LA JOURNÉE COMMÉMORATIVE DES RÉFUGIÉS JUIFS DES PAYS ARABES ET D’IRAN

PAR MARC ZILBERT

Marc Zilbert

Avocat et traducteur,  Marc Zilbert collabore actuellement comme enseignant et recherchiste à Aleph – Centre d’études juives contemporaines de la CSUQ

 

Le 30 novembre 2017, l’État d’Israël et des communautés juives du monde entier marqueront la 4e Journée de commémoration de l’exode et de l’expulsion des Juifs des pays arabes et d’Iran.

Des quelque 900 000 Juifs vivant en terre arabo-islamique au début du siècle dernier, il ne reste aujourd’hui que moins d’une dizaine de milliers.

Ces émigrés et leurs descendants, qui ont élu domicile aux quatre coins du globe, constituent cependant environ la moitié de la population de l’État d’Israël.

Pendant des décennies, cet exode n’a fait l’objet d’aucune reconnaissance officielle. 

Enfin, le 24 juin 2014, le Parlement israélien (la Knesset) adopta une loi instituant cette journée de rappel et de commémoration, dans le but d’encourager une prise de conscience internationale 1 quant au sort de ces émigrés juifs oubliés.

Or, d’un point de vue juridique et politique, le nerf de la guerre concernant ces émigrés est la question de leur statut de réfugié.   

La question du statut de réfugiés des émigrés juifs

La question du statut de réfugiés des émigrés juifs des pays arabo-musulmans a été soulevée pour la première fois, dans les années 1970, par l’Organisation mondiale des Juifs des pays arabes (WOJAC), fondée à Tel-Aviv en 1975 2. 

WOJAC avançait que la Résolution 242 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, dont l’article 2 (b) affirme la « nécessité de réaliser un juste règlement du problème des réfugiés » se réfère à tous les réfugiés impactés par le conflit, Juifs et Palestiniens, d’où la nécessité de revendiquer le statut de réfugié pour les émigrés juifs. 

En 1999, WOJAC a mis fin à ses activités. Trois ans plus tard, Justice pour les Juifs des pays arabes (JJAC) vit le jour à New York. Lors de la Conférence d’Annapolis en 2007, JJAC présenta des documents onusiens qui, selon elle, démontrent que les pays de la Ligue arabe avaient, depuis 1947, planifié et appliqué un programme de persécution des communautés juives locales.

Est un réfugié selon l’article 1 (A) (2) de la Convention du 28 juillet 1951 de l’Organisation des Nations Unies relative au statut des réfugiés :

« [toute personne] qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. 3»

Ainsi, en raison notamment de la persécution étatique que ces émigrés juifs ont subie, JJAC avance qu’il convient de leur conférer le statut de réfugiés en vertu de cet article.  Toutefois, l’Assemblée générale (AG) de l’ONU n’a jamais adopté de résolution leur conférant ce statut.

En 2008, à la suite des efforts de lobbying de JJAC, la Chambre des représentants des États-Unis adopta une résolution non contraignante 4 affirmant la nécessité de conférer aux émigrés juifs le statut de réfugiés selon la Convention relative au statut des réfugiés, et d’établir un fonds d’indemnisation visant à compenser les réfugiés palestiniens et juifs pour toute perte ou dommage matériel qu’ils auraient subi.

En mars 2014, le gouvernement canadien a reconnu aux émigrés juifs, déplacés depuis 1948, le statut de réfugiés, et ce, afin « d’assurer la reconnaissance juste et équitable de toutes les populations de réfugiés découlant du conflit israélo-arabe » 5.

Afin de mieux saisir le bien-fondé de cette reconnaissance, et les causes de l’exode des Juifs des pays arabo-musulmans, un aperçu historique s’impose. Nous ne développerons toutefois que deux exemples (l’Égypte et l’Irak). 

Le 30 novembre 1947

Le 29 novembre 1947, l’AG de l’ONU approuva le plan de partage de la Palestine prévoyant la division de celle-ci en trois entités distinctes, soit un État juif, un État arabe et une zone (Jérusalem et ses banlieues) internationale.

Le lendemain, il y eut perpétration, dans certains pays arabes, d’actes de violence populaire prenant pour cible les communautés juives locales, ainsi que profération, par certains leaders politiques arabes, de menaces à l’encontre de ces mêmes communautés.

Ainsi, si la date du 30 novembre a été retenue par la Knesset, c’est pour évoquer le souvenir des événements de cette journée, qui entraînèrent l’intensification de l’exode des Juifs des pays arabo-musulmans, notamment de l’Égypte et de l’Irak.

L’Égypte

Vers 1922, l’Égypte comptait quelque 75 000 Juifs.

L’antisémitisme en Égypte a des racines profondes : par exemple, en 1844, 1881 et 1902, des Juifs d’Alexandrie ont été accusés de crimes rituels.

Au cours des années 1940, avec la montée du nationalisme, la situation des Juifs égyptiens se détériora. 

Dès 1945, les Juifs d’Égypte ont fait l’objet de mesures discriminatoires, dont leur exclusion de la fonction publique et la mise sous surveillance des écoles juives pour égyptianiser et arabiser leurs programmes.

En 1947, le gouvernement exigea des sociétés commerciales que 75 % des employés soient de « véritables » Égyptiens (arabes ou musulmans) et conséquemment, une majorité d’employés juifs perdirent leur emploi.

En 1950, les Juifs tentant d’émigrer se sont vus retirer leurs passeports.

Entre 1945 et 1952, dans plusieurs villes égyptiennes, des émeutes, des agressions et des attentats à la bombe prirent pour cibles les Juifs, causant la mort de dizaines d’entre eux.  Et des milliers de Juifs furent internés.

Suivant la création de l’État d’Israël en 1948, il y eut des attentats à la bombe et des émeutes dans des quartiers juifs qui tuèrent plus de 70 Juifs et en blessèrent plus de 200.

En juin 1948, il devint illégal pour les Juifs de quitter l’Égypte pour Israël et des saisies de propriété eurent lieu.

En 1956, à la suite de la campagne de Suez, une proclamation fut publiée affirmant l’adhésion au sionisme de tous les Juifs du pays et promettant de les expulser sous peu.

Dans le sillage de cette proclamation, quelque 25 000 Juifs quittèrent l’Égypte, certains involontairement, d’autres volontairement, à condition d’avoir d’abord signé une déclaration affirmant le caractère volontaire de leur départ et acceptant la confiscation de leurs biens.

Après la guerre de 1967, l’État égyptien effectua de nouvelles confiscations.

Résultat : de nos jours, la communauté juive égyptienne compte moins de cent membres.

L’Irak

Dans la première moitié du siècle dernier, l’Irak comptait quelque 135 000 Juifs.

Dès les années 1930 se manifestèrent au sein du gouvernement et d’une partie de la population des tendances pronazies, ultranationalistes et antisémites qui affectèrent très sérieusement les Juifs irakiens.

Durant ces années, le roi d’Irak développa des rapports cordiaux avec l’Allemagne nazie.

En 1937, le chef des Jeunesses hitlériennes, alors qu’il était reçu par le roi, invita une délégation irakienne au congrès du parti nazi de septembre 1938.

En 1940, le premier ministre Rachid Ali négocia son soutien à Hitler contre celui de l’Allemagne à l’indépendance des États arabes. Il dut démissionner en 1941.

En avril 1941, un coup d’État chassa le régent d’Irak.

Rachid Ali reprit alors le pouvoir. Entre la fuite de Rachid Ali et le retour du régent, au mois de juin, les Juifs profitèrent du fait d’être rassemblés le jour de la fête juive de Chavouot pour célébrer également la chute du gouvernement proallemand de Rachid Ali et le retour du régent Abd al-Ilah.

En réaction à cette célébration, il y eut un pogrom (le farhoud) à l’occasion duquel, en plus des viols et des pillages, 135 à 180 Juifs périrent et plus de 500 furent blessés.

Un millier de Juifs quittèrent alors l’Irak, la plupart pour l’Inde.

À partir de 1947, de nouvelles mesures anti-juives furent appliquées : interdiction d’acheter des terres aux Arabes et dépôt de 1 500 livres sterling pour voyager à l’étranger.

À la suite de la création de l’État d’Israël en 1948, les fonctionnaires juifs furent congédiés et les Juifs perdirent le droit de voyager à l’étranger et de transférer des devises.

En 1950, une loi de dénaturalisation fut promulguée, ce qui permit aux Juifs d’émigrer.

L’année suivante, les Juifs « dénaturalisés » furent privés de leurs biens.

L’État d’Israël organisa alors une opération par laquelle la majorité des quelque 110 000 Juifs irakiens trouva refuge en Israël.

Dès 1952, il ne restait que quelques milliers de Juifs en Irak qui durent faire face à une hostilité étatique et populaire croissante.

Résultat : de nos jours, il y a moins de 50 Juifs en Irak.

La morale de cette histoire

Dans ces pays, il y eut victimisation des Juifs par l’État et une partie de la population, tous deux motivés par un antisémitisme ou un nationalisme ou un antisionisme qui a précédé la création de l’État d’Israël et que le conflit arabo-israélien est venu exacerber. 

Conséquemment, si la vaste majorité des Juifs égyptiens et irakiens ont quitté leur pays natal, c’est probablement, dans bon nombre de cas, qu’ils craignaient, avec raison, d’être persécutés du fait de leur religion (Judaïsme) ou de leur appartenance à un groupe social (communauté juive) ou de leurs opinions politiques (sionisme).

Ces émigrés juifs auraient donc de bonnes raisons de ne pas vouloir rentrer vivre dans leur pays d’origine, même s’ils le pouvaient.

Ainsi nous paraît-il raisonnable de leur reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention de l’ONU relative au statut des réfugiés.   

Bien que l’Égypte et l’Irak figurent parmi les cas le plus flagrants et que l’expérience des communautés juives a varié d’un endroit à l’autre, il n’en demeure pas moins que les Juifs connurent des difficultés comparables dans l’ensemble des autres pays arabo-musulmans.

Ainsi ces pays se sont-ils vidés, eux aussi, de leurs Juifs : 

Vers 1948, Aden comptait 8 000 Juifs, l’Algérie 140 000, le Liban 5 000, la Libye 38 000, le Maroc 265 000, la Syrie 30 000, la Tunisie 105 000 et le Yémen 55 000.

De nos jours, le Liban ne compte plus que 40 Juifs, le Maroc 3 000, la Syrie moins de 50, la Tunisie 1 000 et le Yémen 100. Pour ce qui est d’Aden et de la Libye, ils n’en comptent plus un seul.

 

 

 

 

Notes:

  1. Shmuel Trigano, « Réfugiés juifs du monde arabe : Que célèbre-t-on en ce jour du souvenir ? », The Times of Israel, 21 décembre 2014, http://frblogs.timesofisrael.com/refugies-juifs-du-monde-arabe-que-celebre-t-on-en-ce-jour-du-souvenir/.
  2. Voir : Yehouda Shenhav, « Ethnicity and National Memory : The World Organization of Jews from Arab Countries (WOJAC) in the Context of the Palestinian National Struggle », British Journal of Middle Eastern Studies, Vol. 29, No 1 (Mai 2002), p. 27-56.
  3. Voir : http://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62
  4. H.Res. 185 (110th) : Expressing the sense of the House of Representatives regarding the creation of refugee populations in the Middle East, North Africa, and the Persian Gulf region as a result of human rights violations, 1er avril 2008, https://www.govtrack.us/congress/bills/110/hres185/text#.
  5. Réponse du gouvernement – 8512-412-3 – Chambre des communes du Canada, Réponse du gouvernement au premier rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international intitulé « La reconnaissance des réfugiés juifs du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord » http://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/41-2/FAAE/rapport-1/reponse-8512-412-3
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