QUEL AVENIR POUR LA COMMUNAUTÉ JUIVE SÉPHARADE : DES LEADERS D’OPINION RÉPONDENT

ENTRETIEN PAR SONIA SARAH LIPSYC

Dr Sonia Sarah Lipsyc

Sonia Sarah Lipsyc

Dr Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice en chef du LVS et directrice de Aleph – Centre d’études juives contemporaines.

Dans le cadre de la préparation des prochains Etats Généraux de la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (CSUQ), nous avons sollicité des leaders d’opinions de notre communauté de sensibilités diverses et de différentes générations. Nous leur avons posé les trois questions suivantes auxquelles elles et ils ont pris le temps de nous répondre :

  1. Comment vous définissez-vous sur le plan identitaire et en tant que sépharade ?
  2. Quel avenir pressentez-vous pour la communauté sépharade de Montréal ?
  3. Quelles devraient-être, selon vous, les priorités et ambitions de la CSUQ ?

Des extraits des réponses de Raymonde Abenaim, Sarita Benchimol, David Bensoussan, Bernard Bohbot, Michel Chockron, Yaniv Cohen-Scali et Esther Krauze ont été publiées dans la version papier de notre magazine. Nous vous présentons ici la version intégrale de leurs propos en remerciant encore nos interlocuteurs.trices d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

 

Raymonde Abénaim

Professionnelle de l’édition aujourd’hui à la retraite, Raymonde Abenaim est une communautaire de longue date. Après avoir siégé au CA de l’École Maimonide, elle a pris part à divers titres à plusieurs comités de la CSUQ. Sollicitée par la Fédération CJA en 1992, elle a notamment été présidente de la division des femmes de l’Appel juif unifié, membre du Congrès juif canadien ainsi que membre du Comité consultatif francophone du Centre Cummings. Elle offre aujourd’hui, comme bénévole, du tutorat pour les élèves pris en charge par l’Association Banav qui aide des enfants en difficultés d’apprentissage.

Comment vous définissez-vous sur le plan identitaire et en tant que sépharade?

Pendant ma prime jeunesse, je ne me suis identifiée que comme juive de culture française. La notion de séphardisme ne s’est imposée à moi que lorsque, quelques années après mon arrivée au Québec,  j’ai  joint les rangs de la CSQ 1 et qu’au sein de cette institution on s’identifiait sépharade par rapport et par opposition à ashkénaze. Mon sentiment d’appartenance sépharade s’y est fortement consolidé, d’autant que mon implication à la Fédération CJA dans le cadre de l’Appel juif unifié s’est faite avec cette étiquette, et que les résultats que nous obtenions lors de cet appel de fonds annuel auprès des nôtres renforçaient cette distinction. J’ai conscience aujourd’hui que cette différenciation entre les deux composantes de la grande famille juive, je l’ai ressentie comme une espèce de discrimination négative, une forme de condescendance insidieuse envers les sépharades en général. Ce sentiment a eu pour effet de renforcer résolument et à jamais mon identité de sépharade.

Quel avenir pressentez-vous pour la communauté sépharade de Montréal?

La communauté sépharade de Montréal, dont on observe qu’une large partie de la jeunesse a intégré les rangs des anglophones d’adoption, se doit impérativement de resserrer les rangs entre ses membres si elle entend constituer une entité sociale distinctive, forte et à part entière. Démographiquement, cette population s’accroît tandis que s’amenuise, du fait de son vieillissement, la population ashkénaze. À moins d’un redressement vigoureux de l’institution qui la représente ainsi que d’un rapatriement sous son sein de tous les services qu’elle est censée assurer, on peut craindre que la communauté sépharade finisse par se diluer dans la population juive, toutes distinctions d’appartenance identitaire confondues.

Quelles devraient être selon vous les priorités et les ambitions de la CSUQ?

J’ai connu la CSUQ lorsqu’elle s’appelait la CSQ, et j’ai pu observer au fil des ans les batailles qu’elle a dû mener pour défendre sa légitimité et assurer le financement de ses activités. Je crains, à moins de mesures de redressement urgentes de son image, de sa légitimité et de ses champs d’intervention, qu’elle finisse par mourir de sa belle mort au terme de l’agonie résultant des restrictions financières imposées par la Fédération. Aujourd’hui, je crois sincèrement qu’il est temps pour la CSUQ de s’affranchir de la Fédération et de prendre les rênes. Elle devrait donc veiller à offrir à la population sépharade l’ensemble des services que se partagent actuellement Cummings et autres, et non plus ces quelques activités qui font d’elle une institution moribonde, sur le point à tout instant d’être phagocytée par la Fédération. Prioritairement : obtenir le financement adéquat pour ce faire; redorer son image par une campagne de sensibilisation auprès de toute la population sépharade en s’adjoignant les forces que sont les congrégations; publiciser les divers services qu’elle entend offrir (beaucoup d’entre eux sont peu ou mal connus); communiquer régulièrement avec ses membres (pas seulement à travers LVS). En gros, la CSUQ doit se doter d’un appareil administratif financièrement indépendant, et capable d’assurer un large éventail de services tant auprès de la jeunesse que des adultes et des aînés.

 

SARITA BENCHIMOL

Diplômée avec un Msc. Pathologie et un Bsc. Biochimie, Sarita Benchimol fait carrière depuis 1982 dans le domaine du cancer, en recherche appliquée et clinique. Elle aussi très engagée dans les sphères de l’éducation (commissaire pour la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys depuis 2007) et du travail communautaire (CSUQ et autres). Elle a fait notamment partie du CA de la CSUQ et est présidente du Comité des amis de ALEPH. Son intérêt se porte particulièrement sur l’épanouissement et à la réussite des jeunes. 

Comment vous définissez-vous sur le plan identitaire et en tant que sépharade?

Je n’ai pris conscience de mon identité sépharade que depuis mon arrivée au Canada en 1965 alors que j’avais 12 ans. Mes parents, natifs de Tanger, m’ont élevée selon la tradition juive transmise par leurs ancêtres provenant d’Espagne. Très vite, à mon arrivée au HighSchool d’Outremont, j’ai été confrontée à la réalité, soit que la majorité des Juifs à Montréal pratiquaient une tradition juive différente. À cette époque-là, il était plus important pour moi d’appartenir au groupe majoritaire. J’ai donc choisi de minimiser les différences et de me considérer juive tout court. Ainsi, tout en jouissant des traditions sépharades chez mes parents, j’ai tout fait pour fusionner avec le groupe ashkénaze. J’ai étudié en anglais, j’ai épousé un Juif hongrois et j’ai élevé mes enfants dans un foyer se définissant davantage comme Juif canadien.

Ce n’est que depuis les vingt dernières années que j’ai éprouvé le besoin de me pencher sur mes origines sépharades. En découvrant l’histoire des Sépharades, j’ai compris l’importance et le devoir qui m’incombait de la transmettre, de la préserver et surtout de retracer leurs origines et de valider leur place dans l’histoire des Juifs en général. J’ai réalisé qu’en fait, je l’avais portée tout le long de mon parcours et qu’elle avait pénétré toutes les phases de ma vie et de celle de mes enfants.

Je pris donc la décision de me joindre à la CSUQ et de dédier une partie de mon travail de bénévole à des causes sépharades. J’ai siégé dans des comités de travail engagés dans les affaires sépharades et suis devenue membre du conseil d’administration de la CSUQ.

Aujourd’hui, mes antécédents, mes traditions, mes connaissances, mon vécu et ma sagesse acquise me permettent d’accepter avec assurance que je suis une Juive hybride. Peut-être une Juive tout court!

Quel avenir pressentez-vous pour la communauté sépharade de Montréal?

Je pense que mon parcours a été celui de beaucoup de jeunes arrivés au Canada aux alentours des mêmes années que moi. Je suis convaincue que leur réalité actuelle est semblable à la mienne. 

De plus, les déroulements politiques touchant la survie d’Israël, les attaques visant les Juifs partout au monde, la renaissance du mouvement nazi et bien d’autres éléments de racisme auxquels  sont confrontés nos jeunes exigent qu’ils se rallient et fassent front commun en tant que Juifs.

Nous devons, en tant que leaders, accepter ce fait et reconsidérer la place des deux traditions juives, sépharade et ashkénaze, dans le contexte d’une identité juive.

Il est plus important que jamais de s’assurer que nos jeunes soient bien conscients de l’existence, de l’histoire et de la validité de ces deux traditions et cultures. Elles doivent donc être enseignées, à tous les niveaux, en incluant des exemples et des activités pratiques pertinents. Les connaissances du sephardisme doivent être mises à la disposition de tous nos jeunes afin qu’ils puissent allez chercher en elles les forces ainsi que leurs raisons respectives d’être juif, de s’affirmer en tant que membre intégral de la société au niveau mondial et de défendre la cause d’Israël.

Quelles devraient être, selon vous, les priorités et ambitions de la CSUQ?

La CSUQ a la grande responsabilité de préserver les connaissances de la tradition, la culture et la pensée juive sépharade.

Elle se doit de comprendre la réalité de nos jeunes du point de vue de leur identité juive. Cela doit inclure ceux qui vivent selon la tradition sépharade, ceux qui vivent selon la tradition ashkénaze et ceux qui sont hybrides.

Devant cette réalité, elle doit mettre sur pied le plus de programmes possible visant à mettre à la disposition des jeunes des possibilités d’acquérir des connaissances culturelles, traditionnelles académiques et de penser sur le sépharadisme

Afin de rejoindre tous les jeunes juifs, la CSUQ devra établir des ponts avec tous les autres organismes impliqués dans les affaires touchant les Juifs.

 

David Bensoussan

Professeur de sciences à l’Université du Québec, il a été président de la communauté sépharade du Québec. Il est l’auteur de nombreux ouvrages scientifiques et littéraires dont un commentaire de la Bible.

Comment vous définissez-vous sur le plan identitaire et en tant que sépharade?

Les valeurs éthiques juives sont fondamentales et s’articulent parfaitement avec la tradition sépharade d’ouverture à la société. Les mutations successives de la francisation, du nationalisme, du sionisme, de l’émigration et des révolutions sociales et technologiques ont mis à l’arrière-plan un héritage socioculturel des plus riches, mais qui est encore bien présent. La recherche de son authenticité dans ses dimensions multiples fait partie de l’identité sépharade.

Quel avenir pressentez-vous pour la communauté sépharade de Montréal?

L’écart linguistique qui séparait Sépharades et Ashkénazes à Montréal s’estompe. Il n’en demeure pas moins que nous devrions nous inscrire dans une dynamique d’intégration de valeurs éthiques juives dans un contexte social biculturel (et non pas seulement bilingue). La nouvelle génération connaît de nouvelles réalités et il est important que la transition en cours puisse maintenir l’attachement aux racines. La transmission de notre héritage spirituel passe par la formation de rabbins qui puissent communiquer aux jeunes et aux moins jeunes, tout en veillant à l’égalité des femmes et des hommes. L’action sociale devrait prioriser l’aide aux personnes dans le besoin, aux personnes âgées, aux familles monoparentales sans oublier les moins favorisés de la société en général. 

Quelles devraient être, selon vous, les priorités et ambitions de la CSUQ?

La CSUQ devrait servir de véhicule d’enrichissement culturel et viser l’excellence en matière d’éducation. Elle devrait veiller à harmoniser les relations avec la Fédération CJA, faciliter l’intégration civique de ses membres au Québec et au Canada, encourager l’implication dans la vie sociale et culturelle, comprendre les défis que connaît l’État d’Israël et contribuer de façon proactive à son épanouissement, et continuer de tisser des contacts avec les pays d’origine de la diaspora sépharade. Ultimement, il faudrait arriver à une association des expériences du vécu sépharade et ashkénaze dans un même creuset identitaire au sein de la communauté juive.

 

Bernard Bohbot

Doctorant en histoire à l’UQAM. Auteur d’un mémoire sur les Juifs d’extrême gauche en mai 68 et la question palestinienne, il est également membre des Amis canadiens de La Paix maintenant.

Comment vous définissez-vous sur le plan identitaire et en tant que sépharade?

Je me situe, sur le plan identitaire, essentiellement comme « Juif sépharade » – j’insiste pour écrire Juif avec une majuscule, car je me rattache à la dimension nationale de cette identité plutôt qu’à son aspect spirituel. J’insiste aussi sur la dimension sépharade de ce judaïsme non pas pour me séparer des ashkénazes, mais simplement en raison du fait qu’il existe des marqueurs identitaires sépharades dont je suis imprégné – accent, traditions, nourriture, scolarité, etc.

Je dois toutefois reconnaître que mon identité juive sépharade m’a largement été imposée par la société dans laquelle j’évolue. En effet, bien que le multiculturalisme de Trudeau père soit moins ancré au Québec que dans le reste du Canada, il n’en demeure pas moins que nous vivons dans un pays où il n’existe pas d’identité assez forte pour agir en rouleau compresseur qui assimilerait en l’espace d’une génération ou deux les communautés immigrées – surtout pas au Québec où les immigrés savent pertinemment que la majorité francophone est elle aussi une minorité à l’échelle du pays.

Ainsi, pendant les dix premières années de ma vie, j’ai fréquenté une école juive (l’École sépharade devenue par la suite le Collège Hillel qui ferma au tournant des années 2000). Je ne regrette pas ce passage dans cette école, mais l’identité qui me fut inculquée fut avant tout juive sépharade, et non canadienne ou québécoise. En effet, le simple fait que la quasi-totalité des élèves était des Juifs sépharades faisait en sorte que ma socialisation fut avant tout dans le cadre de cette communauté, et non ailleurs. Autrement dit, j’ai vécu dans une « microsociété » sépharade pendant les dix premières années de ma vie. C’est ainsi que ce judaïsme sépharade est devenu, par défaut peut-être, ma véritable patrie d’origine. Je l’ai d’ailleurs ressenti lorsque j’ai intégré les écoles publiques québécoises, où il m’a fallu une réelle période d’adaptation avant de trouver mes repères à l’instar de n’importe quel immigré.

Quel avenir pressentez-vous pour la communauté sépharade de Montréal?

La communauté sépharade jouit d’institutions de qualité qui couvrent une vaste gamme d’activités – intellectuelles, ludiques, caritatives, médicales, etc. Je pense que sur un plan organisationnel, elle continuera à fleurir. Sur un plan « sociologique », j’imagine qu’elle continuera à se diversifier et à se moderniser. Il me semble que les jeunes générations parviennent à être plus modernes sur le plan des valeurs, sans délaisser le traditionalisme de leurs parents – auquel j’avoue  ne pas adhérer.

Quelles devraient être, selon vous, les priorités et ambitions de la CSUQ?

La CSUQ aurait tout avantage à rejoindre un public qui lui fait faux bond actuellement. Personnellement, j’ai (re-)découvert la CSUQ à travers le centre d’études juives contemporaines Aleph qui l’a profondément enrichie sur un plan intellectuel. La communauté aurait tout intérêt à rejoindre les « sépharades laïcs » qui ont tendance à la délaisser, car ils ne se sentent pas à l’aise dans un moule trop traditionaliste, mais qui gardent néanmoins un intérêt réel pour les enjeux juifs. Il me semble qu’il y assez d’espace pour toutes les sensibilités au sein de la CSUQ.

 

Michel Chockron

Ingénieur ENST-Paris, Professeur honoraire HEC-Montréal, membre de divers CA de la communauté et ancien Président de la CSUQ.

Comment vous définissez-vous sur le plan identitaire et en tant que séfarade?

La définition identitaire est complexe, car elle dépend du contexte dans lequel elle est posée. Ainsi, je peux me définir comme un universitaire du fait de mon activité professionnelle, un informaticien étant donné mes qualifications, Marocain par mes origines, Canadien par mes résidence et nationalité, etc. Une identité est à la fois une et multiple, car toutes ses facettes se fondent dans un même individu.

Je me définis également comme séfarade. Cela signifie que je suis le produit d’une longue lignée de Juifs ayant vécu au Maroc, et pratiquant un judaïsme séfarade. Je reconnais donc appartenir à cette branche du judaïsme, partageant une identité similaire à celle des quelque trente mille Séfarades présents à Montréal, lesquels sont une part intégrale de la communauté juive du Québec. L’identité séfarade est elle-même un kaléidoscope : géographique, social, historique, culturel et cultuel. Cependant, malgré toutes ces perspectives, force est de reconnaître que le sépharadisme est avant tout une branche principale du judaïsme qui nous laisse des héritages uniques sur les plans artistique, philosophique, juridique, sociétal, etc. Je considère que cette appartenance est source d’enrichissement. De plus, elle nous rattache fortement à la grande communauté juive : locale, nationale, internationale et israélienne.

Quel avenir pressentez-vous pour la communauté séfarade de Montréal?

La communauté séfarade vit une transition. En effet, la majorité des vingt à trente mille personnes issues de cette communauté sont nées au Canada, et donc n’ont plus le vécu d’un ailleurs sépharade différent. N’étant pas prophète, je ne peux en prédire l’avenir, mais je peux le lui souhaiter brillant et heureux. Toutefois, je me permets d’émettre quelques considérations prospectives.

Tout d’abord, on ne peut séparer le destin de la communauté séfarade de celui plus large de la communauté  juive de Montréal dont l’avenir ne s’annonce pas trop « brillant » : vieillissement de la population, départ des jeunes et dérives intégristes. Dans un moindre degré, la communauté séfarade connaît déjà ces problèmes majeurs. La communauté elle-même est donc à la croisée des chemins de son histoire. Deux perspectives se dégagent :

  • Voie A : Soit, elle réussit à renforcer les bases de son identité auprès des nouvelles générations, et alors elle se développera selon un schéma original en Amérique du Nord. Elle aura alors une véritable plus-value historique. En cela, elle ne fera que reproduire le schéma de la contribution des Séfarades dans les différents pays où ils se sont retrouvés. Mais, plus important, chaque personne y trouvera un ancrage authentique qui lui permettra de mieux répondre aux questionnements identitaires qui se posent dans nos sociétés.
  • Voie B : Soit, elle connaîtra une assimilation aux familles d’esprit déjà présentes ou à venir. Par exemple, une « harédisation » 2d’une minorité de la communauté qui est une adhésion à une autre branche du judaïsme beaucoup plus intégriste que la tradition séfarade, ou une assimilation de la majorité au grand bassin nord-américain avec des pertes de la spécificité de leur judaïsme et, pour certains, l’attachement à la terre d’Israël représentera alors leur seul ancrage au judaïsme. La voie du milieu que représentent les Séfarades s’estompera peu à peu. De plus il subsistera des îlots d’attachement folklorique ou ritualiste, mais l’essence de la spécificité et de la tradition séfarade sera perdue. Ce manque d’ancrage spécifique sera souvent source de désarroi identitaire.

Dès lors que faire?

Quelles devraient-être, selon vous, les priorités et les ambitions de la CSUQ?

À mon sens, la CSUQ devrait avoir pour mission de renforcer l’identité séfarade (la voie A présentée à la question précédente). Par conséquent, elle doit affirmer sa fonction de représentativité ce qui lui donne la légitimité d’intervenir dans le sens d’une régénérescence de l’identité séfarade. En revanche, si elle limitait sa mission aux services de groupe, à la longue elle deviendrait caduque.

Ensuite, elle doit être un catalyseur au renouvellement du contenu de l’identité séfarade dans tous les aspects de la vie communautaire : familles, synagogues, écoles, arts, clubs sociaux, etc.

Voici quelques propositions de mise en pratique :

  • Elle doit être en constante communication avec la population et ses instances de premiers niveaux et se manifester davantage dans les médias;
  • Elle doit créer une jonction entre le religieux et le sociétal pour renouveler les traditions. Elle doit être à l’avant-garde pour assurer que sur les services offerts aux familles (cacherout, hâve (?), registre de population, etc.) soient adéquats;
  • Elle doit créer des sources d’enrichissement collectif;
  • Elle doit participer à la vie de la cité, du pays, de la diaspora, par exemple : en encourageant les dialogues avec les différents acteurs sociaux, les voyages et échanges avec des interlocuteurs internationaux, etc.
  • Elle doit promouvoir les services de groupe à valeur ajoutée séfarade, d’ici ou d’ailleurs.
  • Et surtout, et d’abord,  elle doit s’assurer d’avoir les moyens de sa mission.

 

Yaniv Cohen Scali

Ingénieur de formation et de pratique agissant comme consultant en gestion de projet. Il est aujourd’hui coprésident du Programme de Leadership et membre du conseil d’administration de la CSUQ.

Comment vous définissez-vous sur le plan identitaire et en tant que sépharade?

En tant que jeune adulte montréalais, mon sépharadisme est une facette importante de mon identité. Ce n’est pourtant que lors des dix dernières années que j’ai pu réellement saisir l’ensemble de l’influence que mes origines ont eu sur moi et sur mon développement. En tant qu’enfant, être sépharade ça voulait dire que « mes parents viennent du Maroc et que nous vivions notre judaïsme de manière un peu plus folklorique que les autres communautés ». C’est une vision certes simpliste, mais pouvez-vous m’en vouloir?  J’étais à l’époque entouré de jeunes sépharades à l’École Maïmonide. Ce n’est qu’en côtoyant d’autres communautés que j’ai pu mieux distinguer les similitudes et les particularités qu’on eut mes origines sur mon développement. Ma curiosité m’a amené à m’instruire sur l’histoire et les traditions sépharades afin qu’elles deviennent aujourd’hui une source de fierté. Bien souvent, notre génération se dit juive, seulement juive, mais nous parlons, pensons et pratiquons de manière différente que les autres Juifs montréalais. À l’image de Montréal, la diversité au sein des communautés juives se veut une richesse.

Quel avenir pressentez-vous pour la communauté sépharade de Montréal?

La communauté sépharade n’est plus la même qu’à son arrivée au Québec, il y a environ 70 ans [majoritairement entre 1950 et 1975]. Les premiers sépharades arrivés au Québec se sont regroupés par nostalgie et par nécessité. Ils ont donc formé une communauté très proche et impliquée dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Le français a aussi toujours été à l’avant-plan de la communauté. Aujourd’hui, notre génération est bien intégrée à la société québécoise. Notre génération est parfaitement bilingue. De plus, il est bien difficile d’être nostalgique d’une époque ou d’une région qui n’existent souvent que dans notre imaginaire.

D’autre part, je constate un fort retour à la religion. Une religion qui permet de préserver un rite et quelques traditions, mais qui se mélange à des courants de pensée venus de pays d’Europe de l’Est. Vous en conviendrez, cela n’a rien de très sépharade.

En nombre, la représentation de la communauté sépharade au sein de la communauté juive est de plus en plus importante. Les enfants sépharades se retrouvent dans toutes les écoles juives et les adultes dans tous les organismes. Néanmoins, le lien avec le sépharadisme est de plus en plus faible.

J’en conclus donc que le sépharadisme montréalais va devoir se réinventer. Les institutions sépharades devront mettre de l’avant la culture et l’histoire sépharade pour qu’elles ne soient pas oubliées et pour qu’elles puissent rester une fondation à part entière de la vie juive montréalaise.

Quelles devraient être, selon vous, les priorités et ambitions de la CSUQ?

La CSUQ a l’opportunité de mettre en place une plateforme pour soutenir la communauté sépharade dans son évolution. L’ouverture de la CSUQ vis-à-vis des organismes juifs et non juifs sera le gage du succès dans cette démarche. Il est indéniable qu’il y a une certaine convergence entre les Juifs ashkénazes et sépharades à Montréal. Cela amène certes des ponts et des liens, mais il reste essentiel pour notre communauté de garder une identité propre et des institutions indépendantes.

Les priorités demeurent les mêmes : la jeunesse et la promotion de la culture sépharade. Mais les moyens et les méthodes doivent évoluer pour prendre une place de premier plan au sein de la communauté juive. C’est donc dire que la stratégie doit viser les Juifs dans différents milieux pour exposer de manière structurée notre histoire et notre culture.

Selon moi, la CSUQ devra maintenir et mettre en place des programmes qui permettent de toucher les sépharades, les Juifs et les non-juifs partout à Montréal, et ce, afin de faire rayonner la culture sépharade auprès de la communauté montréalaise. Je pense qu’aujourd’hui notre communauté doit faire partie de la culture montréalaise. Comme les Italiens, les Portugais et les ashkénazes, les sépharades ont apporté beaucoup à la société québécoise. Mais il me semble que cet apport culturel est souvent oublié. Or, être oublié par notre société mène à l’oubli dans notre propre communauté. Nous avons plusieurs rapprochements à faire avec les autres, ce qui nous rendra plus forts. (Il y a un ancêtre sépharade dans tous les peuples de la méditerranée et du Moyen-Orient). Notre culture est similaire à celle des autres communautés et les similitudes créent les amitiés (faut-il encore le savoir!).

 

ESTHER KRAUZE

Avocate, diplômée de la Faculté de Droit de l’Université de Montréal ayant fait toute sa scolarité à l’École Maïmonide, elle exerce en droit immobilier et droit des affaires. Activement engagée à l’École Maïmonide depuis environ douze ans, elle a occupé le poste de présidente du CPE Maïmonide Ville-Saint-Laurent et siège présentement au Conseil d’administration de l’École Maïmonide en tant que présidente.

Comment vous définissez-vous sur le plan identitaire et en tant que sépharade?

Sur le plan identitaire, je m’identifie comme Juive sépharade canadienne.  En ce qui concerne mon identité sépharade, je la considère relativement unique, mais j’imagine que plusieurs doivent la partager.  Bien que je sois de père ashkénaze et de mère sépharade, je m’identifie entièrement comme sépharade.  D’ailleurs, mon père (z’’l) se disait lui-même « séphardisé ».

Quel avenir pressentez-vous pour la communauté sépharade de Montréal?

À mon avis, la communauté sépharade de Montréal a énormément changé depuis l’arrivée des premiers sépharades venus principalement du Maroc. Un grand nombre de ces dernières générations cherche une identité juive plus forte et ne se contente plus d’un judaïsme qu’il considère traditionnel et même, pour certains, folklorique. Le sépharadisme est une façon de vivre son judaïsme qui ne convient plus à plusieurs. Cette recherche d’identité a été accueillie à bras ouverts par des mouvements ultra-orthodoxes (Breslev, Chabbad ou autres).  Ces mouvements ont la formule qui leur a permis de trouver une direction profonde qu’ils estimaient ne pas trouver dans le sépharadisme classique. À l’opposé se retrouvent les sépharades qui choisissent l’école anglophone, à la base ashkénaze, pour leurs enfants pensant que ces écoles offrent une meilleure éducation. Je dis bien qu’ils pensent, car la réalité est que l’École Maïmonide, école francophone et sépharade, est la seule qui, encore aujourd’hui, parvient à offrir à ses élèves, une éducation d’excellence, dans un environnement francophone tout en leur donnant les outils nécessaires pour réussir en anglais dans leurs études postsecondaires.  L’enseignement du judaïsme y est centré sur les traditions, les valeurs et les rites sépharades.  Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je pense que bien que la communauté sépharade grandisse en nombre et que des sépharades se retrouvent à la tête de tous les organismes, institutions et services communautaires, si rien n’est fait pour ramener nos jeunes à leurs sources, le sépharadisme classique continuera de diminuer. Afin de pouvoir assurer la pérennité du sépharadisme au sein de la communauté juive de Montréal, nous avons l’obligation de préserver notre héritage, l’héritage qui nous a été légué par nos parents, nos grands-parents et nos arrière-grands-parents et cela en transmettant cet héritage à nos enfants, non seulement dans nos foyers, mais surtout à l’école. Afin d’atteindre cet objectif, nos rabbins et nos institutions doivent se rallier et unir leurs efforts pour aller chercher cette population qui ne se dit sépharade que de nom et par coutumes culinaires. Il faut les ramener aux sources dont leurs ancêtres étaient très fiers en mettant l’emphase sur ce qu’ils recherchent pour leur judaïsme et pour leur identité.

Quelles devraient être, selon vous, les priorités et ambitions de la CSUQ?

À mon avis, la priorité de la CSUQ devrait être de se concentrer sur la jeunesse et travailler avec ses constituantes à savoir les écoles et les congrégations.  La CSUQ devrait être à l’écoute de la jeunesse, tant des adolescents, des jeunes adultes que des jeunes familles dans l’établissement de sa programmation avec comme objectif d’assurer sa mission de préservation, de développement et de représentation de la communauté sépharade.  La CSUQ doit s’adapter à cette nouvelle génération qui cherche à s’épanouir intellectuellement, professionnellement et spirituellement, et c’est en touchant ces trois aspects qu’il sera possible de capter leur intérêt et de réussir à les ramener aux sources.

 

Notes:

  1. Communauté Sépharade du Québec qui deviendra plus tard la CSUQ : Communauté Sépharade Unifiée du Québec
  2. Une ultra orthodoxisation, néologisme de l’hébreu, « haredi » désignant le monde ultra orthodoxe qu’il soit de tendance hassidique ou non (ndr).
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