourd’hui, se présentent comme les victimes des Juifs.

La lutte contre l’antisémitisme pose un défi particulier aux autorités. Alors que d’autres formes de haine s’expriment sans ambiguïté, la haine des Juifs s’adapte et se transforme au gré des époques et de leurs cordes sensibles et raffine ses modes d’expression. De telle sorte qu’il peut être difficile pour les autorités, généralement au fait de formes historiques de l’antisémitisme, d’identifier correctement ses nouvelles manifestations. Ceci est particulièrement vrai de l’antisémi-tisme qui se voile derrière une prétendue critique d’Israël et la défense des droits de l’homme.

Pour lutter efficacement contre l’antisémitisme, les autorités doivent dis-poser d’une définition rigoureuse et consensuelle de la haine des Juifs qui englobe toutes ses principales manifestations contemporaines. C’est ce que propose la définition de l’antisémitisme élaborée par l’Alliance internationale de la mémoire de l’Holocauste (IHRA) en 2016, au terme d’un processus de consultations avec des spécialistes de l’antisémitisme et des représentants des communautés juives. L’IHRA, rassemble 33 dé-mocraties occidentales, dont le Canada, et des experts, et a pour mandat de combattre l’antisémitisme et le négationnisme.

Au mois de juin dernier, le gouvernement fédéral a adopté la définition de l’IHRA dans le cadre de sa nouvelle stratégie de lutte contre le ra-cisme, décision applaudie par le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) qui plaide en faveur de son adoption par tous les paliers de gouvernement.

Bien que la définition de l’IHRA ne soit pas juridiquement contrai-gnante, elle peut constituer un outil pratique pour aider les autorités canadiennes à appréhender les incidents et crimes à caractère antisé-mite. En effet, cette définition a déjà été adoptée par plusieurs gouver-nements européens pour lutter contre l’antisémitisme, notamment au Royaume-Uni, en France et en Allemagne, car elle contient toute une gamme de discours et théories du complot antisémite et reflète les métamorphoses constantes de la haine des Juifs.

La plus importante dimension de la définition est qu’elle reconnaît et définit l’une des formes les plus courantes (et malheureusement controversées) de la haine des Juifs aujourd’hui, soit l’antisémitisme en lien avec Israël. Ainsi, l’IHRA établit que la négation du droit du peuple juif à l’autodétermination et l’assimilation d’Israël au racisme ou au nazisme, par exemple, constituent des formes d’antisémitisme. En revanche, la définition stipule également que les critiques d’Israël formulées selon les mêmes normes que celles dirigées à l’encontre d’autres États ne sauraient être antisémites, une clarification impor-tante pour protéger d’accusations de haine infondées la liberté de pa-role et la critique légitimes.

Pour que les colporteurs de la haine des Juifs n’échappent pas à la sanction, il importe que les autorités puissent identifier clairement et systématiquement les incidents et crimes antisémites. La définition adoptée par le gouvernement fédéral fournira un outil de référence pratique à la police, aux procureurs, aux directeurs d’écoles et aux res-ponsables universitaires. En ce sens, son adoption constitue un jalon majeur dans la lutte à l’antisémitisme au Canada.

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