ENTREVUE AVEC JEAN-FRANÇOIS LISÉE, CHEF DU PARTI QUÉBÉCOIS ET CHEF DE L’OPPOSITION OFFICIELLE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC

PAR ELIAS LEVY

Jean-François Lisée

Elias Levy

Elias Levy

À six mois des élections générales, les défis à relever pour le Parti québécois (PQ) et son chef, Jean-François Lisée, sont énormes, tous les sondages d’opinion leur étant défavorables. Jean-François Lisée, qui assume aussi la fonction de chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale du Québec, a accordé une entrevue à La Voix Sépharade avec le journaliste Elias Levy.

 

Le PQ est à la traîne dans tous les sondages. Il arrive en troisième position, après le Parti libéral du Québec (PLQ) et la Coalition Avenir Québec (CAQ). Pourquoi les Québécois sont-ils peu réceptifs à votre programme politique?

Le 1er octobre prochain, les Québécois auront une vraie décision à prendre. Les sondages sont unanimes : les deux tiers des Québécois, dont trois quarts des francophones, veulent se débarrasser du gouvernement libéral de Philippe Couillard. Il y a une volonté de changement extrêmement forte, qu’on n’a pas vue au Québec depuis très longtemps. Mais pour l’instant, le parti qui n’a jamais gouverné, la CAQ, semble être le plus attractif pour les Québécois. Au PQ, on reconnaît cette réalité. Mais quand on demande aux Québécois, au-delà de l’humeur du moment, quelle est votre priorité : baisser les impôts et les taxes ou réinvestir dans les services pour les aînés, les patients dans les hôpitaux, les familles, les élèves en difficulté? Deux Québécois sur trois répondent sans hésiter : réinvestir des fonds dans des domaines névralgiques, tels que la santé, l’éducation et les services sociaux. Un seul parti propose cela : le PQ. Actuellement, il y a une contradiction entre ce que les Québécois veulent pour l’avenir et leur intention de vote. Pour nous, c’est encourageant parce que nous allons mettre l’emphase sur cette contradiction frappante au cours des prochaines semaines.

Une large majorité de Québécois, dont un grand nombre de jeunes, rejette aujourd’hui le projet indépendantiste prôné par le PQ. Ce désaveu vous inquiète-t-il?

Nous sommes conscients que si nous essayons de tenir un référendum sur la souveraineté du Québec au cours du premier mandat d’un gouvernement du PQ, on échouerait parce que les Québécois ne sont pas encore prêts à nous accorder leur appui pour mener à terme ce projet national historique. Nous sommes résolus à réussir l’indépendance du Québec, mais dans le cadre de deux mandats. Durant le premier mandat, nous allons nous atteler à reconstruire un État fort, nécessaire pour faire l’indépendance. Les libéraux ont fragilisé l’État québécois, tout comme ils ont fragilisé aussi la santé, l’éducation, la langue française, et même la justice, avec des délais qui font que des accusés sont libérés. Nous disons à tous les souverainistes : le seul train qui va vers l’indépendance, et qui part le 1er octobre 2018, c’est le train du PQ. Tous les autres trains vont dans le sens inverse.


Jean-François Lisée

Quelle est la position officielle du PQ sur la question de la laïcité? Si vous êtes élu premier ministre du Québec, réhabiliterez-vous le projet controversé de Charte des valeurs québécoises?

En ce qui a trait à la laïcité de l’État et au port de signes religieux, notre position est très claire. Comme l’a recommandé fortement la Commission Bouchard-Taylor, nous allons prendre les dispositions nécessaires pour que le port de signes religieux soit interdit pour les personnes en position d’autorité, c’est-à-dire les juges, les gardiens de prison et les policiers. Le PQ ajoutera à cette liste les futurs enseignants et éducateurs, qui seront embauchés dans les écoles primaires et secondaires, ainsi que dans les garderies. Ceux qui sont déjà à l’emploi préserveront leur droit de porter des signes religieux, mais les nouveaux enseignants et éducateurs seront assujettis à un code vestimentaire. Le terme « Charte des valeurs québécoises » n’est pas utile, donc nous ne l’utiliserons pas. Nous apporterons simplement des modifications à la loi 62, promulguée par les libéraux.

Que propose concrètement le PQ pour attaquer de front les problèmes qui sévissent dans notre système de santé?

Dans le dossier « santé », nous avons deux grandes priorités.

La première : miser sur le décloisonnement et l’interdisciplinarité des professions médicales.

Au Québec, quelque 200 000 professionnels de la santé – infirmières, pharmaciens, psychologues, ambulanciers paramédicaux, orthophonistes… (une quinzaine de professions médicales) – sont sous-utilisés. Un gouvernement du PQ prendra des mesures concrètes pour que ces professionnels soient autonomes dans les actes cliniques qu’ils prodiguent. Cette mesure essentielle permettra certes de désengorger le système de santé.

La deuxième grande priorité : geler le salaire des médecins, qui sont fort bien rémunérés, au cours des prochaines années et réinvestir plutôt dans les services les sommes dédiées à l’augmentation de leur salaire – le gouvernement Couillard leur a accordé une bonification salariale de 650 millions de dollars par année, en plus de leur rémunération actuelle –. Il est impératif aussi d’injecter de l’argent neuf pour les soins à domicile et pour développer une meilleure offre de soins de première ligne pour les patients malades.

Quelles sont les priorités du PQ en matière d’immigration?

En matière d’immigration, le Québec est confronté à une situation très paradoxale. À Montréal, le taux de chômage chez les Québécois issus de l’immigration se situe entre 10 et 12 % alors qu’on a des pénuries de main-d’oeuvre partout ailleurs au Québec. Cette situation déplorable est la résultante de l’évolution démographique et de la mauvaise gestion du dossier de l’immigration par les libéraux. Le PQ propose de mieux identifier parmi les candidats à l’immigration ceux qui ont des perspectives d’emploi précises. Par exemple, s’il y a parmi eux un soudeur ou une infirmière spécialisée, nous allons l’accompagner jusqu’à son emploi. Mais un des outils essentiels pour réussir son intégration sur le marché du travail, à part la compétence professionnelle, c’est la connaissance du français. En 2017, 60 % des nouveaux immigrants ne connaissaient pas le français à leur arrivée au Québec. C’est l’une des pires statistiques de l’histoire du Québec. Résultat regrettable : deux années après leur arrivée, beaucoup d’immigrants ont quitté le Québec pour s’établir au Canada anglais ou aux États-Unis. C’est une perte d’argent pour ces immigrants, et aussi pour le Québec.

Au chapitre de l’éducation, un gouvernement élu du PQ mettrait-il fin au financement du réseau des écoles privées confessionnelles?

Notre inquiétude est réelle en ce qui a trait à l’affaiblissement graduel du secteur de l’éducation publique québécoise. Il y a des écoles privées qui sont des modèles parce qu’elles ne discriminent pas les enfants en difficulté. Mais il y a aussi des écoles privées qui discriminent ces derniers. Ils sont alors contraints de se tourner vers l’école publique. Si le PQ accède au pouvoir, les écoles privées modèles n’auront rien à craindre. Cependant, celles qui ont des barèmes de sélection discriminatoires, nous examinerons les critères de modulation du financement que le gouvernement leur prodigue.

Je connais bien le système des écoles juives. Je tiens à dire que ces écoles sont des modèles inspirants, notamment pour ce qui est de leur ouverture à la mixité sociale. En ce qui concerne les élèves en difficulté, les écoles juives font un effort considérable. Celles qui sont modèles n’auront rien à craindre d’un gouvernement du PQ, au contraire.

Comment qualifieriez-vous l’état actuel des relations entre le PQ et la communauté juive?

Il faut poser aussi cette question aux leaders de la communauté juive. Je pense qu’il y a un respect mutuel entre le PQ et la communauté juive québécoise. Quand j’étais ministre de la Métropole, j’avais des contacts réguliers avec des leaders de la communauté juive. Des relations cordiales qui se poursuivent depuis que j’ai été élu chef du PQ. Plusieurs députés du PQ, dont Pascal Bérubé, leader parlementaire de l’opposition officielle, ont aussi des contacts étroits avec la communauté juive. On a développé des liens de respect mutuel. J’en suis satisfait, mais il y a toujours place à l’amélioration.

Quelle est la position du PQ face à la campagne BDS, qui prône le boycott économique d’Israël?

Le PQ n’a jamais appuyé le mouvement BDS. Mais les boycotts de toutes sortes font partie de la vie démocratique. Moi, je dis à tous ceux et celles qui sont favorables au BDS : c’est mal connaître la résilience des Israéliens et du peuple juif que de penser que vous allez modifier les politiques du gouvernement d’Israël en boycottant les produits israéliens. Le BDS ne peut avoir aucun impact. Ce qui me gêne, en particulier, c’est lorsque certains promoteurs du mouvement BDS prônent la rupture des liens culturels et universitaires avec Israël. Ça, c’est vraiment contreproductif. Personnellement, je suis en désaccord, et je le serai toujours, avec la politique de colonisation en Cisjordanie menée par l’actuel gouvernement d’Israël. Beaucoup de mes amis dans la communauté juive sont aussi en désaccord avec cette politique. Mais celle-ci ne doit pas servir d’exutoire pour appeler à un boycott généralisé d’Israël.

Si vous êtes élu premier ministre du Québec, continuerez-vous à œuvrer au renforcement des relations entre Israël et le Québec, qui ont connu un essor important ces dernières années?

Certainement. J’œuvrerai au renforcement des relations avec Israël, et aussi avec les territoires palestiniens. Il faudra faire des pas supplémentaires pour renforcer la coopération entre le Québec et Israël.

Avez-vous un message à transmettre aux membres de la communauté juive en cette année électorale?

Je sais qu’il y a beaucoup de membres de la communauté juive qui sont socialement d’accord avec le PQ. Ces derniers souhaitent aussi que la priorité soit mise non pas sur des baisses d’impôts, mais sur la qualité des services. Sur la question de l’indépendance, j’ai quelques amis juifs qui sont indépendantistes, et d’autres qui ne le sont pas. Dans un premier mandat d’un gouvernement du PQ, il n’y aura pas de référendum sur l’indépendance du Québec. Je propose à mes amis de la communauté juive de faire un bout de chemin avec nous. On essayera ensuite de les convaincre de continuer à nos côtés, mais ce sera à eux de décider en 2022.

 

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