DE « YERUSHALAIM SHEL ZAHAV » À NETTA : TOUR D’HORIZON DE LA CHANSON ISRAÉLIENNE

PAR AGNÈS TIANO

Agnès Tiano

Journaliste à RCJ (Radio communauté juive) à Paris, et productrice de l’émission la « Scène israélienne » (émission bimensuelle), elle nous offre ici un tour d’horizon de la chanson israélienne.

12 mai 2018, une date historique pour cette jeune fille de 25 ans née à Hod Hasharon banlieue de Tel-Aviv, Netta nom de scène de Netta Barzilai et vainqueur de l’Eurovision avec son titre « Toy ». Surprenante, de par son look, sa tenue, ses postures et sa voix entre l’électronique et le beat box, l’art d’imiter des percussions, des instruments et des bruits avec sa bouche. Adulée par certains qui la considèrent comme la représentante de la nouvelle tendance de la musique israélienne, controversée par d’autres qui pensaient que son physique la désavantagerait, car… elle n’aurait rien d’une diva télégénique! Le jury de Hakokhav Haba, télé-crochet de la chaîne de télévision Keshet, composé de Harel Skaat, de Keren Peles et d’Asaf Amdursky et du binôme Benel et Static Tavori, tous chanteurs, auteurs et interprètes israéliens ne s’y sont pas trompés en amenant Netta à la victoire. « Toy » a voulu dans ce contexte plutôt festif, représenter le combat des femmes. I am not your Toy :« Je ne suis pas ton objet » s’est inspiré du mouvement #metoo qui dénonce le harcèlement sexuel dans le milieu du travail. Un message universel et d’actualité qui a su convaincre.

Netta Barzilai, vainqueur de l’Eurovision

Il est intéressant de rappeler qu’Israël avait gagné ce concours trois fois auparavant avec des registres très différents sur un plan musical, mais toujours  novateur : la chanson « Abanibi » et son langage jouant sur l’onomatopée de la lettre « beth » de l’alphabet hébraïque, interprétée en 1978 par Izhar Cohen accompagnée du groupe Alephabeta; « Alléluia » en 1979 interprété par Gali Atari chanteuse populaire dans le pays entouré du groupe Milk and Honey (référence au pays où coule le Lait et le Miel) titre plus en phase avec la tradition avec ses paroles de paix et enfin « Diva » en 1998 de la transgenre Dana International.

La musique en Israël est à l’instar du pays diverse, multiple, variée et précurseur

Que reste-t-il des chanteurs qui ont accompagné certains durant leurs expériences en kibboutz ou leurs tiyoulims, randonnées dans les sentiers du pays? Que sont devenus Yaffa Yarkoni, Naomi Shemer, Arik Einstein, Ofra Haza ou encore Shlomo Carlebach, tous aujourd’hui disparus? Ils ont à une époque marqué l’histoire de la chanson populaire juive et israélienne. Ils sont pour beaucoup incontournables, car rattachés au moyen de leurs chansons à des faits historiques du pays. Naomi Shemer, disparue en 2004, nous laisse un titre emblématique avec « Yerushalayim shel zahav », littéralement « Jérusalem d’or », interprété en Israël pour la première fois par Shuli Nathan. Cette chanson écrite peu de jours avant la Guerre des Six Jours est rentrée dans le patrimoine musical. Son auteure compositrice recevra en 1983 le prestigieux Prix d’Israël. Shlomo Carlebach, rabbin, auteur, compositeur et interprète né à Berlin s’est inspiré des textes bibliques tout au long de son répertoire. Il a influencé dans ce registre des chanteurs israéliens tels que Mordechai Ben David ou Avraham Fried qui continuent de lui rendre hommage durant leurs tournées. Plus récemment Arik Einstein nous a quittés en 2013. Il est considéré comme l’un des plus grands chanteurs, auteurs compositeurs israéliens. Sa popularité est et restera à jamais à la fois parmi la population et surtout dans le monde musical pour qui il a composé et avec qui il s’est souvent produit. Il est considéré comme le précurseur du rock israélien.

Du fondateur du rock israélien au fondateur du métal oriental il n’y a qu’un pas à faire avec l’arrivée sur le « marché » international de la musique métal du groupe Orphaned Land. Ce groupe a débuté il y a près de 27 ans alors que les membres de cette formation étaient encore adolescents. Leur influence musicale est multiple, mais surtout surprenante. Comment peut-on imaginer associer les rythmiques du métal et de la musique yéménite ou ladino. Surprenant! Mais une vraie réussite! Vivant à Jaffa, le leader Kobi Farhi s’inspire à la fois de l’environnement de cette ville mixte et de ses origines familiales bercées par les airs chantés par ses grands-mères originaires de Salonique. D’ailleurs comme il le dit « son mentor musical n’est autre que le célèbre Yehuda Poliker, un des chanteurs incontournables dans le panel des artistes israéliens. Né à Kyriat Bialik, banlieue de Haïfa,Yehuda Poliker tire son inspiration de ses origines grecques et de l’histoire vécue par sa famille durant la Seconde Guerre mondiale. Après des débuts au sein du groupe rock Benzin, son style musical évolue entre le son du bouzouki et la modernité de la guitare, un exemple pour Kobi Farhi. Je vous invite vivement à découvrir ces artistes et surtout ne soyez pas effrayé par son look, car Kobi est juste la parfaite illustration de la tradition et de la modernité.

Israël, composé d’originaires de pays variés est un véritable kaléidoscope musical, du yiddish, du russe à l’orient il n’y a qu’un pas à franchir pour souvent arriver à une véritable fusion des sonorités. Un exemple est celui de Giora Feidman, originaire d’Argentine. Il fut pendant vingt ans clarinettiste à l’Orchestre Philharmonique d’Israël avant de se lancer dans une carrière de soliste klezmer (musique juive d’Europe centrale et de l’Est). Partie initialement des États-Unis, cette vague klezmer n’a pas tardé à rejoindre Israël. Mais dans ce panel, la musique orientale ou mizrahi actuelle a pris une place considérable en rassemblant sans diviser. Elle a réussi à se faire apprécier de tous avec l’arrivée de jeunes artistes, qui se sont, d’après Eli Grunfeld, directeur artistique de festival et consultant, inspirés « de nombreuses reprises de titres internationaux et qui ont ainsi réussi à être reconnus ».

Du légendaire Haim Moshé à Lior Narkis, Moshé Peretz ou encore Sarit Hadad, certaines de leurs chansons ont été inspirées par les airs populaires de compositeurs turcs, grecs ou encore libanais. Eli Grunfeld  de compléter : «  De nombreux jeunes sont revenus aux sources et chantent  des chansons marocaines ou tirés du Maghreb comme par exemple le groupe Gusto qui interprète les œuvres de Maurice Medioni, pianiste juif algérien qui interprète les musiques andalouses et le raï  ou encore la célèbre Zahava Ben qui a fait une tournée avec les titres de Oum Khaltoum, chanteuse égyptienne considérée toujours  après sa mort, comme la plus grande chanteuse du monde arabe. D’autres, comme Yasmine Levy se sont inspirés du répertoire ladino judéo-espagnol et ont redonné vie à un passé que l’on aurait pu oublier ».

L’inventaire ne peut être complet si nous ne mentionnons Shlomo Bar. Ce chanteur engagé, né à Rabat, au Maroc, en 1943, a immigré quelques années plus tard en Israël. Il joue de la darbouka et d’autres instruments Ses influences musicales sont larges, de Bob Dylan à Miles Davis en passant par la musique classique indienne et celle de la liturgie juive. Il a à ce jour enregistré plus d’une dizaine d’albums avec son groupe Habrera Hativit, et des centaines de chansons à succès depuis son premier disque. Connu sur la scène internationale, il devient un des représentants d’une forme engagée de la chanson israélienne influencée par l’Orient.

En 2018, la scène musicale israélienne a dépassé ses propres frontières! Si nous nous souvenons à une certaine époque de Rika Zarai ou de Mike Brant, aujourd’hui Asaf Avidan  s’est hissé  parmi les plus grands du folk  rock sur la scène internationale. Né à Jérusalem, sa carrière lui fait croiser les chemins de célèbres DJ et se produire sur des scènes comme le Carnegie Hall de New York ou encore faire la première partie de Bob Dylan à Tel-Aviv en 2011.

La liste pourrait s’étendre à d’autres noms comme The Angelcy, groupe aux influences blues, rock, folk, mais également de musique traditionnelle du Moyen-Orient avec son leader chanteur guitariste, Rotem Bar Or, de Mika Hary, jeune découverte aux frontières du jazz ou Aveva Dese qui exporte sa culture éthiopienne

La jeunesse israélienne n’a rien de différent de la jeunesse dans le monde. Elle est naturellement influencée par le modèle américain… mais avec néanmoins l’inspiration de l’orient qui souvent n’est pas loin! Ce qui est certain c’est que la musique fait partie intégrante de la société israélienne et qu’au-delà d’être divertissante, elle est aussi politique en rassemblant. Zohar Argov avait à son époque fait sauter les barrières qui réduisaient l’accès aux radios de la musique orientale. Il est ainsi l’un des premiers chanteurs israéliens à obtenir un succès commercial et national dans le domaine de la musique de style oriental. Sa popularité grandissante, au côté d’autres vedettes comme Haim Moshé ou Avihou Medina participe à la reconnaissance des juifs orientaux sur les ondes.

Heureusement, aujourd’hui des chanteurs de tous horizons, ashkénazes ou rockeurs mêlent l’orient à leurs créations. Si l’on a l’habitude de dire « la musique adoucit les mœurs » en Israël elle rassemble aussi des personnes d’horizons divers et la créativité ne cesse de nous faire découvrir de nouvelles générations!

Idan Raichel en fait partie après de nombreuses années dans le monde de la musique, il « explose » sur la scène israélienne et à l’international avec en 2002 son « Idan Raichel Project ». Représentant indéniable de la musique fusion, il associe l’électronique, le folk israélien et la musique africaine. Au-delà du rassemblement des musiques, Idan Raichel a su créer une véritable communauté d’échanges culturels et artistiques dépassant les frontières.

(De gauche à droite) Sarit Hadad, Zohar Argov et Idan Raichel

Comment enfin ne pas évoquer le Rap! Subliminal est un de ceux qui ont dès 1995 importé ce style musical. Pantalon large, chaînes en or, textes engagés, mais textes engagés « sionistes ». Issu d’une famille originaire d’Iran et de Tunisie, Subliminal, de son vrai nom Yaakov Shimoni, est né en Israël et tient à défendre son pays. Après s’être produit dans des clubs, il est très vite identifié par la jeunesse écoutant du Hip Hop comme le créateur du « hip-hop sioniste ». Dès ses débuts de concert, Subliminal harangue le public au son de « qui est fier d’être sioniste dans l’État d’Israël, levez vos mains en l’air ».

La liste des artistes en Israël est encore longue 1 qu’il s’agisse des plus anciens comme Yehudith Ravitz, Noa, Aviv Gefen ou encore d’Eyal Golan. Chacun dans son registre contribuant à la pérennisation de la musique israélienne, mais surtout à l’image d’un pays avec ses pluralités et ses différences.

La créativité reste leur identité et leur lien. À nous de les découvrir et de les faire découvrir par-delà les frontières! Bonne écoute!

 

Notes:

  1. Il est difficile dans le cadre d’un article de mentionner tout le monde tant l’art musical est développé en Israël. Pour le mélange réussi de hip-hop, rap et de la musique arabo-israélienne, citons encore le musicien Michaël Greisalmer (ndr).
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